. Sur le plan de la conjoncture économique et de la photographie des effets du confinement, la Banque de France constate une perte d'activité de 5,8 % sur les trois premiers mois de l'année, liée à la baisse de 32 % sur la période de quinze jours de confinement au mois de mars. Les effets seront mécaniquement plus lourds au deuxième trimestre. Nous publierons nos estimations le 12 mai. Il est, selon nous, encore trop tôt pour tirer une prévision de la récession en 2020 et du rebond espéré en 2021. Les variables temps et vitesse du redémarrage sont essentielles. Les autres pays européens sont durement freinés, mais la France l'est davantage que l'Allemagne. Il semblerait même que l'Espagne et l'Italie sont moins touchés que la France où le recours au chômage partiel est nettement plus fort et le système d'indemnisation plus généreux.
Lors de la sortie du confinement, il sera essentiel pour notre santé économique que la France retrouve sa pleine capacité de travail en assurant la protection de l'ensemble des salariés.
La Banque de France a immédiatement mobilisé ses activités sur cinq fronts :
– l'accompagnement des ménages en difficulté ainsi que des TPE et PME. Le rôle de la médiation du crédit est essentiel, avec 200 saisines par jour, très majoritairement de TPE. En une semaine, nous enregistrons plus de dossiers de médiation qu'en 2019, mais ces dossiers représentent moins de 1,5 % des demandes de PGE ;
– les besoins en matière de monnaie fiduciaire, auxquels nous avons répondu sans difficulté ;
– l'analyse économique et la politique monétaire ;
– le suivi attentif des marchés et de leur fonctionnement, essentiel au financement des entreprises et des États ;
– la surveillance de la solidité financière des banques et des assurances.
Le Conseil des gouverneurs de la BCE est en première ligne de la réponse européenne. Entre le 12 et le 18 mars, la réponse massive en liquidités potentielles aux entreprises et aux États a permis d'assurer une augmentation des crédits des entreprises de 7,5 % et d'en stabiliser le coût. Jeudi dernier, le Conseil des gouverneurs a affirmé qu'il serait aussi flexible que requis, notamment pour éviter la fragmentation de la zone euro par des augmentations de taux d'intérêt qui seraient injustifiées dans certains pays, mais aussi qu'il serait aussi innovant que nécessaire sur les instruments. Hier, il a pris note du jugement de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. Selon moi, nos actions passées sont proportionnées à notre mandat – comme l'a indiqué la Cour de justice de l'Union européenne en décembre 2018 – et notre détermination à assurer ce mandat est totale.
Critiquer l'indépendance de la Banque centrale et son mandat fondé sur la stabilité des prix me semble inutile, car elle a démontré sa capacité à innover et à agir rapidement dans le cadre de son mandat, et dangereux, car l'indépendance et le mandat – inscrits dans le traité – fondent juridiquement notre action ; plus encore, ils sont le fondement de la confiance des Européens dans leur monnaie. Juridiquement et fiduciairement, nous ne pouvons pas annuler les dettes publiques. Le soupçon de dominance budgétaire créerait une défiance vis-à-vis de la monnaie, à un coût économique considérable. L'indépendance et la stabilité des prix ne font en rien obstacle à une action puissante. Au contraire, notre définition de la stabilité des prix est une inflation inférieure à mais proche de 2 % à moyen terme. L'objectif n'est pas un plafond. L'inflation s'établit à 0,4 % en zone euro, à 0,5 % en France et devrait rester inférieure à 1 %. Le choc est désinflationniste en raison des bas prix du pétrole et d'une demande qui risque de repartir plus lentement que l'offre. Nous devrons soutenir la reprise par des taux d'intérêt bas et des liquidités abondantes pendant longtemps.
Quelles conditions pour la reprise ? Le rebond prendra du temps et supposera, au‑delà de l'urgence de l'acte I, des actions d'accompagnement patientes et sélectives. Un retour à une meilleure fortune économique passe par des réassurances. Il faut restaurer la confiance des ménages, dont certains, plus fragilisés, doivent bénéficier d'une indispensable solidarité. Leur consommation aura reculé plus que leurs revenus pendant le confinement, conduisant à une épargne forcée d'au moins 15 milliards d'euros en mars et probablement à une soixantaine de milliards d'euros d'ici à la fin mai. Il s'agit de transformer cette réserve en consommation, donc en croissance qui, plus que par le pouvoir d'achat, passe par la confiance économique – ce qui nécessite d'écarter à court terme les effets récessifs que pourraient avoir des hausses d'impôts sur les ménages. Si, toutefois, une mesure fiscale était envisagée, des incitations temporaires et ciblées à consommer rapidement leur épargne seraient à privilégier.
La sortie du confinement sera périlleuse, car des pertes de chiffres d'affaires irrattrapables dégradent la solvabilité. La dette globale des entreprises a augmenté de 32 milliards d'euros, soit + 2 % au cours du seul mois de mars. L'aide aux entreprises devra donc, en partie, réorienter les prêts de l'acte I vers des quasi-fonds propres. Toutefois, afin d'éviter les effets d'aubaine, efficacité devra rimer avec sélectivité.
Parmi les pistes, citons l'imputation immédiate des pertes de 2020 sur l'impôt sur les sociétés de 2019 et des années antérieures ; l'apport d'aides aux secteurs durablement touchés ; la recapitalisation publique des entreprises cotées si elles sont viables. Pour les aides aux PME, des prêts participatifs pourraient intervenir. Enfin, plusieurs économistes proposent un fonds européen de recapitalisation temporaire lié à la Banque européenne d'investissement qui présenterait l'avantage d'assurer une meilleure égalité de concurrence entre les pays, en évitant que les moins endettés aident davantage leurs entreprises, et d'accorder le Nord et le Sud de l'Europe pour dépasser un débat stérile entre prêts et dons.
S'agissant de la soutenabilité de la dette publique en France, l'amortisseur public absorbe environ 60 % du choc total, le solde revenant principalement aux entreprises et à hauteur de 5 % aux salariés. Mais l'amortisseur a un prix et la dette publique augmentera d'au moins 17 points de PIB, à 115 % fin 2020. L'après-confinement sera donc un défi pour les finances publiques, entre reprise rapide à préserver et soutenabilité durable à assurer.
Un traitement séparé de la dette héritée de la crise par un cantonnement partiel a pour seul mérite de repousser son amortissement. À l'inverse, la dette associée à la relance, mutualisée avec les pays les plus solides, serait une piste. Cette idée française prendrait la forme d'un fonds européen qui mutualiserait de nouveaux programmes d'investissement, par exemple pour le climat, et offrirait une meilleure traduction de la solidarité européenne.
Dans la durée, la croissance devra financer la dette, d'où la nécessité de trouver un équilibre de la politique budgétaire, ces réglages relevant du Gouvernement et du Parlement.
À court terme, un déficit élevé est souhaitable pour contrer la récession, mais il convient de prioriser les dépenses temporaires, voire de rendre les dettes réversibles ; en revanche, il faut éviter les dépenses ou les baisses d'impôts permanentes qui pèseraient de façon injustifiée et ne pas resserrer prématurément la politique budgétaire.
À moyen terme, nous devrons revenir à une politique budgétaire plus sélective et à des dépenses publiques plus efficaces. Nous devrons privilégier les investissements porteurs d'avenir, en faveur de l'éducation, de la formation professionnelle et d'un travail qualifié, clé de la croissance et de l'emploi à long terme.
Entre 2016 et 2019, nous avons créé un million net d'emplois supplémentaires. C'est en retrouvant ce fil que nous surmonterons cette rude épreuve.