Intervention de Thierry Breton

Réunion du mardi 2 juin 2020 à 11h00
Commission des affaires européennes

Thierry Breton, commissaire européen chargé du marché intérieur :

. Les crises sont souvent des accélérateurs de tendances, lesquelles ont été identifiées dans ma présentation de la politique industrielle, le 10 mars. L'application du Pacte vert, concernant non seulement notre relation avec l'environnement et le climat, mais aussi notre bien-vivre ensemble et la santé, va être accélérée. Ceux qui voudront bénéficier du plan de relance devront saisir l'occasion pour accentuer la tendance. De même, la numérisation sera accélérée. Auteur d'un rapport sur le télétravail, en 1993, je n'aurais jamais imaginé voir de mon vivant la moitié de la planète télétravailler. Enfin, il faut mettre l'accent sur la résilience et l'autonomie, ce dernier concept étant plus européen et plus conforme à la volonté des pères fondateurs que la souveraineté. Certes, il faudra revoir des chaînes de valeur mais tout ne doit pas être relocalisé. En revanche il conviendra de bâtir plus de stocks stratégiques de médicaments et de souches d'antibiotiques, et de relocaliser certains éléments des chaînes d'approvisionnement. Dans la confrontation entre la Chine et les États-Unis, l'Europe doit être elle-même, mais il faut aussi orienter notre secteur industriel vers une économie circulaire et du partage.

Je le répète, je n'ai jamais appelé à lancer un impôt qui devrait être payé par nos concitoyens européens ou les entreprises européennes ! Mais il faudra discuter des ressources propres de la Commission. Il ne faut pas confondre la BCE et la Commission européenne : c'est cette dernière qui va lever de la dette. Il serait pour le moins incohérent de dire en même temps qu'on va lever une dette qu'on compte annuler. Il faudra discuter entre nous des moyens de son remboursement. La Commission bénéficie déjà de levées d'impôts. La quasi-totalité des droits de douane perçus par les États membres alimente en effet le budget européen. Le mécanisme d'ajustement du CO2 aux frontières va dans le sens d'un élargissement des droits de douane, tout comme la taxe numérique, dite « taxe GAFA ». Nous n'avons rien dit d'autre. Il faut respecter l'intégralité des règles et des contraintes, notamment environnementales, du marché européen pour y pénétrer. De grâce, faites savoir que vous en avez parlé au commissaire et qu'il vous a dit qu'il n'était pas favorable à un impôt européen !

Il importe de rappeler dans nos discussions avec les États dits frugaux que c'est bien la Commission qui lèvera la dette, à charge pour elle, pour les trente ans qui viennent, de se donner les moyens du remboursement, son rating permettant de la calibrer à 500 milliards d'euros. Je le distingue des 250 milliards de prêts « back-to-back », qui n'auront pas la même maturité et ne porteront pas les mêmes taux d'intérêt.

Concernant la contribution « one shot » de la ressource RNB, rien n'est encore décidé, mais je plaide pour une augmentation des ressources propres de l'Union, selon les mécanismes que je viens d'indiquer.

Le contrôle est un sujet essentiel. Le montant considérable du plan doit faire l'objet d'un contrôle démocratique et donc parlementaire. On aurait pu envisager un fonds autonome, comme le MES. La Commission a préféré retenir l'inscription dans le cadre du budget, parce qu'il est placé sous le contrôle total du Parlement.

Le plus tôt sera le mieux, car il y a urgence. C'est pourquoi nous incitons les États membres à agir pour éviter une crise sociale. Bien que ce ne soit pas une prérogative de la Commission, nous avons soutenu, voire encouragés les décisions de santé. D'ici au début de l'année prochaine, nous pourrons aider les États qui auront déjà contribué à ces plans de relance. Cependant, compte tenu de l'urgence, le fonds Solvency, doté d'une puissance d'intervention de 300 milliards d'euros, pourra être mis en œuvre dès le mois de septembre et intervenir en augmentation de capital en direction des entreprises des États membres qui ne disposeraient pas des mêmes facilités que d'autres. Il maintiendra le tissu économique avant l'intervention du plan, après validation du Conseil européen, du Parlement européen et des parlements des États membres.

Concernant la synchronisation avec le Green Deal, nous incitons chaque État membre à définir son propre plan de relance, comprenant l'intervention directe et l'accompagnement au redressement à moyen et long terme, sachant que, dans certains secteurs comme l'automobile, il faudra doper la demande. Ces programmes présentés à la Commission dans le cadre du Semestre européen devront intégrer les trois composantes acceptées par le Parlement européen et par le Conseil européen, c'est-à-dire le Pacte vert, la numérisation et la résilience.

N'oublions pas la dimension sociale immédiate. En collaboration étroite avec le commissaire Nicolas Schmit, chargé de l'emploi et des droits sociaux, je m'emploie à mettre en place un important volet de formation et d'accompagnement. Face à l'accélération prévisible de tendance, il ne faut laisser personne sur le bord de la route. Il importe de faire progresser notre tissu économique et industriel conformément aux orientations du plan stratégique.

Sur les actifs stratégiques, les règles de fonctionnement régissant la santé, les technologies critiques, le domaine militaire ou spatial ne vont pas disparaître. Nous avons néanmoins créé un fonds d'intervention de 150 milliards d'euros pour des secteurs clés susceptibles de devenir des cibles de prédation. Beaucoup d'entreprises artificiellement affaiblies ont besoin de refinancement. Grâce à ce fonds affecté à des entreprises évoluant dans des secteurs critiques, nous pourrons intervenir directement en garanties, en prêts et même en renforcement de fonds propres, en vue de maintenir le volet résilience au regard d'une possible confrontation entre les États-Unis et la Chine.

En vue de proposer un Digital Services Act (DSA) européen à la fin de cette année, nous lançons aujourd'hui même une consultation de tous les acteurs concernés, en vue de responsabiliser les plateformes. Les grands opérateurs ont une responsabilité sociétale. Il s'agit d'éliminer non seulement les contenus haineux, mais aussi les appels au terrorisme ou les contenus pédopornographiques. Ces obligations peuvent être renforcées par des technologies qui n'existaient pas lors de l'élaboration de la directive « e -Commerce ». Hier encore, je m'entretenais avec M. Jack Dorsey, le patron de Twitter. Nous sommes d'accord lui et moi : le directeur général est le responsable, y compris sur les plateformes. Les ONG, le monde académique vont participer à la consultation, et vous y êtes toutes et tous invités. Bien sûr, il faut conserver la libre expression mais il faut des adaptations. Pour ne prendre qu'un exemple, dans le monde des médias classiques, pendant les périodes d'élection, le temps de parole est contrôlé : il faut prévoir l'équivalent pour les plateformes.

Au moment où, pour la première fois, la Commission européenne émettra de la dette, il serait hasardeux de prévoir son annulation ou de proposer des obligations perpétuelles. Nous profiterons de taux d'intérêt très bas pour ne pas alourdir les budgets à venir. Ce montant sera investi dans les entreprises des États membres dans une perspective sociale, de maintien du tissu et d'accélération de la mise en œuvre du Pacte vert.

En matière de taxes nouvelles, on est très imaginatif en France. L'augmentation des ressources propres donnera lieu à un débat démocratique, car ce n'est pas à la Commission d'en décider. Le Parlement européen, qui représente le peuple, et le Conseil, qui représente les États, donneront à la Commission des moyens. J'en profite pour rappeler que la contribution des citoyens de tel ou tel pays frugal ne sera pas appelée et que l'affirmer relève de la fake new s.

Je le répète, la mise en œuvre du Green Deal sera accélérée. La Commission européenne est très mobilisée sur le sujet, M. Frans Timmermans ne cesse de nous le rappeler et j'y suis moi-même très attaché. Certains États membres commencent à le prendre en compte. La France en a d'ailleurs fait une des conditions du plan de redressement de la compagnie aérienne Air France.

Ne confondons pas la BCE et la Commission. Pour une dette de cette nature, la Commission devra se doter de moyens, d'un bureau de la dette, de compétences, à l'instar de l'agence France Trésor. Une annulation de dette est toujours payée par quelqu'un, ne serait-ce que sous la forme d'un appauvrissement des États. Le bilan de la BCE comporte un montant significatif de dettes des États, qu'il faudra lisser. Je le répète, il ne sera pas question d'impôt pour nos concitoyens ou les entreprises : il s'agira de taxes, dont les droits de douane nous offrent un exemple efficace.

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