Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du mercredi 6 mai 2020 à 15h30
Commission des affaires européennes

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

Lundi soir, 460 000 demandes de PGE avaient été présentées, à hauteur de 86,4 milliards d'euros. Elles émanent à 90 % de TPE, pour 52 % de ce montant. Ce dispositif a donc atteint sa cible. Les banques jouent le jeu et la Banque de France son rôle de garde-fou. Le taux de refus est de 2,4 %.

La médiation est assurée dans les départements par le directeur de la Banque de France. Les entreprises y recourant sont majoritairement des TPE. Arrivés massivement ces trois dernières semaines, les dossiers se stabilisent à un millier par semaine. En raison du décalage de temps de traitement, le taux de succès de la médiation, de plus de 60 % l'an dernier, n'est pas encore connu. Il sera sans doute moins élevé cette année, en raison de la complexité des dossiers.

La question des 25 % de chiffre d'affaires n'est pas encore remontée auprès de la Banque de France. Je prends note de votre alerte. Pour ma part, je relève que les assureurs crédit nous semblent moins jouer leur rôle dans la crise malgré les dispositifs CAP et CAP+. Nous entamons un dialogue actif pour qu'ils prennent leur part.

La solidité des banques me paraît plus forte qu'en 2008. Les dispositifs de renforcement du capital des banques sont très efficaces. Si les résultats du premier trimestre des banques françaises ont été affectés, nous ne notons ni tension sur la liquidité ni défiance des clients. Fort heureusement, l'effort de régulation a été tenu dans la durée.

Le bilan de l'Eurosystème représente un peu plus de 45 % du PIB de la zone euro ; celui de la Réserve fédérale 39 % du PIB américain. À l'inverse, celui de la banque centrale japonaise se situe autour de 100 %. Il n'existe pas de plafond théorique, la limite étant l'efficacité de la politique monétaire. Même si l'idée est séduisante, la BCE ne peut annuler de dette publique ni acheter toute la dette publique. Il faut qu'une majorité d'investisseurs privés en achète, créant une forme d'équilibre des émissions des États.

La dette publique doit être remboursée. Cela ne signifie pas que nous ne puissions pas réinvestir. Si nécessaire, la BCE peut aller plus loin pour remplir ses deux grandes missions que sont la stabilité des prix – avec une inflation proche de 2 % – et la bonne transmission de la politique monétaire, et soutenir des conditions de financement favorables à l'ensemble des acteurs, entreprise et ménages, à travers les banques et les marchés.

L'avenir dira s'il est besoin d'autres atouts ou d'autres instruments. Il y a quelques mois, on considérait qu'en raison des taux bas, les banques centrales pouvaient difficilement faire davantage. La BCE et la Federal Reserve américaine ont montré que c'est toujours possible. Les limites tiennent à l'idée qu'il faut des investisseurs privés, mais si la bonne transmission de la politique monétaire le requiert, nous pouvons faire preuve de flexibilité. C'est l'esprit qui a présidé en mars au programme exceptionnel de 750 milliards d'euros.

J'invite à la prudence face à l'idée séduisante de la dette perpétuelle car les investisseurs doivent alors prêter aux États sans perspective de remboursement, induisant un coût et des taux d'intérêt significativement plus élevés que des dettes à dix ans ou trente ans. Il existe des dettes à long terme et des capacités de réinvestissement, mais la dette perpétuelle ne me semble pas une solution universelle, ni opérationnelle.

La Banque d'Angleterre dispose d'une facilité de financement à très court terme. Destinée à être remboursée dès la fin de l'année, elle correspond davantage à une facilité de gestion de la trésorerie de l'État. Tant le gouvernement britannique que la Banque d'Angleterre réfutent le qualificatif de financement monétaire.

La BCE est un acteur très important de la solidarité européenne. L'action de l'Eurosystème a été rapide et forte. L'Eurogroupe a, quant à lui, décidé d'accorder 540 milliards d'euros à un mécanisme portant sur les dispositifs de chômage partiel et la possibilité pour les États de tirer sur le mécanisme européen de stabilité pour leurs dépenses de santé. N'oublions pas non plus le rôle joué par la BEI. Ce paquet me semble au point d'équilibre pour les dettes et les dépenses existantes. Certains pourraient souhaiter des coronabonds pour refinancer les dettes liées au coronavirus, mais nous savons tous la difficulté politique que cela pose.

En revanche, mutualiser les dépenses futures au titre de la reprise présente un intérêt véritable. Il est trop tôt pour évaluer l'ampleur de ces programmes d'investissement, mais la reprise à l'échelle européenne dépassera les 540 milliards d'euros. La solidarité européenne doit se traduire par une mutualisation de grands programmes d'investissement qui rejoignent nos grandes priorités : climat, digital, recapitalisation temporaire des entreprises.

L'option de l'acceptabilité du fonds de recapitalisation par les autorités allemandes a été mise en avant par des économistes allemands et néerlandais qui, certes, n'engagent pas leurs gouvernements, mais j'y vois un signe.

Nous avons tenu hier soir un Conseil des gouverneurs, court et consensuel. Nous avons réaffirmé notre engagement d'être fidèles au mandat qui nous a été confié. J'ai redit notre conviction partagée que nos actions étaient proportionnées. Ces deux piliers que sont l'indépendance et le mandat de la BCE ont un juge : la Cour de justice de l'Union européenne, qui a rendu un jugement très clair en décembre 2018.

Les frais bancaires des clients fragiles ont été plafonnés à 25 euros par mois. Un rapport définitif paraîtra dans quelques semaines mais, globalement, ce dispositif a bénéficié à un million de ménages. Il a coûté plusieurs centaines de millions d'euros aux banques. Les contrôles de l'ACPR, légèrement retardés par le confinement, se poursuivent. Une cellule d'alerte a été créée à la Banque de France et j'incite les associations qui défendent les clients fragiles et repéreraient des manquements à y recourir.

Faut-il aller plus loin ? J'appelle à la prudence car le dispositif est réellement efficace et, au-delà du système bancaire, la banque de détail peut être fragilisée par la conjoncture économique. Ses services doivent être rémunérés, car ce sont les réseaux d'agences et des emplois qui sont en jeu. Il faut trouver un point d'équilibre et éviter de créer une autre fragilité.

Je vous rejoins sur les fonds de private equity régionaux, qui ne peuvent toutefois qu'être un instrument d'une panoplie. La question de la bad bank ne se pose pas.

Je reste prudent sur la comparaison de notre situation économique avec celle des autres pays. Je suis frappé par deux différences : le secteur du bâtiment et le dispositif d'indemnisation d'activité partielle, qui est un atout français et permet d'indemniser bien plus de salariés que dans les pays à confinement comparable. L'acte II doit être l'occasion de revenir vers une pleine capacité de travail, sans rien sacrifier de la protection des salariés.

Des secteurs connaissent des chutes d'activité importantes dont certaines, minoritaires, pourraient être couvertes par des garanties de perte d'exploitation. Dans l'exercice de ses missions de supervision prudentielle, l'ACPR a décidé d'un état de lieux des principaux contrats commerciaux sur le marché français. Les premiers enseignements seront soumis à son collège Assurances en juin et juillet. Si dire le droit des contrats relève du juge civil, notre rôle est d'éclairer sur la solvabilité des assureurs et les consommateurs sur leurs droits.

La remontée des taux du crédit immobilier n'est pas très significative dans son ampleur ; surtout elle se produit sur un marché très ralenti en volume. Le plafond de l'usure conduit à écarter quelque 1 % des dossiers, souvent d'emprunteurs fragiles ; je demande à être convaincu du bien-fondé du relèvement demandé par certains professionnels.

J'espère apparaître comme un gouverneur sans épée de Damoclès sur la tête ! Nous allons poursuivre les rachats d'actifs dans le cadre du PEPP.

S'agissant de la prise en compte des critères verts et climatiques, il faudra désormais intégrer les risques climatiques aux risques financiers que nous évaluons pour les rachats d'actifs. Ce chantier a été retardé par l'urgence du coronavirus, mais nous devons maintenir ce cap.

Les acheteurs de dette française sont en nombre suffisant. À dix ans, elle s'émet autour de 0 %, taux extrêmement favorable malgré l'augmentation de la dette publique. Cela ne signifie pas qu'elle puisse atteindre n'importe quel chiffre.

Parmi les dépenses sélectives, j'aurais en effet pu citer la santé. Les choix de dépenses ne relèvent en rien de la Banque de France, mais du débat démocratique, du Gouvernement et du Parlement. Je me suis toujours refusé à dire les choix à opérer. Si j'ai cité l'éducation, la formation professionnelle et le travail qualifié, c'est qu'il s'agit, selon l'analyse de tous nos économistes et la comparaison avec les autres pays, du meilleur investissement pour la croissance et le bien-être de nos concitoyens.

Je me réjouis que la France ait pu obtenir un moratoire du service de la dette en 2020 des créanciers officiels du Club de Paris mais aussi d'autres créanciers souverains, tels que la Chine, pour l'ensemble des pays pauvres dans le monde. Les enjeux de la crise en Afrique sont très sévères sur le plan économique, moins sur le plan sanitaire. Nous sommes en contact régulier avec les banques centrales de la zone franc. Cette crise n'affecte pas leur fonctionnement.

Le taux de refus des PGE est extrêmement limité. Il importe que toutes les entreprises trouvent des solutions adaptées à leur situation. Le PGE n'est pas forcément la meilleure solution aux difficultés qui préexistaient. Les prêts du FDES et les dispositifs du comité interministériel de restructuration industrielle sont aussi possibles.

Dire qu'il faudra rembourser la dette est une évidence. Un pays qui annoncerait le contraire s'exposerait immédiatement à des taux d'intérêt bien plus élevés. Il est toujours possible d'émettre de la dette longue et d'en refinancer une partie. La variable temps sera déterminante, c'est pour cela que je parlais de cantonnement. Je n'en déduirai pas pour autant que le niveau de dette d'un pays peut monter autant que souhaité. Un pays qui sait gérer dans la durée et profiter des phases plus favorables pour se redonner des marges de manœuvre est mieux armé économiquement pour affronter les chocs et les crises.

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