Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du mercredi 6 mai 2020 à 15h30
Commission des affaires européennes

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

Je prends l'alerte sur les 25 % comme une invitation à nous pencher sur les refus partiels de prêts. Parfois, cela peut correspondre aux souhaits de l'entreprise, dont les besoins sont plus limités.

Je ne dispose pas de chiffres précis concernant les reports des échéances de prêt pendant une durée de six mois, mais peu de dossiers sont refusés. Instaurée avant le PGE, qui fait désormais l'objet de la majorité des demandes, cette mesure de report semble toujours bienvenue, mais plus relative.

Nous avons déjà largement évoqué les chiffres de la dette publique. Je ne suis pas de ceux qui considèrent qu'une ligne rouge s'établirait à 100 % du PIB. Il n'existe pas de chiffre tabou. La liberté et la souveraineté d'un pays dans le long terme dépendent de nombreux facteurs, mais le niveau d'endettement public peut être une contrainte auto-infligée ou léguée aux générations suivantes. Je ne poserai donc pas de seuil, mais ce chiffre n'est pas neutre par rapport à la capacité d'agir d'un pays et d'être souverain dans la durée.

Je transmettrai au directeur de l'Orne votre appréciation positive. Nous vous communiquerons dès que possible le taux de réussite de la médiation, sans doute inférieur à celui que nous enregistrions, entre 60 et 66 % des dossiers.

Il était possible de déposer des dossiers papier pour une procédure de surendettement pendant le confinement. Nous avons organisé le relevé des dossiers et leur numérisation à des fins de traitement en télétravail. S'il importe de développer une capacité de dépôt numérique, nous n'en ferons jamais une obligation, j'en prends l'engagement devant vous. Nous sommes conscients de la fracture numérique que peuvent subir les personnes surendettées.

Pour ce qui est d'assouplir les critères, chaque dossier fait l'objet d'une étude au cas par cas. Même si nous avons des grilles et des repères, les instructeurs de la Banque de France sont spécialisés pour apprécier la situation. Puis, il revient à chaque commission de surendettement, dont la Banque de France est le rapporteur, d'en décider. Il n'y a donc pas d'automatisme. Nous sommes en situation plus difficile, il faudra en tenir compte.

Quand nous avons parlé de Karlsruhe, j'ai souligné notre détermination à être fidèle au mandat qui nous est confié par le traité voté par les Parlements et les peuples d'Europe et à le faire en toute indépendance.

Au-delà des chiffres, le premier message d'espoir à adresser à nos lycéens face à cette terrible épreuve serait : apprécions la chance d'être Européens ! Je dis cela au nom de notre modèle social. La grande différence entre l'Europe et les États-Unis, ce sont les 30 millions de chômeurs américains supplémentaires en quelques semaines, sans filet de sécurité sociale. Dans ce pays, la fragilité des ménages est dramatique et les inégalités vont s'accroître. Le modèle social est, pour moi, une conviction très forte, et ce qui définit l'Europe. S'il faut sans doute le réformer, en assainir certains aspects et faire en sorte que l'éducation et la formation en fassent davantage partie, il nous permet de mieux affronter la crise.

Mon deuxième message sera qu'à court terme, nous n'avons d'autre choix que de voir la dette publique progresser. C'est un choix de solidarité et je pense que nous nous retrouvons tous sur le fait que la collectivité nationale n'a pas hésité à faire le choix de dépenses importantes pour protéger les vies, y compris celles des plus anciens. Cela s'est fait dans la douleur, mais il faut en mesurer le sens.

Troisième message, j'ai insisté sur les deux temps – le long et le moyen – de la politique budgétaire. Pour répondre très directement à cette génération, nous devons tous être responsables dans la durée, afin de ne pas léguer indéfiniment à la génération qui suit une dette publique sans cesse croissante.

Quand j'avais vingt ans, en 1980, je partais dans la vie avec une dette publique qui pesait 20 % du PIB. Ceux qui ont aujourd'hui vingt ans partent avec une dette cinq à six fois plus lourde. Nous avons collectivement manqué à la solidarité intergénérationnelle ! Nous n'avons pas d'autre choix que de l'alourdir parce qu'une autre dimension de la solidarité entre en jeu, mais à l'avenir, il faudra des choix raisonnés qui respectent les priorités. L'investissement dans l'avenir de notre pays passe par l'éducation, la formation professionnelle, l'apprentissage, et la santé bien sûr. Nous devons donner aux générations futures plus d'atouts et plus de liberté de choix. Accroître la dette publique, c'est s'en donner moins.

La Banque de France n'a pas de compétences particulières pour la santé. Une économie solide dotée d'entreprises fortes est un atout central, nous essayons d'y contribuer.

S'agissant de l'alternative au remboursement de la dette, j'avoue une certaine sympathie pour la taxe sur les transactions financières, la condition étant, effectivement, qu'elle s'applique dans tous les pays. Même si nous arrivons à l'appliquer à l'échelle internationale, nous sommes loin d'être à l'aune du problème des finances publiques que nous connaîtrons. Les chiffres montrent que cela va durer et supposer un effort de sélectivité budgétaire.

Le niveau de dépenses publiques en France avant le coronavirus se situe entre 55 % et 56 % du PIB. Nos voisins de la zone euro dont le modèle social est relativement proche sont à 45 %. Si une partie de cet écart est justifiée, il tient malgré tout à la moindre efficacité de notre sphère publique. Nous pouvons en réduire une part significative tout en rendant notre modèle social plus efficace. À moyen terme, nous devons nous interroger sur l'efficacité de la dépense publique. La Banque de France essaie, modestement, de l'améliorer en rendant de meilleurs services à moindre coût.

S'agissant de l'épargne supplémentaire, en mars, nous constatons l'augmentation des dépôts de 20 milliards d'euros, mais compte tenu du recul d'autres formes d'épargne, nous devrions avoisiner les 15 milliards d'euros, soit, en projection, une soixantaine de milliards d'ici fin mai. C'est la réserve dont nous disposons pour repartir, pour la consommation et la croissance.

La question du premier usage de l'épargne est essentielle. Pour la partie qui sera consommée, nous devons favoriser la confiance.

Face à ce choc sanitaire, une référence a été explorée par les économistes de la Banque de France : celle du Président américain Roosevelt confronté en 1933 au problème de la confiance des ménages. Craignant une épidémie de faillites bancaires, il prit des mesures très fortes de politique économique afin de sécuriser les banques et fermer certains guichets. Ensuite, redoutant que les ménages, par crainte de hausses d'impôt très rapide, conservent une épargne de précaution, il annonça qu'il n'augmenterait pas les impôts tant que la croissance ne serait pas revenue. J'y ai déjà fait allusion, et il me semble qu'il existe un relatif consensus politique à ce sujet. Cela ne signifie pas qu'il faille lancer des dépenses ou des baisses d'impôt permanentes. Des mesures temporaires, ciblées et en partie réversibles, suffisent ; elles ont du sens pour la reprise et il ne s'agit pas d'alourdir dans la durée un déficit lié à la crise de 2020.

À l'instar des États-Unis de 1933, en France, en 2020, la clé est la confiance. La réassurance sanitaire et la réassurance économique passent durablement par la confiance des ménages, la solvabilité des entreprises et la soutenabilité de la dette publique.

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