Intervention de Margrethe Vestager

Réunion du mardi 16 juin 2020 à 13h00
Commission des affaires européennes

Margrethe Vestager, vice-présidente de la Commission européenne en charge du numérique :

Je suis très heureuse de vos commentaires sur Next Generation EU. Car c'est dans cette logique que nous avons lancé un emprunt sur les marchés de capitaux. Nous avons l'ambition non pas de reconstruire le monde d'avant, mais de le renouveler, notamment par le numérique et la transition écologique. Nous devons apporter la preuve à nos concitoyens que nous savons ce que nous faisons, car nous avons contracté une dette pour bâtir un avenir, mais nous sommes conscients qu'il faudra la rembourser. Pour cela, nous devrons soit augmenter les contributions nationales, soit trouver d'autres ressources. Je pense que ce serait une bonne chose d'avoir plus de ressources propres.

La taxation des services numériques est une bonne piste. Un grand nombre d'entreprises travaillent d'arrache-pied pour dégager un bénéfice, sur la base duquel elles paient des impôts. Il n'est pas juste que d'autres entreprises ne versent pas de contribution, uniquement parce qu'il n'y a pas de taxation sur les services qu'elles fournissent. J'espère qu'un consensus se dégagera à l'OCDE, mais si ce n'est pas le cas, la présidente Ursula von der Leyen m'a donné mandat pour pousser un modèle européen qui ne distingue pas les entreprises selon leur domicile fiscal, mais en fonction de leur activité en Europe. Pourquoi développent-elles des activités en Europe ? Parce qu'on peut y réaliser des bénéfices. Elles doivent donc y payer des taxes. L'idée n'est pas d'entraver l'innovation, mais de taxer le bénéfice là où est réalisée l'activité qui le produit.

La taxation du carbone est une autre piste, comme peut l'être celle des plastiques à usage unique.

La cohésion européenne est très importante. Quelque chose m'a attristée dans vos questions : tout se passe comme si on se levait le matin soucieux du seul intérêt national puis que, dans la journée, on comprenait qu'on dépendait des autres, et qu'on se couchait européen, hélas pour se lever le lendemain matin à nouveau nationaliste. Faut-il une crise aussi importante pour réaliser que la cohésion est essentielle ? Nous comptons ainsi développer de nombreux outils pour le filtrage des investissements étrangers.

Nous espérons que nous aurons dans le rapport prévu pour le 30 juin une véritable évaluation de la sécurité des réseaux 5G. Il est important de déployer ces réseaux, mais nous devons avoir l'assurance qu'ils sont sûrs. Nous avons donc travaillé avec les États membres pour évaluer les risques à chaque maillon de la chaîne de valeur et fournir une boîte à outils pour les sécuriser. Notre approche est différente de celle des États-Unis, c'est vrai. Mais elle me semble essentielle pour que tous les acteurs de l'industrie qui auront recours à la 5G bénéficient de cette sécurité.

Les aides d'État ont été utilisées pour promouvoir les entreprises de certains États membres. Dans nos efforts pour répondre à la crise, nous avons essayé d'avoir une ambition commune, car il est difficile de combiner effort européen et approche nationale.

Ce que le Gouvernement français a fait pour Air France était judicieux. Il faut aller dans le sens de la transition écologique : aider notre production d'électricité à devenir de plus en plus renouvelable, tout en faisant en sorte que cela soutienne l'emploi et la transition environnementale. Aux pays pour lesquels il peut être difficile de financer la recapitalisation d'entreprises, nous devons dire : au sein de l'Union européenne, nous acceptons de porter une partie des risques en investissant, mais nous attendons en retour des garanties environnementales. C'est l'opportunité d'accroître nos ambitions.

Avec le Digital Services Act, notre ambition, madame Dumas, est de passer à l'échelle supérieure. Pourquoi voyons-nous dans le monde du numérique seulement des géants chinois et américains ? Parce qu'ils ont un grand marché unique où ils peuvent se développer. Il nous faut donc développer un marché unique du numérique au service des citoyens européens.

Monsieur Menonville, ce que j'ai trouvé le plus intéressant lors de mon premier mandat fut l'émergence de champions européens et même mondiaux comme Siemens. Mais nous avons veillé à ce qu'ils ne soient pas en situation de monopole, qu'ils soient malgré tout mis en concurrence. Ils ont atteint une telle masse critique qu'ils ont accès à l'échelle mondiale, mais ils sont concurrencés chez eux. Oui, les entreprises peuvent fusionner pour atteindre une masse critique, mais elles ne doivent pas se trouver en situation de monopole, car cela ne pourrait se faire qu'au détriment de plus petits concurrents et des consommateurs.

Siemens-Alstom n'est selon moi pas le meilleur exemple, puisque ces deux entreprises étaient déjà des champions européens et avaient déjà une envergure mondiale. Si leurs secteurs trains à grande vitesse et signalisation avaient fusionné, nous n'aurions pas pu garantir le maintien d'une concurrence. Quant à la fusion entre PSA et Fiat Chrysler ou le rachat de Bombardier par Alstom, le processus est en cours, et je ne peux pas faire de commentaires au fond sur ces dossiers.

Madame de Courson, 60 % du budget européen sera consacré à la numérisation, à la promotion d'une économie plus verte, aux plus jeunes, donc à l'Europe de demain, tout en continuant à investir dans la cohésion et dans l'agriculture. L'un des secteurs qui s'en est le mieux sorti pendant la crise a été l'agriculture, car chacun avait besoin de produits frais, et nous avons été nombreux à vouloir acheter des produits locaux.

Nous sommes face à un dilemme : d'un côté, nous voulons être autonomes et décider quelle économie nous voulons pour l'avenir ; de l'autre, notre décision serait vaine si nous ne prenions pas en compte le reste du monde. Nous n'aurions pas pu créer une société solidaire, où les soins de santé sont accessibles à tous si nous ne commercions pas avec le reste du monde. Il nous faut une autonomie ouverte et stratégique. Nous avons toute légitimité pour prendre des décisions sur notre propre destin tout en étant ouverts, car le moteur de notre prospérité a été notre ouverture. Cette crise n'est pas le retour de la crise financière. C'est une crise différente, sans précédent. On ne peut pas tenir certains États membres pour responsables de ce qu'a fait le virus. Ce n'est donc pas non plus le retour de la troïka. Nous avons la volonté de reconstruire ensemble tout en restant fidèles aux termes du traité et en respectant les règles sur les aides d'État.

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