Intervention de Philippe Dam

Réunion du mercredi 29 avril 2020 à 16h30
Commission des affaires européennes

Philippe Dam, directeur du plaidoyer pour l'Europe et l'Asie centrale de l'association Human Rights Watch :

. Il me semble important de souligner qu'en matière d'article 7, ce sont les États membres qui aujourd'hui sont à la manœuvre. Ils ont un rôle bien plus important que la Commission, sans parler de celui du Parlement européen. Donc si la procédure n'avance pas, ou avance bien plus lentement que la dégradation de la situation en Hongrie et en Pologne, c'est de la responsabilité des États membres plus que des institutions européennes. Certes, ceux qui disent que la décision sur les sanctions ne pourra jamais être adoptée faute d'unanimité ont raison mais il n'empêche. Une majorité des quatre cinquièmes reste possible pour qu'une nouvelle étape soit franchie dans la procédure.

S'agissant du mécanisme d'évaluation de la situation des droits fondamentaux dans les États membres, nous connaissons la proposition de la nouvelle Commission européenne, qui a notamment prévu une cartographie des mesures d'urgence mises en œuvre par les États membres. Toute mesure qui permet de renforcer le consensus sur ce qui est acceptable en la matière va dans le bon sens mais ne saurait se substituer à des outils focalisés sur certains États membres qui ont franchi la ligne rouge. L'Union européenne est un club qui s'est engagé à défendre la démocratie et le pluralisme. Des outils doivent donc être créés qui permettent de faire pression sur ceux qui ne respectent pas les « règles du club », parmi lesquels la Hongrie et la Pologne.

Pierre-Henri Dumont a raison lorsqu'il affirme que la démocratie est le respect de la volonté du peuple mais la démocratie est aussi le respect des contre-pouvoirs. Alors certes, l'opposition a remporté plusieurs grandes villes aux dernières élections municipales en Hongrie mais il a été rappelé comment le gouvernement, dans la loi d'urgence, a rogné leurs moyens. Il faut que tous, au niveau européen comme national, prennent conscience du double langage de la Hongrie : très mesuré à Bruxelles mais très agressif sur le terrain. Vous avez aussi fait, M. Dumont, le rapprochement entre la critique de la politique migratoire et celle du respect de l'État de droit. En réalité, c'est Viktor Orban lui‑même qui a utilisé la politique migratoire pour justifier de très nombreuses mesures liberticides, dont celles criminalisant l'activité des ONG pour les empêcher de dénoncer une politique cruelle, annihilant l'asile, généralisant la détention des migrants et allant jusqu'à leur refuser la nourriture. Cette politique doit être évaluée en tant que telle par tous les partis politiques et les principes démocratiques du PPE doivent conduire à la critiquer.

Si cette commission décide d'inviter l'ambassadeur hongrois à témoigner, je pense qu'il serait intéressant d'avoir aussi des experts indépendants d'organisations internationales : potentiellement, la commissaire du Conseil de l'Europe sur les droits de l'Homme, le représentant spécial sur la liberté des médias de l'OSCE, ou certains rapporteurs des nations unies. Encore une fois, je pense qu'il est important d'avoir des voix indépendantes pour contrecarrer ce qui est quasiment devenu une propagande officielle.

N'oublions pas que nous parlons d'un pays qui a été classé 83e dans le classement de RSF, après le Kirghizistan, la Gambie, la Sierra Léone. C'est le dernier européen sur cette liste. La raison pour laquelle la situation est si dramatique est que, lorsqu'on regarde les principaux médias, publics ou privés, on entend une rhétorique qui dénonce les migrants, M. Soros, les « traîtres à la nation », comme étant responsables des critiques européennes envers la Hongrie. C'est la réalité du paysage médiatique actuellement.

En réponse à la question de Mme Obono, il faut effectivement que la conditionnalité des fonds européens se fasse de manière très prudente, afin que les citoyens ne soient pas impactés négativement par la redirection ou la suspension des financements. Des études d'impact sont nécessaires pour établir quels financements peuvent être coupés sans affecter les droits économiques et sociaux des résidents de ces pays. Certaines pistes doivent être approfondies, comme la diversification des cas de gestion partagée entre la Commission européenne et les États concernés.

Cette préoccupation ne doit pas être une raison de ne pas renforcer la pression sur les gouvernements qui font un mauvais usage des fonds. Parfois, en les détournant, ils compromettent eux-mêmes les droits économiques et sociaux. On peut citer la fin du financement, par les autorités publiques polonaises, d'ONG promouvant les droits des femmes, alors même que les fonds étaient en partie européens.

Pour conclure, je crois que ce débat représente le questionnement qu'on doit avoir sur l'avenir de l'Union. Voulons-nous d'une Union européenne où la rhétorique politique est très agressive, ou bien voulons-nous d'un espace où le débat politique est ouvert, où la diffamation des médias, des associations, des critiques ne rythment pas la vie politique ? Il faut une réponse rapide et forte des leaders européens comme nationaux.

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