Je suis vraiment très honorée de cette invitation à m'exprimer devant des parlementaires français. Bien sûr, j'aurais préféré vous rencontrer à Paris, mais j'espère pouvoir le faire dès que les restrictions de déplacement seront levées.
Nous comprenons malheureusement tous pourquoi ces restrictions ont été mises en place. Cette crise sanitaire, qui a entraîné des drames humains par centaines de milliers, a de surcroît déclenché la crise économique la plus grave depuis la Grande Dépression.
Cette crise a révélé un besoin de liquidités aigu dans beaucoup de secteurs. De nombreux gouvernements à travers l'Europe y ont pourvu pendant la période du confinement. Ces aides d'État ont joué un rôle crucial. Cependant, nous avons dû faire en sorte qu'elles ne faussent pas la concurrence à l'intérieur du marché unique, avec des niveaux d'intervention trop déséquilibrés. À cet effet, nous avons mis en place un cadre temporaire, qui a permis aux États membres de soutenir les entreprises affectées.
Au-delà des liquidités, des besoins en fonds propres vont également se faire sentir dans beaucoup d'entreprises. Nous consultons actuellement les États membres pour amender ce cadre temporaire, afin de permettre d'apporter plus de soutien à des très petites entreprises, des jeunes pousses, des start-up, qui sont dans des situations financières spécifiques, très différentes de celles des grandes entreprises.
Le risque de pénurie s'est aussi fait sentir, ainsi que des difficultés d'approvisionnement, notamment pour certains médicaments essentiels, alors que les services médicaux étaient sous tension.
Nous avons plus que jamais besoin de coopération entre les États membres et, si notre politique de la concurrence ne doit pas plus qu'une autre politique empêcher cette coopération, il ne faut pas pour autant se cacher derrière ce besoin pour laisser s'installer des pratiques anticoncurrentielles. Il faut donc apporter le soutien nécessaire à ceux qui en ont besoin, sans le faire au détriment d'autres.
Nous avons donc engagé un certain nombre d'actions pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles.
En avril dernier, nous avons présenté la plupart des critères que nous utilisons pour évaluer les efforts de coopération, notamment pour essayer de traiter les problèmes d'approvisionnement à court terme en matière d'équipement médical. Nous avons travaillé, sur ces sujets, en étroite collaboration avec les autorités nationales de la concurrence.
Dès les premiers jours de la crise sanitaire, un communiqué commun de toutes les autorités sanitaires a été publié au sujet de l'application des lois antitrust durant la période. Nous avons donc été en mesure de donner des orientations et recommandations aux différentes autorités.
Même dans ce contexte de crise, nous avons maintenu nos efforts en matière de contrôle des opérations de concentration. Notre lutte en la matière n'a pas faibli. La crise sanitaire ne doit pas conduire à autoriser des opérations qui nuiraient, in fine, aux consommateurs.
Ce qui rend la concurrence effective, c'est que les consommateurs aient un accès efficace et équitable aux produits dont ils ont besoin. Nous avons donc décidé de réviser les règles de notre droit de la concurrence. Cet examen étendu de nos règlements et lignes directrices se poursuit afin de nous assurer que ces textes sont adaptés aux défis actuels. Cela inclut un examen des accords de coopération verticale et horizontale et de la définition des marchés pertinents et la recherche d'une meilleure utilisation des différents outils à notre disposition. Certains secteurs, comme le numérique, évoluent aujourd'hui bien plus rapidement qu'il y a encore quelques années : il faut donc rester vigilant sur la manière dont nous utilisons les outils dont nous disposons, tels que les mesures conservatoires.
Le 2 juin dernier, nous avons lancé une consultation sur une nouvelle réglementation relative aux services numériques. L'accent est mis sur les marchés qui risquent de basculer, c'est-à-dire ceux pour lesquels les entreprises se battent, non pas afin de gagner des parts de marché, mais pour conquérir l'ensemble du marché. Une fois cette situation acquise, les autres entreprises sont réduites à une position de clients de ces grands acteurs, qui disposent d'un monopole de fait, et il devient difficile pour les PME d'entrer en concurrence avec eux.
Je travaille également sur les réglementations dites a priori ou ex ante. Vous avez tous suivi le travail que nous avons réalisé, par le passé, autour de certains géants du numérique. Nous avons tout autant besoin de ces acteurs contrôlant l'accès au numérique – les gatekeepers ou gardiens – que d'une situation équitable pour tous : il faut donc clarifier leurs obligations et leurs responsabilités.
Nous évoluons dans un monde qui est non seulement numérisé, mais aussi mondialisé, ce qui exacerbe les enjeux de concurrence. Nous allons adopter un Livre blanc sur un instrument relatif aux subventions étrangères. Les aides d'État sont contrôlées au sein de l'Union européenne pour permettre une concurrence non faussée. Or, jusqu'à présent, nous n'avons pas pu contrôler les subventions ou aides provenant d'États tiers. Nous entendons nous saisir du sujet pour combattre les distorsions qui en découlent en matière de concurrence. Ce Livre blanc traitera aussi de l'accès des acteurs étrangers aux marchés publics européens. C'est un point très important, car, dès lors que nous demandons à nos entreprises d'accepter d'être mises en concurrence, nous devons nous assurer que la concurrence à laquelle nous les soumettons est loyale.
Prédire quels seront les effets à long terme de ces différentes mesures portant sur la concurrence n'est pas aisé. Mais tout doit être fait pour limiter les conséquences économiques de la crise sanitaire. Pour sortir de cette crise, nous aurons besoin du marché unique européen, ainsi que d'un plan de relance robuste et de grande ampleur – je suis heureuse, à cet égard, du bon accueil que vous avez réservé à l'initiative Next Generation EU. Nous traversons une crise profonde, mais nous devons profiter de cette épreuve pour renouveler nos sociétés, nous embarquer dans une nouvelle aventure : celle de la transition environnementale et de l'innovation.
Avec une bonne stratégie industrielle, l'industrie européenne peut montrer la voie. Ainsi, la stratégie industrielle que nous avons lancée en mars dernier a notamment pour objet de soutenir les PME afin qu'elles puissent rivaliser avec leurs concurrentes dans une économie mondialisée. Nous avons aussi besoin d'une recherche performante, d'une moindre bureaucratie et d'un esprit d'entrepreneuriat bien développé. C'est pourquoi nous avons mis l'accent sur la création d'écosystèmes industriels, tout au long des chaînes de valeurs. C'est l'objet des PIIEC, qui pourraient, par exemple, s'appliquer à la filière de l'hydrogène.
Par temps de crise, le repli sur soi est très tentant ; je nous invite tous à résister à cette tentation ! Il n'y a pas de contradiction entre politique de concurrence et politique industrielle. Il ne faut pas être naïf : ce qui est en jeu, c'est le statut géopolitique de l'Europe. Nous devons utiliser tous les instruments à notre disposition pour défendre notre compétitivité et lutter vigoureusement contre les pratiques déloyales. Les marchés publics sont un secteur important qu'il ne faut pas oublier. Le Livre blanc que nous allons adopter vise à réglementer les subventions étrangères qui viennent fausser la concurrence sur le marché intérieur.
Cette crise ne viendra pas réduire notre ambition. Au contraire ! Il nous faut aller plus loin que la simple réparation des dommages subis ; nous sommes en mesure de voir ce qui nous guérira, mais aussi ce qui nous permettra de nous renouveler. J'espère donc que vous nous aiderez à défendre l'adoption rapide de ces mesures, avec l'adhésion de tous les États membres, afin que nous puissions apporter le soutien dont nos entreprises et nos concitoyens ont besoin.