Intervention de Frédérique Dumas

Réunion du mercredi 8 juillet 2020 à 16h35
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Dumas, rapporteure :

. Nous étions partis de l'idée que la France avait une tendance à vouloir dicter sa vision des choses à ses partenaires. Nous avons donc voulu travailler sur la méthode permettant d'obtenir un accord.

Pour réfléchir à la méthode pour définir et mettre en œuvre, au niveau européen, des outils financiers propres à faciliter la sortie de crise et la relance, comme le Bureau nous en avait confié la mission, il nous a paru primordial de savoir comment les autres pays analysaient la situation. Nous avons donc interrogé les ambassadeurs d'une douzaine de pays, certains à plusieurs reprises. Il ressort de ces entretiens qu'il existe aujourd'hui clairement une conscience partagée de la gravité de la crise et de l'impossibilité pour un pays de s'en sortir seul, compte tenu de l'interdépendance de nos économies. Plus personne ne conteste la nécessité d'un emprunt en commun pour relancer nos économies, ce qui était loin d'être une évidence il y a quelques semaines.

Les divergences n'en restent pas moins nombreuses sur la notion de solidarité et sur le meilleur moyen de favoriser la relance de nos économies. Comment parvenir à un accord alors que les positions de départ paraissaient si éloignées et, parfois, crispées ? Comment rapprocher des sensibilités culturelles différentes ? Il nous est apparu que la méthode était déterminante car, comme nous le verrons, pour certains pays, un accord ne peut être trouvé sur les montants et sur la répartition entre prêts et subvention que s'il y a préalablement accord sur l'évaluation des besoins, les critères de répartition de l'aide et les conditions qui y sont associées.

Une première condition indispensable pour mettre en place des outils communs est de respecter nos partenaires.

À ce titre, nous nous sommes interdit d'utiliser des qualificatifs tels que « frugaux » ou « radins ». Il est faux de prétendre que certains pays ne seraient pas solidaires des pays les plus touchés parce qu'ils ont des désaccords sur les modalités d'organisation de cette solidarité. Il est d'ailleurs apparu que la mutualisation des dettes n'est pas le seul moyen de se montrer solidaire.

Les preuves de la solidarité entre pays européens sont multiples. Elle s'exerce d'abord à travers le budget européen. Les Pays-Bas, la Suède, l'Autriche et le Danemark sont des contributeurs nets importants, aussi bien si l'on rapporte leur solde net au nombre d'habitants qu'au PIB. Ils n'ont pas prôné le « juste retour » contrairement au Royaume-Uni. Elle s'est également exprimée en actes pendant la crise sanitaire, malgré les ratés des débuts. À titre d'exemples parmi d'autres, l'Allemagne et l'Autriche ont accueilli des patients français dans leurs hôpitaux et la Suède a fourni du matériel médical à l'Italie et à l'Espagne.

Cette solidarité s'est enfin traduite par la mobilisation rapide de tous les fonds disponibles dans le budget européen pour 2020 et la mise en place des trois « filets de sécurité » d'un montant total de 540 milliards d'euros adoptés en mai pour soutenir dans l'urgence les États (avec un soutien du mécanisme européen de stabilité sans conditionnalité macroéconomique), les entreprises (avec le fonds de garantie paneuropéen de la BEI) et les ménages (avec le règlement SURE pour le soutien aux dispositifs nationaux de chômage partiel).

Pour ces quatre pays, et d'autres comme la Finlande, la solidarité consiste aussi, et peut-être avant tout, à respecter les règles du pacte de stabilité et de croissance et à conduire les réformes nécessaires pour que l'Union et la zone euro dans leur ensemble soient plus solides et que les faiblesses structurelles d'un pays n'aient pas des conséquences négatives pour tous les autres. C'est d'ailleurs la crédibilité budgétaire des pays dont les finances publiques sont saines qui permet à l'Union de bénéficier de conditions d'emprunt favorables sur les marchés et d'en faire profiter tous les États membres.

Les pays du nord sont prêts à aider les pays du sud, mais ils sont soucieux de limiter l'augmentation de leur contribution au budget européen. Dans ce contexte, les rabais constituent un « point dur » de la négociation pour eux, ainsi que pour l'Allemagne.

Il faut avoir conscience des contraintes politiques auxquelles ils sont soumis, avec des parlements et des populations aux positions souvent plus dures que celles du gouvernement et, pour certains, une majorité parlementaire fragile, parfois dans une coalition, et des échéances électorales proches. C'est d'autant plus important que le recours à l'emprunt pour le plan de relance suppose la modification de la décision du Conseil sur les ressources propres, donc sa ratification par tous les parlements nationaux. Or certains parlements nationaux, comme en Finlande ou aux Pays-Bas, sont particulièrement rétifs à une augmentation de la dette mutuelle. Dans ces pays, les gouvernements ont présenté les programmes de relance devant leurs parlements, ce qui n'a pas été le cas en France.

Le Parlement suédois vient quant à lui d'adopter un avis motivé contestant la conformité de la décision sur les ressources propres au principe de subsidiarité, exprimant son soutien à une politique budgétaire restrictive et son opposition à la création de nouvelles ressources propres.

Un deuxième axe qui est ressorti de nos auditions est que certains mots ne sont pas utilisés avec le même sens par tous. Il faut prendre le temps de bien expliquer ce que l'on entend quand on les utilise, faute de quoi les positions peuvent se rigidifier inutilement.

On l'a déjà vu, tous les pays ne mettent pas la même chose derrière le mot : « solidarité ». C'est également le cas lorsque l'on parle de « mutualisation des dettes ». Ce que refusent plusieurs pays, dont l'Allemagne, c'est une « union de transferts » qui amènerait à des transferts d'un budget national vers un autre budget national ainsi que la mutualisation des dettes existantes, non liées à la situation actuelle. L'architecture proposée par la Commission européenne, et avant elle par l'initiative franco-allemande, emporte bien une forme de mutualisation, puisque les fonds empruntés seront dépensés sur la base des besoins et remboursés en fonction de la clé RNB (sauf adoption de nouvelles recettes), mais il s'agit de transferts via le budget européen et temporaire.

Pour que les pays du nord puissent faire accepter un accord que nous espérons tous à leurs parlements et leurs populations, il ne faut pas que les pays du sud le présentent comme une victoire pour eux et une mutualisation des dettes. Il s'agit de s'endetter en commun pour investir pour l'avenir, pas de mutualiser les dettes existantes ni de financer par l'emprunt européen les systèmes sociaux ou le fonctionnement des États membres. Un accord doit permettre à chacun de présenter la solution adoptée comme répondant aux préoccupations de sa population.

Le terme de « conditionnalités » doit également être manipulé avec la plus grande précaution. Les pays du sud ont été traumatisés par les conditions imposées à la Grèce à la suite de la crise financière ; ils refusent des conditionnalités macroéconomiques telles que celles qui ont été associées à l'aide du mécanisme européen de stabilité. Ils mettent en avant le fait qu'il ne faut pas traiter cette crise avec les outils de la précédente, alors qu'aucun pays n'est responsable de la pandémie et que les conséquences économiques de la crise sont dues aux mesures prophylactiques prises dans un but sanitaire et non à la mauvaise gestion des États concernés.

Les pays dits des « quatre » souhaitent pour leur part que les aides passent par les programmes européens, que leur utilisation soit contrôlée et qu'elles soient liées, d'une manière encore à définir, à des réformes structurelles favorisant le respect des objectifs de l'Union en matière de transition écologique et numérique et de renforcement de la résilience des économies. Ils souhaitent donc bien une forme de conditionnalité dans l'octroi des aides, mais n'ont à aucun moment évoqué une conditionnalité assimilable aux programmes d'ajustement macroéconomiques mis en œuvre au cours de la dernière décennie, ni un contrôle par la « troïka ».

Si une nouvelle crise survient dans dix ans, un tel plan de relance ne pourra être réédité. C'est dans cet esprit que des États souhaitent qu'il y ait un véritable contrôle. Il est donc pour eux impératif de s'assurer que cet argent soit utilisé pour rendre nos économies plus résilientes afin que, en cas de nouvelle crise, les États puissent, comme l'Allemagne aujourd'hui, dégager au niveau national les moyens nécessaires.

Un autre terme ambigu est celui de « souveraineté », qui renvoie souvent à une perspective nationale. Il serait préférable de parler d'autonomie stratégique de l'Union. Il faudra que les États se mettent d'accord sur ce qui doit faire l'objet d'une souveraineté européenne et ensuite sur « qui fait quoi » au sein de l'Union. Il est naturel que chaque pays envisage cette souveraineté européenne au service de sa propre souveraineté nationale, mais cela peut conduire à des blocages ultérieurs.

Plutôt que de s'affronter sur des concepts tels que la solidarité, la mutualisation ou la conditionnalité, le meilleur moyen d'avancer est d'analyser les besoins ainsi que les meilleurs moyens d'y répondre et de tenter de répondre aux interrogations de chaque pays en entrant dans le détail des propositions. Le plan proposé par la Commission est massif et innovant, il est légitime que chaque pays cherche à bien en mesurer les conséquences et à le rendre le plus efficace possible économiquement. Nous estimons qu'il faut écouter les pays qui souhaitent qu'un accord se dégage, en premier lieu, sur l'identification des besoins, les critères de répartition de l'aide et la gouvernance de l'instrument de relance avant de fixer le montant global de l'aide et la répartition entre dons et prêts. Les Pays-Bas, par exemple, seraient prêts à accepter un accord, y compris avec une part de subventions, s'il repose sur des bases objectives et rationnelles et met en place une gouvernance permettant de s'assurer de l'efficacité des dépenses.

Pour convaincre, il faut mettre en avant la rationalité économique et la nécessité politique de la relance européenne. Le plan de relance aura un effet positif sur les économies de tous les pays européens, en raison de l'importance des échanges intra-européens. Il peut permettre de combiner le soutien aux secteurs et régions les plus touchés et l'investissement dans les technologies d'avenir, de renforcer nos atouts dans la compétition internationale et de corriger certaines faiblesses.

Le raisonnement qui a amené l'Allemagne à proposer des transferts budgétaires financés par un emprunt commun, à rebours de ses positions traditionnelles, constitue un exemple de pragmatisme. Son point de départ est que la solidarité financière entre États européens doit être organisée par les institutions européennes et passer par le budget européen, de même que la solidarité entre Länder passe par l'État fédéral. Il ne serait pas imaginable qu'un État membre puisse se porter garant d'un autre sans aucun droit de regard sur les dépenses réalisées. Partant de ce principe, la chancelière a pris acte du fait que les finances des États européens ne permettaient pas de financer une relance ambitieuse par une augmentation des contributions nationales au budget européen et qu'il fallait donc emprunter. Enfin, prêter aux États aurait augmenté leur endettement, déjà élevé, ce qui ne serait pas soutenable et mettrait en péril la stabilité de la zone euro. C'est pourquoi les transferts budgétaires sont apparus comme la meilleure solution.

Avec le plan de relance, il ne s'agit pas de donner un chèque en blanc à certains États, mais d'investir pour l'avenir. L'accent est mis sur une reprise écologique, numérique et résiliente de l'économie, à travers les conditions fixées dans les programmes du plan de relance (facilité pour la reprise et la résilience, notamment), sur lesquelles le Parlement européen sera très vigilant.

À la rationalité économique s'ajoute la nécessité politique de la réussite du plan de relance. Si l'Union échoue à s'entendre face à une crise aussi grave, les eurosceptiques seront renforcés. Si elle apporte une réponse rapide à la crise, elle enverra un message pro-européen aux populations. Il faudra non seulement que la réponse soit rapide, mais que le plan prouve son efficacité à moyen et long terme et que les réalisations permises par les fonds européens soient clairement identifiées pour les populations et qu'elles puissent être contrôlées et évaluées, c'est un devoir que nous avons vis-à-vis de nos concitoyens européens.

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