Le but demeure que ces pays deviennent membres à part entière de l'Union européenne. Il faut néanmoins admettre que le processus d'intégration est fastidieux, long et frustrant, sans pour autant protéger ces États de l'influence étrangère.
Il faut réfléchir de manière pragmatique. On constate que les jeunes éduqués quittent leur pays, que le brain drain – la fuite des cerveaux – est massif, parce que la jeunesse n'a pas les ressources pour se former, innover, créer des entreprises. En faisant de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation le deuxième bloc de réformes après l'État de droit, en rendant ces pays éligibles au programme-cadre Horizon Europe, on pourrait retenir une bonne partie de cette population.
Le troisième principe est la réversibilité. Dès lors qu'on s'engage dans un processus où l'adoption d'une réforme donne accès à une politique européenne, l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement qui n'aurait pas pour priorité l'adhésion va faire perdre à ses citoyens l'accès à de telles politiques. Il y a alors un coût à ne rien faire, ce qui change profondément la dynamique de construction collective au regard de l'élargissement.
La Commission, avec laquelle nous avons eu des discussions de très bonne qualité, entend présenter d'ici à la fin du mois de janvier des propositions de révision du processus selon les trois principes que je viens de décliner. Beaucoup de pays y voient un intérêt en ce que cela permettrait de limiter l'influence étrangère, une préoccupation pour nombre d'entre eux. C'est fantastique d'envoyer 6 000 questions juridiques sur l'organisation des marchés publics et le recrutement des fonctionnaires, mais cela n'apporte rien de concret, alors même que les puissances étrangères qui veulent s'implanter localement et faire jouer leur influence trouvent place nette.
Nous travaillons donc sur ce sujet avec la Commission et le soutien de nombreux États membres. L'Italie et l'Autriche ont fait une proposition un peu différente mais dont l'objectif est assez convergent avec l'idée d'une accession graduelle. Nous travaillons également avec la Macédoine du Nord et l'Albanie pour avancer sur les réformes qui ont été demandées en juin 2018 et dont certaines n'ont pas encore abouti.
Nous souhaitons que le sommet de Zagreb soit un succès. À cette fin, il faudrait que le processus soit davantage piloté politiquement, mieux tenu. L'intégration ne peut pas être présentée aux Français, aux Européens comme un toboggan automatique qui se déploierait après avoir appuyé sur un bouton. Il faut faire en sorte que les populations en bénéficient tout au long du processus, que celui-ci puisse être suspendu, ou qu'on revienne en arrière si la situation se dégrade, notamment au regard des exigences de l'État de droit.
Vous m'avez interrogée sur la reconduite par l'UE des sanctions contre la Russie dans le cadre des accords de Minsk. Depuis 2014, ces mesures sont prorogées tous les six mois en raison de la situation en Crimée et d'un défaut de mise en œuvre des accords. Les sanctions ne sont pas une fin en soi, la logique n'est pas punitive. Le sommet au format Normandie – réunissant la France, l'Allemagne, la Russie et l'Ukraine – qui s'est tenu le 9 décembre à Paris pour la première fois depuis trois ans ouvre une voie. Ce sont des petits pas, mais qui vont dans le bon sens.
Nous n'entendons pas faire preuve de naïveté dans notre dialogue avec la Russie. Il reste néanmoins nécessaire de bâtir une nouvelle architecture de sécurité et de confiance avec ce pays, et pour cela de s'inscrire dans le cadre des cinq piliers de la relation UE-Russie. L'envoyé spécial Pierre Vimont travaille à Moscou avec toutes les autorités russes sur les engagements pris à l'issue de la rencontre entre le président Poutine et le président français à Brégançon. Sa fonction est d'être en permanence en lien avec les différentes capitales pour répondre aux éventuelles questions, et son aide a été très appréciée à Berlin. En toute transparence, le Président de la République fait état de ces discussions à ses homologues, chefs d'État et de gouvernement, au sein du Conseil européen.
L'intérêt des sanctions est qu'on puisse un jour les lever, sans quoi elles perdraient tout caractère incitatif. Notre objectif n'est donc pas de punir la Russie indéfiniment. Nous devons aller au bout de la voie tracée par le dernier sommet au format Normandie et faire en sorte que l'Ukraine retrouve pleinement le contrôle de son territoire au sein de ses frontières, ce qui suppose de franchir de nombreuses étapes ; la mise en œuvre de la formule Steinmeier, qui comprend la tenue d'élections, les échanges de prisonniers, le retrait des mines, la démilitarisation. Sur le statut de la Crimée, un important travail doit encore être réalisé avec le président Zelensky. Nous ne lèverons pas les sanctions tant que nous n'aurons pas obtenu d'avancées concrètes.
Pour répondre à vos questions sur le Brexit, monsieur Dumont, j'annonce tout d'abord très solennellement que la France fait du sujet de la pêche et de l'accès aux eaux territoriales une condition essentielle d'approbation de l'accord. Voilà un message clair à transmettre aux députés de Boulogne-sur-Mer, de Calais et de toute la façade maritime de la Manche et de l'Atlantique. Didier Guillaume a quant à lui rencontré à de nombreuses reprises les représentants de la filière pêche.
Un accord a été trouvé la nuit dernière sur les taux autorisés de capture (TAC) et les quotas nationaux pour l'année 2020. Parce qu'il s'agit d'une année de transition pour le Royaume-Uni, celui-ci appliquera les règles au même titre que les États membres ; voilà une autre information importante à relayer sur vos territoires. Le taux est en hausse pour les espèces dont les stocks suivent une tendance positive, il est plus restreint pour les espèces à fort enjeu économique. Les négociations ont été difficiles, mais l'accord trouvé me semble satisfaisant.
Quant à l'accès aux eaux territoriales, il est maintenu jusqu'à la fin de la période de transition. C'était tout l'intérêt d'obtenir une sortie ordonnée de l'Union. Si cela se confirme, donc, jusqu'au 31 décembre 2020, les pêcheurs auront accès aux eaux territoriales dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui. Je vous enjoins à bien faire entendre ce message, car il y va de la survie de plusieurs activités économiques.
L'Union européenne est un cadre qui empêche le règne de la guerre de tous contre tous. Nous serons donc très vigilants pour que les contrôles des points d'entrée dans le marché intérieur soient effectués partout de la même manière. Agir différemment à Rotterdam, à Hambourg, à Dunkerque, Calais, ou Marseille n'aurait aucun sens.
S'agissant du duty-free, s'il est autorisé dans les zones de transit maritime et aérien, il ne l'est pas dans les gares. Pour l'autoriser à bord de l'Eurostar, il faudrait modifier une directive à l'unanimité. Nous sommes en phase de discussion avec la Commission sur ce sujet. Une telle mesure devra être adaptée à l'accord de sortie qui sera trouvé. Le préfet Michel Lalande, préfet de la région Hauts-de-France, est territorialement compétent sur ce sujet. À présent que le scénario de sortie se précise, les discussions vont reprendre. Je me charge donc de lui transmettre votre question pour obtenir des éclaircissements. Moi qui ai grandi à Calais, comme vous le savez, je vois bien à quoi vous faites référence s'agissant des zones d'activités de Coquelles et de la route vers Boulogne-sur-Mer.
Pour terminer, je souhaiterais compléter ma réponse à vos questions sur la Pologne, madame de Courson. Il faut à la fois de la solidarité et de la souveraineté. Comme je l'ai rappelé, le bouquet énergétique de ce pays est dix fois plus carboné que le nôtre. Pour être souverains, c'est-à-dire pour atteindre les objectifs fixés ensemble, nous devons débloquer des moyens, mettre en œuvre des politiques publiques et prévoir un accompagnement, ce qui suppose une relation de confiance.