Intervention de Gwendoline Delbos-Corfield

Réunion du mercredi 29 avril 2020 à 16h30
Commission des affaires européennes

Gwendoline Delbos-Corfield, rapporteure au Parlement européen sur l'activation de l'article 7 contre la Hongrie :

Je vais commencer par un constat : aucun dispositif juridique n'est totalement efficace sans volonté politique. Le cas de la Hongrie l'a démontré : il ne s'est rien passé après que le Parlement européen ait déclenché la procédure de l'article 7. Les choses n'ont évolué que par la volonté de la présidence finlandaise de l'Union.

Il y a une différence de traitement très nette entre la Hongrie et la Pologne pour plusieurs raisons. Premièrement, c'est le Parlement européen qui a activé l'article 7 à l'égard de la Hongrie, et la Commission européenne à l'égard de la Pologne, dans cet ordre chronologique. Or dans la jeune démocratie qu'est l'Europe, mais aussi pour beaucoup d'États membres, dont la France, le Parlement n'est pas aussi important que l'exécutif.

Deuxièmement, le gouvernement hongrois dispose de juristes d'une très grande qualité, ce qui n'est malheureusement pas le cas de la Pologne. La Hongrie fait en outre moins de provocations que la Pologne. Certaines dispositions prises par la Pologne sont tellement provocantes qu'il est beaucoup plus facile d'agir pour la Commission.

Troisièmement, le Fidesz fait partie du PPE, à la différence de Droit et justice (PiS) en Pologne. Je pense que le Fidesz contrôle beaucoup plus le PPE que le PPE ne contrôle le Fidesz. Ce n'est pas seulement un problème au Parlement européen, mais également dans les rapports entre les gouvernements. C'est également un problème pour la Commission et pour certains hauts fonctionnaires. Les experts de la Commission et du Parlement européen nous invitent toujours à être extrêmement timides par rapport à la Hongrie ; ils sont beaucoup plus inventifs à l'égard de la Pologne. Je pense qu'il y a une volonté de préserver un parti membre du PPE, ce qui est un réel problème. Treize délégations du PPE ont demandé l'exclusion du Fidesz, d'autres sont contre comme les Républicains. Pour beaucoup de nos collègues (finlandais, danois, suédois, irlandais, portugais, etc.) il devient extrêmement compliqué de compter le Fidesz dans les rangs du PPE.

La fragilité de l'article 7 est réelle, mais il reste important que cette procédure existe. Il ne faut pas tomber dans le relativisme qui consiste à dire que nous avons tous des problèmes d'État de droit.

J'aime donner l'exemple que même les pays nordiques ont, eux aussi, des problèmes avec leurs minorités autochtones. L'indépendance du procureur, en Allemagne comme en France, fait débat et certains États membres refusent d'appliquer le mandat d'arrêt européen pour cette raison. Toutefois, si l'on commence à dire que même les pays les plus exemplaires ne le sont finalement pas tant que cela, je pense que l'on rentre dans un jeu dangereux. Certes, nous avons des différences de cultures et de traditions juridiques mais certaines choses les dépassent. Or, très clairement, en Pologne et en Hongrie, une borne a été franchie qui a justifié le déclenchement de l'article 7.

En Hongrie, la question n'est pas le contenu de la loi d'urgence mais le fait que celle-ci n'a pas de fin. En d'autres termes, le gouvernement fait sciemment fi du Parlement et ne se sent aucunement tenu de lui rendre des comptes. En cela, la loi d'urgence hongroise est très différente de ses équivalentes dans les autres États membres qui, toutes, permettent un contrôle du citoyen et du Parlement.

Les trois institutions européennes réfléchissent actuellement à évaluer le respect de l'État de droit au sein de l'Union européenne. Le commissaire à la Justice, M. Didier Reynders, va présenter très prochainement ses propositions, lesquelles devraient consister en un rapport annuel analysant dans l'ensemble des États membres l'indépendance de la justice et des médias ainsi que le niveau de corruption. Le Conseil, notamment sous sa présidence allemande, soutiendrait au contraire un rapport plus approfondi, traitant de plus de questions, mais ciblé sur quelques États membres. Quant au Parlement européen, la réflexion est toujours en cours. Je note pour ma part qu'il est étonnant d'avoir attendu 2020 pour mettre en œuvre un tel mécanisme, le cas échéant assorti de vraies sanctions, notamment la suspension du versement des fonds structurels, alors qu'il existe depuis très longtemps en matière budgétaire.

L'Union européenne est-elle impuissante ? La réponse est nuancée. Je rappelle que l'Union est une démocratie très jeune et que des instruments comme l'article 7 ou l'article 50 ont été intégrés dans le traité de Lisbonne sans que jamais personne n'imagine qu'ils puissent être un jour activés. La rédaction de ces deux articles est donc très lapidaire et leur mise en œuvre n'a pas de « mode d'emploi ». On peut y voir une impuissance mais également une certaine puissance car les réflexions sont très intenses sur la manière de les utiliser, ce qui est la preuve d'une démocratie en marche. Par ailleurs, le traité de Lisbonne a d'autres défauts qui affaiblissent la démocratie européenne : le Parlement européen, malgré le renforcement de ses pouvoirs, n'en a que très peu et l'unanimité prévaut encore au Conseil dans de nombreuses matières.

Sur les questions budgétaires, le CFP se vote à l'unanimité mais dans le domaine budgétaire, de très nombreuses dispositions se votent à la majorité qualifiée. Il est donc possible d'avancer.

La Hongrie et la Pologne, malgré leurs réticences, vont finir par accepter une allusion à la conditionnalité du versement des fonds européens au respect de l'État de droit. À vrai dire, la situation actuelle n'arrange personne. Certes, certains États membres comme l'Allemagne ont des liens économiques, historiques et diplomatiques avec eux et cherchent à les préserver ; l'Autriche quant à elle n'a pas signé la lettre des États membres appelant au respect de l'État de droit, qui ne citait pas la Hongrie (qui l'a d'ailleurs très cyniquement signée) car les infirmières viennent de ce pays. De même y a-t-il une certaine solidarité des pays de l'Est entre eux. Toutefois, cela ne veut pas dire que les gouvernements comme les populations partagent le point de vue hongrois. La Hongrie ne prend pas sa part au fardeau migratoire et, avec la Pologne, s'opposent aux autres États membres sur les questions climatiques. Il faut donc un travail de prise de conscience et de pression, qui implique du courage politique.

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