Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du mardi 17 décembre 2019 à 16h25
Commission des affaires européennes

Amélie de Montchalin, secrétaire d'État chargée des affaires européennes :

Notre objectif, c'est que ce budget finance à la hauteur de nos ambitions les programmes qui nous semblent prioritaires. Nous avons ainsi demandé que le budget de la PAC soit augmenté – et nous avons été satisfaits. Nous avons également demandé que les régions en transition industrielle fassent l'objet d'un financement spécifique, car il s'agit là d'un problème politique qui se pose dans tous les pays. En France, le mouvement des « gilets jaunes » en témoigne, mais la question de la cohésion territoriale se pose partout dans l'Union européenne. Nous avons également demandé que soient supprimés les mécanismes de rabais, que soit mis en œuvre un programme européen de défense et que soit augmenté le budget de l'initiative Horizon Europe. Avant d'encourager tel ou tel programme, nous sommes attentifs à son contenu politique.

Il y a cependant des sujets qui me gênent personnellement. Le déflateur du PIB, qui repose sur la prévision d'inflation pour la période 2021-2027, n'est pas sincère – et vous savez à quel point nous tenons, au sein de cette majorité, à la sincérité budgétaire. Cette insincérité provient du fait que le budget européen a été construit sur une prévision d'inflation évaluée à 2 % du PIB. Si vous observez une inflation de 2 %, mesdames et messieurs les parlementaires, dites-le-moi ! La vie de Mme Lagarde en sera simplifiée. En réalité, ce taux n'est pas juste. Lorsque la Commission européenne prévoit une inflation de 2 %, elle appelle de l'argent des contributeurs nets que nous sommes – la France mais aussi les Pays-Bas ou le Danemark, qui ont bien compris qu'il y avait là un problème. Cet argent ne finance en effet aucune politique publique concrète, puisque les budgets sont construits en euros constants, auxquels on ajoute ensuite l'inflation.

Si, pour élaborer le déflateur, on faisait passer la prévision d'inflation de 2 % à 1,8 % du PIB – chiffre donné par les prévisionnistes de la Banque centrale européenne (BCE), qui sont des gens raisonnables n'ayant pas pour habitude de fournir des chiffres fantaisistes –, le budget augmenterait de 14 milliards d'euros. Par exemple, à partir du chiffre proposé par la présidence finlandaise fixant la contribution de chaque pays membres à 1,07 % de son RNB, nous pourrions réallouer 14 milliards d'euros à ce budget qui ne correspond « à rien » sinon à de pures prévisions théoriques, sur lesquelles ne peut s'adosser aucune politique. Et ces 14 milliards pourraient servir à financer le fonds européen de défense, le projet de réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER), la politique spatiale, ou encore les régions ultrapériphériques (RUP).

C'est bien pour cela que nous n'avons pas de chiffre magique. Nous voulons un budget sincère, qui soit à la hauteur de nos ambitions sur un certain nombre de thématiques, que vous connaissez et à propos desquelles nous avons déjà eu l'occasion de discuter. Une contribution fixée à 1,07 % du RNB ferait passer la participation française au budget européen de 4,3 milliards d'euros à 6 milliards d'euros. Une partie de cette augmentation est liée à l'inflation – ce qui ne correspond donc pas à une réelle hausse de notre effort, puisque les recettes françaises augmenteront aussi ; une autre partie vient compenser le Brexit puisqu'il faut prendre le relais du Royaume-Uni, contributeur net au budget européen, sur un certain nombre de politiques ; enfin, une dernière partie est destinée à financer de nouvelles politiques.

Voilà ce que je peux dire de plus précis à ce propos. Les autres marges de manœuvre dont nous disposons au sein du budget sont notamment les instruments de flexibilité. La Commission intègre en effet à l'intérieur de chaque programme et entre les programmes des matelas de sécurité. Or nous trouvons cela très coûteux, d'autant qu'une discussion budgétaire a lieu chaque année au Parlement européen pour réallouer des fonds. La flexibilité existe donc d'ores‑et‑déjà et se concrétise par les rectifications apportées annuellement.

Messieurs Pueyo et Bourlanges, vous m'avez interrogée sur un autre sujet transversal : la Conférence sur l'avenir de l'Europe. Soyons clairs : personne n'a parlé de remettre en question la démocratie représentative. Les parlementaires européens et nationaux ont un rôle structurel et structurant dans le fonctionnement des institutions qu'il ne s'agit en aucun cas de remettre en cause. Les citoyens européens demandent cependant à être davantage associés au processus de décision. Or, avec la démocratie représentative classique, qui consiste à poser des questions auxquelles les gens peuvent répondre par oui ou par non, on obtient des réponses qui, bien qu'elles soient données avec beaucoup de cœur, ne sont pas pour autant cohérentes les unes avec les autres. Une telle forme de participation, qui invite les citoyens à se prononcer sur des sujets complexes sans leur donner toutes les clés de compréhension ne me paraît donc pas une voie raisonnable à suivre.

Le Président de la République cherche plutôt à instituer des mécanismes de démocratie délibérative par lesquels les citoyens sont associés en présentant des propositions exprimant leurs intérêts divers voire divergents. C'est ainsi qu'un tirage au sort a été organisé en vue de la première convention citoyenne pour le climat. Celle-ci n'annule en rien les pouvoirs du Parlement et du Gouvernement : elle constitue une troisième voie de proposition à côté de celles du législatif et de l'exécutif. Les projets de dispositions qui en émaneront suivront ensuite la voie réglementaire ou législative classique.

Un tel dispositif pourrait s'avérer intéressant à l'échelle européenne : à partir de questions posées à des citoyens, aux côtés des parlementaires nationaux, des propositions pourraient être soumises au Parlement européen, au Conseil et à la Commission. La Conférence sur l'avenir de l'Europe pourrait d'ailleurs proposer de mobiliser de tels mécanismes sur certaines thématiques si cela peut s'avérer utile. L'expérience de la convention est un exercice ad hoc, mais qui peut permettre de poser des principes pour la suite.

J'insiste sur la distinction entre démocratie participative et démocratie délibérative. En Irlande, dans les pays nordiques, les parlements sont plus puissants que le nôtre sur le plan constitutionnel, mais ils ont une pratique éprouvée de l'association des citoyens à la prise de décision par des moyens innovants, ce qui leur permet d'échapper au piège d'un référendum permanent qui mènerait à des actions incohérentes. Voilà ce qu'il nous faut construire, et nous avons pour le faire des exemples convaincants autour de nous.

Vous m'avez interrogée sur les questions de compétence, de majorité qualifiée. Dans le domaine de la fiscalité, depuis des années, nous avons perdu à la fois de la solidarité, de la souveraineté et de la réactivité en appliquant la règle de l'unanimité. Dans de nombreux domaines thématiques – la politique étrangère, la politique migratoire, la politique sociale –, nous devons nous demander si le fait de passer de l'unanimité à la majorité qualifiée nous aiderait vraiment à être plus souverains, plus solidaires et plus réactifs. Si c'est le cas, il faut alors examiner la possibilité ; à défaut, il est inutile de modifier l'existant. C'est un des sujets sur lequel votre assemblée aura à se prononcer.

Quant au principe du Spitzenkandidat, la position française est très claire : nous y sommes favorables à condition qu'il y ait des listes transnationales, et donc que ledit candidat soit vu et entendu par les citoyens dans tous les pays de l'Union.

Certains affirment qu'il existe un peuple européen, une base démocratique européenne. Ce qui est sûr, c'est que les Spitzenkandidaten des élections de 2019 ont fait campagne dans un seul État. Leur programme, leurs aspirations, leur vision n'ont donc pas pu recueillir l'assentiment des citoyens des autres États, auxquels ils étaient totalement inconnus. Il y aura toujours des circonscriptions nationales, des députés élus nationalement, mais nous souhaiterions qu'il y ait une dose de transnational au Parlement européen comme on peut souhaiter qu'il y ait une dose de proportionnelle dans les parlements nationaux. Une liste devrait ainsi pouvoir regrouper des hommes et des femmes incarnant une ligne cohérente dans tous les pays de l'Union.

On le constate au Parlement européen dans les échanges de vues : les groupes politiques n'ont pas fait campagne sur les mêmes thèmes dans les différents pays. C'est un droit, et chaque député européen est libre de voter en conscience. Cependant, quand j'entends dire que le groupe du Parti populaire européen (PPE) a telle position sur tel sujet, j'ai l'oreille qui gratte un peu parce que je sais qu'elle n'est pas partagée par les élus français Les Républicains rattachés au PPE. Et ce n'est là qu'un exemple, monsieur Dumont ; j'aurais tout aussi bien pu évoquer le groupe Renew Europe.

La liste transnationale est aussi une garantie de transparence et de cohérence : l'objectif est que ceux qui s'engagent au niveau européen portent le même message dans tous les pays.

Quant au sujet des pompiers volontaires, monsieur Deflesselles, tout le Gouvernement y travaille : moi-même, le secrétariat général aux affaires européennes à Matignon, le Premier ministre, qui est très mobilisé, la ministre des armées, le ministre de l'intérieur. La question est de savoir si les pompiers volontaires et les acteurs de la sécurité civile sont soumis ou non à la directive Temps de travail. Les résultats de notre travail devraient être confirmés formellement dans les semaines qui viennent, et les signaux reçus de la Commission européenne sont plutôt rassurants. Il nous paraît important, en effet, de préserver ce qui fait la nature du volontariat, qui est une forme d'engagement spécifique. En plus de permettre le fonctionnement des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), les pompiers volontaires incarnent l'entraide et ne comptent pas leur temps ; c'est cette position que nous avons défendue.

En matière de lutte contre la fraude fiscale, monsieur Paluszkiewicz, nous sommes pour l'échange de bonnes pratiques au niveau européen. C'est pourquoi nous soutenons tous les efforts autour de la liste noire commune des paradis fiscaux. Une meilleure coordination sociale et fiscale étant au cœur de nos préoccupations, nous travaillons activement à la révision du règlement n° 883/2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, pour laquelle des trilogues sont en cours. Nous nous efforçons de faire avancer les discussions sur la directive ACCIS, visant à établir une assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés. Et nous avons fait de nombreuses propositions sur le reporting pays par pays.

Vous le voyez bien, la règle de l'unanimité qui prévaut en matière de fiscalité nous pose problème. Bruno Le Maire a ainsi beaucoup œuvré au sein du Conseil européen pour créer une majorité, une coalition de pays soucieux d'avancer sur les sujets de corruption, de fraude et de transparence. Le parquet européen pourra agir pour tout ce qui concerne les fonds européens, mais nous devons poursuivre notre travail sur la fraude fiscale en général.

M. Pueyo, qui a quitté la salle, m'a interrogée sur le Sahel. Le 13 janvier se tiendra à Pau un sommet du G5 Sahel qui réunira, outre les cinq chefs d'État sahéliens, la France, Josep Borrell pour la diplomatie européenne, Charles Michel, le président du Conseil européen, et l'Union africaine. Nous pourrons ainsi recueillir les besoins spécifiques des pays du G5 Sahel, car il est important d'en faire le point de départ de notre action, puis organiser la solidarité entre États Européens et définir des modalités d'engagement.

Des évolutions sont en cours sur les différents dispositifs d'intervention européens et internationaux. Certains pays sont déjà très impliqués à nos côtés ; le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Estonie, le Danemark, la République Tchèque, la Belgique, les Pays-Bas. Les mandats des missions de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) – la mission de formation militaire EUTM Mali, les missions civiles EUCAP Sahel au Mali et au Niger – sont en passe d'être modifiés pour que celles-ci soient plus proches du terrain et se concentrent davantage sur l'accompagnement des forces locales, la formation des équipes. Certains dispositifs pourraient être élargis au Burkina Faso sur l'invitation du gouvernement burkinabé.

Lors du G7 de Biarritz a été annoncée la création du P3S, le partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel, dont la visée est d'élargir la base d'intervention aux fonctions de maintien de l'ordre assurées par la police et la gendarmerie afin que les États sahéliens retrouvent la maîtrise de leurs forces de sécurité intérieure. Cette mission civile permettra d'impliquer des pays européens qui ne souhaitaient pas s'engager sur les opérations militaires.

Enfin, nous pouvons compter sur le soutien fort des Européens pour la création de l'unité commune de forces spéciales Takuba. Je tiens ici solennellement à remercier tous les alliés européens qui œuvrent à nos côtés pour la sécurité collective.

J'en viens à la question de l'élargissement. Depuis la dernière réunion du conseil des affaires générales et le dernier sommet du Conseil européen, la France a proposé à la Commission une nouvelle approche, dont je vous avais présenté les grandes lignes.

Le premier principe est d'être beaucoup plus graduel : il faut que les États suivent un processus thématique cohérent. On ne peut pas ouvrir tous les chapitres en même temps sans que personne ne sache de quoi il est question. Il faut remanier les politiques publiques par blocs cohérents, de façon que l'acquis soit intégré progressivement aux législations nationales. On ne peut pas tout réformer d'un seul coup dans un pays sans s'y perdre. On constate bien qu'en Serbie et au Monténégro, cette façon de faire a pour conséquence de ralentir le processus d'intégration.

Le second principe est d'être plus concret. Au fur et à mesure que les acquis thématiques sont transposés dans la loi nationale, les pays doivent pouvoir accéder aux politiques européennes qui y sont liées. S'ils rendent leur système d'enseignement supérieur plus indépendant, ils doivent avoir accès à la politique d'innovation, par exemple. S'ils travaillent sur l'attribution des subventions agricoles, ils doivent accéder à la politique agricole commune. Et le travail sur la politique de cohésion doit ouvrir l'accès au marché intérieur.

On constate malheureusement aujourd'hui que le sentiment européen diminue dans les pays avec lesquelles les négociations sont en cours, en particulier la Serbie et le Monténégro. Les citoyens ont en effet l'impression qu'on leur demande de nombreux sacrifices sans qu'ils n'en tirent aucun bénéfice. Au Monténégro, alors que la négociation a débuté voilà huit ans, les citoyens ne voient aucun changement concret dans leur vie à la suite des réformes adoptées, si ce n'est un accroissement de l'influence étrangère. Pour arrimer ces pays à l'espace européen, il faut leur apporter un soutien au moyen de politiques concrètes. À défaut, la Turquie, la Chine, la Russie prendront la place.

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