Merci de me recevoir. Je ne suis député européen que depuis 6 mois. Malgré cela, il m'a été demandé d'être rapporteur général du budget 2021. Nous négocions en même temps le cadre pluriannuel et le budget 2020-2021, qui est la première année du cadre pluriannuel et du financement du green deal.
Je suis très heureux que vous m'ayez invité car nous cherchons des alliés. Nous savons que cette année sera très compliquée avec la négociation du budget. En tant que rapporteur général du prochain budget, je me rends tous les mois à Berlin. L'Allemagne a peur d'avoir le mauvais rôle. Elle a peur que nous ne trouvions pas de solutions. Nous avons vu ce qu'il s'est passé la semaine dernière avec la méthode de Charles Michel. Parallèlement, la négociation du Brexit se poursuit. Jusque-là, les 27 États membres sont restés unis, mais beaucoup ont peur qu'ils finissent par se déchirer.
Le green deal a provoqué un très grand enthousiasme, notamment lors de la Conférence sur le climat de Madrid. Tout le monde regarde l'Europe. Si elle réussit le green deal, cela aura un véritable effet d'entraînement. A contrario, s'il apparaît, dans 3 ou 6 mois, que ce projet n'est pas financé, ce sera pire que tout. Aujourd'hui, il n'y a pas d'argent. La Commission européenne elle-même dit qu'il manque entre 400 et 700 milliards d'euros chaque année pour réussir le green deal.
Nous avons donc trois grands chantiers à traiter : le budget, le Brexit et le green deal.
Le budget qui nous est proposé est tout à fait inacceptable. Le budget de la politique agricole baisserait de 14 % et celui de la cohésion de 13 %. Le budget de la recherche diminuerait également. Aucun de nous ne peut accepter un tel recul. Par ailleurs, il n'y a toujours rien sur le green deal, qui était pourtant la grande ambition il y a 2 mois.
Avant même d'être officiellement député européen, j'avais assisté à la dernière réunion de la commission du budget du mandat précédent, au mois de juin. Jean Arthuis, qui faisait ses adieux au Parlement européen, s'y est exprimé très librement. Il a notamment expliqué que la commission du budget ne servait à rien depuis 5 ans, que les chefs d'État n'avaient de cesse de raboter les propositions du Parlement européen, comme s'ils voulaient être sûrs qu'entre les États-Unis et la Chine, jamais aucune puissance politique européenne ne puisse émerger. Pour Jean Arthuis, tout ceci n'est pas sérieux. Il a estimé nécessaire de trouver un ou deux sujets qui embarqueraient les citoyens afin que le Parlement soit capable de provoquer une crise clarificatrice, puisque le Brexit n'a pas suffi pour cela. Il ne faut pas en avoir peur. Cela fait 30 ans que le Mur de Berlin est tombé. Il est urgent de redéfinir le projet européen. Le budget n'est pas un évènement technique : c'est un acte politique. À Londres, le Parlement est devenu un vrai parlement lorsqu'il a provoqué une crise pour obtenir des ressources nouvelles. Aujourd'hui, le Parlement européen n'est pas un parlement. Nous n'avons que très peu de pouvoir sur les questions budgétaires.
Le dernier budget a été voté par des députés de 5 groupes. Nous avions obtenu 1,9 milliard d'euros de plus que ce que les chefs d'État voulaient donner. Il faut garder cette unité autour d'objectifs forts. Si je suis ici, c'est parce que nous avons besoin d'alliés en France et en Allemagne, dans les parlements comme dans la société civile. Comme le disait Jean Arthuis, nous devons trouver un ou deux sujets qui parlent aux citoyens.
Officiellement, tout le monde veut plus d'Europe pour le green deal, l'innovation, la recherche et la protection des frontières, mais « pas avec mon argent ». La question des ressources propres est fondamentale pour débloquer la situation et conserver les missions classiques de l'Europe.
Le climat est le sujet qui peut nous permettre de rassembler et de débloquer la situation. Depuis 2 ans, Jens Weidmann, le patron de la Bundesbank, ne fait que dire non à tout budget supplémentaire, à deux exceptions : la protection de l'environnement et la protection des frontières. Sur ces sujets, Jens Weidmann admet la nécessité d'un transfert de compétences, d'un budget plus important et d'instruments fiscaux. Il en va de même pour Mark Rutte, Premier ministre des Pays-Bas. C'est au nom du climat que nous pouvons rassembler. Les députés de six tendances politiques, l'ensemble des syndicats européens et des climatologues ont signé un appel que je vous proposerai de rejoindre. Si nous pensons que l'Europe est à un moment critique, c'est maintenant que nous devons unir nos forces.
Le climat est le sujet le plus important pour l'avenir de l'humanité. Le Sahel vit sa plus grave sécheresse depuis 1 600 ans. Chaque semaine, nous connaissons des évènements climatiques extrêmes. Récemment, 10 personnes sont mortes en Espagne en raison d'inondations. Jeunes ou vieux, riches ou pauvres, tout le monde est concerné.
Il est tellement question du climat que nous pourrions penser que le problème est quasiment réglé. Ce n'est pas le cas. L'évolution de la quantité de CO2 dans l'atmosphère est effrayante. Elle est trois fois plus rapide que dans les années 60. Malgré toutes les conférences, ce que nous faisons chez nous et dans les territoires, le problème ne se résorbe pas : il s'aggrave. Nous sommes dans un cercle vicieux : le réchauffement climatique provoque de plus en plus de feux de forêt, qui envoient du CO2, lequel accélère le réchauffement climatique. Les climatologues nous alertent depuis 40 ans. Il est urgent d'agir. Dans ce contexte, le discours de Mme von der Leyen a retenti aux quatre coins de la planète. Tout le monde sait bien qu'il ne se passera rien avec Donald Trump. Dès lors, les regards sont tournés vers l'Europe et son green deal. La Banque mondiale annonce 150 millions de réfugiés climatiques dans les 30 ans, dont 90 millions venant d'Afrique.
Il y a 3 ans, la récolte de blé a baissé de 30 % en France et en Belgique en raison des inondations. Heureusement que l'Ukraine avait réalisé une très bonne récolte. Ne nous pensons pas à l'abri. Nous aurons de très graves problèmes si, la même année, l'Ukraine et la France sont touchées par la sécheresse ou les inondations. Au-delà de cela, nous savons que nous aurons, dans 30 ans, des problèmes de canicule, d'accès à l'eau et donc de réfugiés. Il est donc urgent de réussir ce chantier. À présent, nous devons aller au-delà du très beau discours de Mme von der Leyen. Le green new deal est une référence au New deal de Roosevelt, qui a transformé un pays sinistré. Quinze réformes ont été votées en trois mois. L'Europe pourrait s'en inspirer pour innover dans sa manière de faire.
Comme Kennedy l'a fait en permettant le premier pas humain sur la lune grâce à un budget plus que décuplé pour la NASA, Roosevelt a redonné de l'espoir au peuple. Pour cela, il disposait de moyens : le budget fédéral a triplé en 4 ans. En Europe, le débat porte sur des chiffres dérisoires. Après Pearl Harbor, Roosevelt a de nouveau triplé le budget fédéral. Au total, il l'a multiplié par 12. Était-il fou ? Non. Il avait un grand projet. De notre côté, sommes-nous capables d'avoir des budgets européens qui permettent de poursuivre les missions importantes qui fonctionnent et d'investir pour le climat, la biodiversité et l'emploi ?
Le chantier est colossal. Il peut aboutir à des créations massives d'emplois. D'ailleurs, nous avons tous les syndicats européens avec nous. Mme von der Leyen a annoncé son intention de réduire de 50 % les émissions de CO2 d'ici à 2030. Cela suppose d'isoler la moitié des logements et des écoles partout en Europe dans les dix prochaines années, ce qui diminuera les dépenses de chauffage et accroîtra le confort. Il faut transformer les fermes, créer des transports en commun dans les zones peu denses. En France, l'ADEME estime que nous pourrions créer 900 000 emplois. En Europe, il est question de 5 millions d'emplois.
La précédente Commission européenne avait estimé qu'il manquait 260 milliards chaque année pour réduire de 40 % les émissions de CO2. Une autre étude de la Commission indique qu'il manque 530 milliards pour réduire les émissions de 47 %. À présent, l'objectif est une réduction de 55 % de ces émissions.
Comment trouver des sommes aussi considérables ? Pour le moment, nous avons mis sur la table une banque du climat qui, sans fonds propres nouveaux, pourrait réaliser 16 milliards d'euros de prêts supplémentaires. Il a également été question d'un fonds de transition juste doté de 7,5 milliards d'euros sur 7 ans. Avec cela, nous ne serons pas du tout à la hauteur. Par exemple, la Pologne possède 30 mines de charbon, et au moins 500 millions d'euros sont nécessaires pour chacune d'entre elles. Nous avons donc vraiment besoin d'innover. Prenons le temps de réfléchir plutôt que d'aller d'échec en échec. Nous ne sommes pas obligés de trouver un accord en mars. Nous sommes face à un enjeu nouveau. Aucun de nous ne possède toutes les solutions. Nous avons le droit de prendre 6 mois pour réfléchir tous ensemble.
Nous n'avons pas de baguette magique pour trouver des financements, mais il n'existe pas non plus de fatalité. En agissant sur six ou sept leviers, nous pouvons trouver les financements nécessaires. Dans l'appel que nous avons lancé avec des députés de six pays, des ONG et des think tanks, nous proposons trois outils supplémentaires.
Le premier est une vraie banque du climat qui soit capable d'octroyer 200 ou 300 milliards d'euros de prêts chaque année. C'est nécessaire pour isoler la moitié des logements dans les 10 ans, pour développer les transports en commun, les voies navigables, les énergies renouvelables et aider les agriculteurs. Des agriculteurs aimeraient faire du biogaz mais cela suppose un investissement de 500 000 euros. Ils sont prêts à se rassembler et à s'engager avec des financements européens et des débouchés assurés pendant 20 ans.
Aujourd'hui, il est prévu une banque du climat qui accorderait peut-être 16 milliards d'euros de prêts supplémentaires d'ici 3 ou 4 ans. C'est troublant car il n'y a jamais eu autant de liquidités. La Banque centrale européenne (BCE) a créé 2 600 milliards d'euros en 4 ans. Chaque mois, elle dispose de 100 milliards d'euros sur la table. Pendant ce temps, le Conseil européen se déchire pour trouver 100 millions. Rien dans les traités n'empêche d'utiliser cet argent de la banque centrale. Une fois que l'objectif de stabilité des prix est atteint, la politique monétaire doit être mise au service de l'ensemble des objectifs de l'Union européenne.
Un point fondamental tient aux fonds propres de la banque du climat. La banque centrale ne peut pas être actionnaire de la banque du climat. En revanche, elle peut apporter des quasi fonds propres sous forme de prêts subordonnés. D'après les règles prudentielles, 100 milliards d'euros de quasi fonds propres équivalent à 50 milliards d'euros de vrais fonds propres. Avec ces 50 milliards d'euros, la banque du climat pourrait accorder les 300 milliards d'euros de prêts nécessaires.
Le précédent quantitative easing avait représenté 2 600 milliards d'euros : 89 % sont allés à la spéculation et seuls 11 % à l'économie réelle. Le niveau de spéculation n'a jamais été aussi élevé qu'actuellement. Dans le même temps, on nous dit qu'il n'y a pas d'argent pour le climat et l'emploi. Tous les mois, le Fonds monétaire international (FMI) nous dit que nous allons vers une nouvelle crise, qui pourrait être dix fois plus grave que la crise de 2008. Comptons-nous rester sans rien faire ?
Le deuxième outil, c'est un vrai budget. L'isolation d'un logement coûte 20 000 euros. Nous n'allons pas demander à chaque famille ou à chaque village de trouver cette somme. Nous avons besoin d'un budget climat très important pour aider chaque famille, chaque village ou chaque petite entreprise. Nous demandons 100 milliards d'euros supplémentaires chaque année pour un budget climat spécifique.
Comment trouver cet argent dans le contexte du mouvement des « gilets jaunes » ? 30 % des Français et 30 % des Allemands sont dans le rouge chaque mois : il n'est pas question de leur demander un effort. Nous avons des propositions. La première est l'instauration d'une taxe kérosène. Il ne s'agit pas d'interdire l'avion, mais de mettre en place une taxe sur le kérosène, comme il en existe déjà au Japon ou en Arabie Saoudite. Cela rapporterait 12 à 15 milliards d'euros de ressources propres.
En 2005, Jacques Delors avait approuvé José Bové lorsque celui-ci avait suggéré la mise en place d'un impôt européen sur les bénéfices afin de freiner la concurrence fiscale entre États membres. 15 ans plus tard, la concurrence fiscale continue. L'impôt sur les bénéfices est tombé à 19 % en moyenne. Il fut un temps où il était à 45 %. Dans le même temps, les dividendes ont explosé. Le fait qu'il y ait des bénéfices est une bonne chose. La question est de savoir où vont ces bénéfices. Même le FMI estime que la part des bénéfices qui quittent l'économie réelle devient un vrai problème.
Nous proposons donc la création d'un impôt européen sur les bénéfices. Nous ne demanderons aucun effort aux petites entreprises (moins de 20 salariés). Cet impôt pourrait rapporter entre 70 et 90 milliards d'euros chaque année. Des personnalités aussi différentes qu'Alain Juppé, Pierre Laurent, Laurence Parisot ou le pape François soutiennent ce projet. Avec un vrai budget européen, nous pourrons apporter des aides aux familles et aux PME pour leurs travaux d'isolation.
Notre dernière idée est hors budget : il s'agit d'obliger les banques et les assurances à stopper leurs investissements fossiles et à réaffecter cet argent au green deal. En cela, nous nous inspirons de ce qu'a fait Barack Obama en 2010 par le Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) : aucune banque ne peut avoir d'activité aux États-Unis si elle n'est pas totalement transparente vis-à-vis de l'administration fiscale américaine. Imaginant une forme de FATCA climat, nous souhaitons qu'aucune banque ou assurance ne puisse travailler en Europe d'ici 5 ans si elle n'a pas cessé ses investissements fossiles et si elle n'est pas totalement transparente sur toutes ses activités.
Avec ces instruments financiers, nous disposerions d'un vrai financement pour le green deal et nous créerions 5 millions d'emplois en Europe. Nous pourrions également débloquer la négociation sur le cadre financier pluriannuel. L'idée est de continuer la négociation sur le CFP, tout en créant un budget spécifique au climat, avec des ressources propres. Nous avons les citoyens avec nous. D'après Bercy, ces différents instruments pourraient être mis en place en 18 mois. Si nous n'y arrivons pas à 27, nous pourrions instituer des coopérations renforcées. Pour Schengen ou la monnaie unique, nous n'avons pas attendu l'unanimité pour agir.
Merci de votre attention.