Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du mercredi 6 mai 2020 à 15h30
Commission des affaires européennes

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

. Depuis l'arrêté modificatif du 17 avril sur la garantie de l'État, les 90 % sont à pondération zéro. Nous en attendons la confirmation par le mécanisme de supervision unique de l'Union bancaire. Mais j'ai toute raison d'être optimiste.

Faut-il ou non rembourser la dette ? Un émetteur peut renouveler sa dette et la Banque centrale en réinvestir une partie, ce qui n'est ni une obligation ni un automatisme. Il est important pour un État que ses investisseurs soient convaincus que la dette pourra être remboursée, sauf à assister à une montée des taux d'intérêt et à faire peser la dette sur les contribuables, notamment les générations futures. Pour preuve, les différents émetteurs sur le marché mondial ne payent pas tous le même taux d'intérêt. Une prime de risque est donc associée à cette facilité plus ou moins grande de rembourser. L'Allemagne, par exemple, se porte mieux d'avoir remboursé une partie de sa dette pendant les années favorables.

Le traité interdit à la Banque centrale d'annuler les dettes. Dans le cas contraire, cela se traduirait soit par une création monétaire massive assortie d'un risque d'inflation bien supérieur à la cible et une perte de confiance dans la monnaie, soit par une perte très importante au bilan de la Banque centrale qui, elle-même, doit être couverte par la puissance publique. Dans aucun grand État avancé, la Banque centrale ne peut annuler de la dette publique, mais elle peut en acheter sur le marché secondaire auprès d'investisseurs privés, la porter plus ou moins longtemps, voire en réinvestir une partie.

Le mandat de la BCE affiche deux ancres d'intérêt collectif : l'indépendance et le mandat de stabilité des prix. L'objectif de 2 % d'inflation détermine notre politique monétaire. Si nous investissons dans des titres publics, si nous réinvestissons à terme, ce n'est pas pour porter la dette publique, mais pour tendre vers l'objectif de 2 %. Cela n'empêche nullement des actions innovantes et efficaces. L'inflation se situe significativement en dessous de l'objectif de 2 %. Si les ménages et les entreprises perdaient confiance dans la valeur de la monnaie, la situation serait adverse. La Banque centrale agit, mais au nom de cet objectif de stabilité des prix qui fonde la confiance de nos concitoyens et des entreprises dans la monnaie.

Nous rappelons aussi fortement l'indépendance et la stabilité des prix face à la Cour constitutionnelle allemande ; il est essentiel de s'arrimer à ces deux ancres pour dépasser sa décision.

Sur l'aide aux PME, des prêts participatifs seraient les bienvenus, mais le rôle de l'État n'est pas d'être systématiquement fournisseur de fonds propres aux entreprises. Il n'a pas à exercer les droits de contrôle d'un actionnaire. En revanche, ces quasi-fonds propres doivent avoir un coût, être un investissement intéressant pour les contribuables et leur bonne utilisation être garantie. La puissance publique doit s'appuyer sur la Caisse des dépôts et Bpifrance, peut-être à parité avec des investisseurs privés. La situation ne réclame pas d'être restrictifs mais sélectifs.

La dette des collectivités locales fait partie de la dette publique.

Le chiffre de 115 % de dette publique est une estimation du dernier collectif. En général, les fonds propres des entreprises ne sont pas comptés comme un déficit au sens du Traité de Maastricht, mais comme une dette réversible. Si l'investissement est judicieux et sélectif, il peut même être gagnant.

Le dépôt des dossiers de surendettement des particuliers est moindre que d'habitude depuis le début du confinement ; je n'en déduis pas que la fragilité financière a diminué, car les dossiers sont plus difficiles à constituer en confinement. À partir du 11 mai, nous rouvrirons progressivement toutes les succursales de la Banque de France pour accueillir les personnes surendettées, en commençant par les départements verts. Il n'en reste pas moins que les commissions de surendettement ont traité des dizaines de milliers de cas pendant le confinement, moins souvent pour des crédits à la consommation.

S'agissant des frais bancaires, il convient de promouvoir l'offre spécifique des banques, plafonnée à 20 euros par mois et à 200 euros par an. Nous avons ainsi atteint 500 000 clients mais il faut progresser. Quant à l'idée de repérer plus tôt les clients fragiles, la règle est de trois mois, mais il convient de poursuivre le dialogue.

J'en viens aux conséquences de la politique monétaire sur l'inflation. Jusqu'à présent, des forces désinflationnistes étaient à l'œuvre dans la plupart des économies avancées. Elles résisteront car la demande risque de reprendre plus lentement que l'offre. En 2020 et 2021 l'inflation devrait rester inférieure ou égale à 1 %.

La correction très forte ces derniers mois sur les marchés financiers limite les risques de bulles financières mais nous suivons attentivement les conséquences sur la stabilité financière.

Sur le défi des finances publiques, il ne s'agit pas de copier l'Allemagne, mais lorsque l'on est confronté à un choc, avoir créé des marges de liberté pendant les années favorables est un avantage.

La première urgence pour l'économie consiste pour la France à se rapprocher de sa pleine capacité de travail en ne sacrifiant pas la sécurité des salariés. Cela suppose d'être collectivement imaginatifs et adaptables. Ensuite, il faudra renforcer la confiance des ménages et la solvabilité des entreprises.

La souveraineté sanitaire peut être une priorité du plan de relance européen mais les besoins liés à une prochaine crise seront sans doute différents. La souveraineté européenne est nécessaire sur plusieurs variables.

Le doute sur la soutenabilité à long terme de la dette d'un pays se paye en taux d'intérêt. Capacité de remboursement ne signifie pas absence de capacité de renouvellement ou de réinvestissement de la Banque centrale ; il est essentiel que la dette reste en ligne avec les fondamentaux économiques, la richesse d'un pays et sa capacité à rembourser.

Nous suivons chaque semaine l'évolution des paiements par effets de commerce. En temps normal, les défauts de paiement sont d'environ 1 % ; depuis la mi-mars, ils s'élèvent à 2 % pour connaître désormais une stabilisation.

Nous devons maintenir le cap de la transition écologique. Après l'urgence et la reprise, viendra le temps de la transformation. Les leçons de la crise rejoignent en partie celles du changement climatique : des chaînes d'approvisionnement moins complexes, des coûts de transport moins élevés, etc.

Les règles et les grands principes de la BCE évoluent. Sur le fondement des deux piliers de l'indépendance et du mandat, nous avons fait preuve d'une vraie capacité d'innovation et d'action rapide. On nous dit que nos fondamentaux ne sont pas les bons ; nous avons au contraire démontré qu'ils nous permettent d'agir de façon légitime et efficace.

Je ne peux que souligner l'intérêt d'une harmonisation du droit des affaires européennes. Cette action de long terme peut s'amorcer entre la France et l'Allemagne. La reprise n'empêchera pas des actions fortes.

Les instruments innovants peuvent viser les enjeux environnementaux, mais je me plaçais plutôt du point de vue du risque des actifs que nous achetons. Je pensais aux targeted longer-term refinancing operations (TLTRO) qui offrent des conditions de liquidité extrêmement favorables aux banques dès lors qu'elles prêtent aux entreprises ; au PEPP, instrument très flexible pour éviter la fragmentation dans la zone euro ; à l'intervention, pour la première fois, de la Banque de France sur le papier commercial, innovation essentielle pour les entreprises, y compris publiques.

Je ne déduis pas des 86,4 milliards d'euros de prêts demandés que le plafond de 300 milliards d'euros est excessif, je dirai qu'il est suffisant.

Le rachat des dettes publiques n'est pas plafonné à 20 % par État. Le chiffre cité correspond à peu près à la part de la dette publique française détenue par la Banque de France. Une limite par ligne a été posée. Nous désendettons ainsi parce qu'il faut conserver une majorité d'investisseurs privés.

Sur le risque de crise immobilière, à la fin de l'année dernière, nous avions appelé à la vigilance sur l'évolution des crédits immobiliers et sur les risques de durées trop longues ou de taux d'effort trop élevés. La croissance des crédits progressait sans doute trop vite, mais nous allons assister à une inversion du marché. La demande reste relativement forte et les taux seront bas.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.