Intervention de Gwendoline Delbos-Corfield

Réunion du mercredi 29 avril 2020 à 16h30
Commission des affaires européennes

Gwendoline Delbos-Corfield, rapporteure au Parlement européen sur l'activation de l'article 7 contre la Hongrie :

. Je vous remercie pour votre invitation qui permet d'évoquer un sujet qui a mon sens n'est pas assez évoqué dans nos pays, alors qu'il nous concerne tous.

Une petite précision au préalable : selon notre comptage, ce sont seize États membres qui ont adopté des mesures d'urgence. Toutefois, quel que soit le nombre, c'est toujours la même problématique car le confinement et ce qu'il implique en matière, par exemple, de restriction aux libertés de circulation et de réunion, sans parler du futur traçage numérique des malades, est par principe antinomique avec les libertés fondamentales. Il exerce en outre de fortes contraintes sur les délais, ceux de la justice mais également les débats parlementaires. Toutefois, à l'exception de la Hongrie, le contrôle constitutionnel sur ces mesures a été maintenu, de même que le contrôle parlementaire.

La Hongrie, justement, est le seul État membre à avoir adopté une loi d'urgence sans limite de temps et sans obligation pour le gouvernement de rendre compte au Parlement. Cette situation est dans la droite ligne d'une détérioration de l'État de droit qui dure depuis une décennie. À ce propos, je rappelle que le Parlement européen, dès 2012, a alerté par ses résolutions sur la situation en Hongrie. En 2018, un cap a été franchi avec l'activation de l'article 7 du traité sur l'Union européenne. Le Parlement européen a soutenu celle-ci, ce qui n'était pas évident car, vous le savez, le parti au pouvoir à Budapest est membre du PPE.

Un nouveau rapport a été examiné à l'automne dernier sur la situation en Hongrie, nourri par de nombreux rapports d'ONG alertant sur la dégradation de la situation des droits fondamentaux dans ce pays. Par exemple, la fédération européenne des journalistes a montré que, bien qu'aucun journaliste ne soit emprisonné, la censure de la presse en Hongrie est équivalente à celle qui prévaut en Turquie ou en Russie. Elle s'appuie sur une concentration extrême des médias, pour la plupart possédés par des personnes proches du pouvoir, qui prennent leurs consignes auprès d'un organisme étatique. Les médias indépendants sont rares et sans moyens. Depuis l'adoption de la loi d'urgence, qui punit jusqu'à cinq ans d'emprisonnement la diffusion de nouvelles jugées fausses, l'autocensure est encore plus forte, au point que d'après un sondage, 50 % des Hongrois estiment ne plus vivre en démocratie.

S'agissant de la justice, une nouvelle réforme a été adoptée à l'automne, qui s'ajoute à beaucoup d'autres, l'instabilité constante nuisant évidemment à l'office des juges. Nombre d'entre eux, y compris ceux chargés du contrôle de constitutionnalité, ont été mis à la retraite de manière anticipée et remplacés par des juges choisis par le pouvoir.

L'indépendance de la recherche est également mise à mal. Une université a été déplacée en Autriche et les études sur la question du genre ne sont plus acceptées. Des attaques ont également été menées contre la culture, le programme des théâtres, par exemple, étant décidé par le gouvernement. Enfin, une loi ne permet plus aux associations de recevoir des financements étrangers, ce qui entrave leur activité.

La loi d'urgence est intervenue dans ce contexte déjà très dégradé. Il faut ajouter que les dernières élections municipales ont permis à l'opposition de remporter plusieurs grandes villes mais leurs moyens sont progressivement rognés par le pouvoir.

Quel est le raisonnement derrière cette loi d'urgence ? On peut en effet s'interroger puisque depuis sa réforme constitutionnelle, Viktor Orban dispose d'une majorité écrasante au Parlement qui ne lui a jamais rien refusé. Pourquoi dans ce cas ne pas revenir régulièrement devant lui et faire valider sa législation ? Peut-être y a-t-il la volonté d'instaurer un pouvoir solitaire, ou bien une certaine méfiance vis-à-vis de ses propres parlementaires.

J'attire aussi votre attention sur le traitement qui est fait aux parlementaires d'opposition. Récemment, un article a été publié sur l'une d'elles, dans un journal pro-gouvernemental. Il était écrit que cette personne avait été fabriquée dans un laboratoire étranger et qu'elle s'était introduite au Parlement à la manière d'un cafard pour empoisonner la vie politique. Ce genre d'attaque est de plus en plus fréquent, qui prend aussi la forme d'affiches accusant l'opposition de traîtrise ou de tweets odieux, ce qui nous rappelle à tous de sombres souvenirs.

Dans ce contexte, que faire ? Le travail de prise de conscience est essentiel. Il est temps également d'isoler la Hongrie, mais aussi la Pologne, au sein du Conseil. La France fait partie des États membres les plus actifs mais beaucoup d'autres restent passifs. Enfin, il faut réfléchir à des sanctions plus efficaces, comme la suspension du versement des fonds structurels en cas de violation de l'État de droit.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.