Intervention de Liliana Tanguy

Réunion du mercredi 8 juillet 2020 à 16h35
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLiliana Tanguy, rapporteure :

. La problématique de la méthode étant posée, je vais vous présenter les propositions qui font l'objet de discussions avant le prochain Conseil européen.

La démarche consistant à demander à la Commission d'évaluer les besoins et de proposer les instruments adéquats a été soutenue par tous. Elle était la mieux armée pour cela. Disposant d'une vue d'ensemble, elle peut analyser les enjeux au niveau européen tout en tenant compte de la situation particulière de chaque pays.

La question de l'identification des besoins rejoint celle du choix des critères de répartition des aides. Les critères de répartition devraient permettre à la fois de soutenir les régions et secteurs les plus touchés économiquement et de privilégier ce qui relance l'économie européenne le plus efficacement, notamment parce que des acteurs privés pourront prendre le relais des investissements publics.

Dans les propositions de la Commission, chaque programme budgétaire a des critères de répartition propres, en fonction de ses objectifs. Les interrogations sont nombreuses autour de ceux qui ont été choisis par la Commission pour le plus important, la facilité pour la reprise et la résilience. Il s'agit d'une des propositions qui sera parmi les plus discutées. Sa clé de répartition repose en effet sur la population en 2019, l'inverse du PIB par habitant en 2019 et le taux de chômage moyen entre 2015 et 2019. Elle ne tient donc aucun compte des conséquences de la crise et se rapproche, par la prise en compte du PIB par habitant, de la logique des fonds structurels.

Le choix des critères retenus, quelle que soit sa légitimité intellectuelle (la Commission souligne qu'ils mesurent la résilience des pays) et le résultat final sur les équilibres entre États, n'est pas sans conséquence sur la façon dont la cohérence du plan peut être présentée aux populations, et donc sur leur adhésion. Ainsi, si l'on considère au travers des critères de répartition que les pays qui doivent le plus être aidés ne sont pas ceux qui ont subi la diminution de PIB la plus importante, mais ceux qui présentaient des fragilités structurelles avant la crise, comment rejeter l'idée que cette aide soit soumise à des obligations de réformes destinées à remédier à ces faiblesses ? Il est important que les critères de répartition soient cohérents avec le diagnostic des besoins, la gouvernance de l'instrument de relance et le discours tenu sur le plan de relance.

En outre, s'il ne remet pas en cause les critères choisis pour la facilité pour la reprise et la résilience le service juridique du Conseil estime que, pour respecter les traités, les critères d'allocation du Fonds pour une transition juste et les champs d'application de plusieurs autres programmes devraient être liés plus étroitement à la pandémie.

Le caractère temporaire du fonds est essentiel pour les pays qui devront justifier auprès de leur population qu'ils n'ont pas accepté la création d'une union de transferts. Dans la proposition de la Commission, les fonds de l'instrument de relance doivent être engagés avant le 31 décembre 2024. C'est encore trop long pour certains pays, qui plaident pour une limitation à deux ans, comme l'Allemagne. Ils acceptent qu'une situation exceptionnelle nécessite une réponse exceptionnelle, mais insistent sur le fait que les mesures exceptionnelles sont par définition temporaires. Ensuite, l'économie doit reprendre un fonctionnement normal et les finances publiques doivent être redressées.

Le calendrier de décaissement des fonds soulève des interrogations de la part de nombreux pays, comme nous l'avons vu avec nos collègues italiens. Si les engagements doivent être pris avant la fin de 2024, en l'état actuel des prévisions de la Commission, les trois quarts des décaissements pourraient intervenir après 2023. Or il est important que la relance puisse se concrétiser le plus vite possible pour être efficace, créer la confiance et renforcer l'attachement des citoyens à l'Europe.

Pour mobiliser les investissements dès les premiers mois de la relance, la Commission européenne propose de modifier le CFP 2014-2020 et le budget pour 2020 afin d'engager 11,5 milliards d'euros dès 2020. Les pays scandinaves et l'Allemagne, en particulier, sont opposés à cette proposition. Ils estiment que les outils nationaux et les moyens déjà prévus par l'Union européenne à la suite de l'accord de l'Eurogroupe du 9 avril, qui n'ont pas encore été utilisés, donnent aux États les moyens nécessaires pour soutenir leur économie jusqu'à la mise en place du plan de relance. C'est également ce qui fait dire aux Pays-Bas que, s'il faut s'accorder sur le plan de relance rapidement, la date de l'accord ne doit pas prévaloir sur son contenu.

À la croisée des négociations liées au volume global de l'aide, aux critères de répartition et à la durée du plan de relance se trouve la question des capacités d'absorption des aides, soulevée par plusieurs pays, dont l'Allemagne. Au-delà d'un certain montant, les aides pourraient ne plus être dépensées faute de projets à financer. C'est une question qu'il n'est pas illégitime de soulever pour un pays comme l'Italie, compte tenu du montant des aides qu'il est susceptible de recevoir. Tous les pays n'abordent toutefois pas le sujet sous le même angle : certains pensent que, si l'enveloppe ne peut pas être absorbée pendant la période utile à la relance, il faut la diminuer, d'autres qu'il faut au contraire allonger la période de la relance pour améliorer la consommation de l'enveloppe.

Une des conditions fixées par les pays du Nord pour accepter le plan de relance est que l'Union puisse s'assurer que l'argent est bien utilisé. Pour nous, il s'agit d'une exigence que nous devons également aux Français et une condition indispensable à l'adhésion des populations de toute l'Europe sur le long terme.

Il était primordial pour ces pays que les dépenses passent par les programmes du budget européen. Cela garantit l'implication de la Commission et du Parlement européen et le recours aux procédures d'évaluation existantes. La compétence d'organes de contrôle européens tels que le parquet européen, l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) et la Cour des comptes européenne apporte des garanties sur le suivi de la bonne utilisation des fonds du plan de relance.

Le lien qui sera fait entre les aides reçues dans le cadre du plan de relance et les réformes conduites pour renforcer les économies sera crucial pour l'acceptation du plan de relance par les « quatre » cités précédemment et pour son efficacité à long terme. Il s'agit de trouver un juste équilibre qui permette de s'assurer que le soutien européen serve réellement à renforcer les économies, tout en préservant l'autonomie des États et en évitant de réitérer les erreurs commises lors de la sortie de la crise financière, lorsque l'austérité budgétaire avait ralenti la reprise.

Tous les pays sont conscients du fait que les différences entre la crise actuelle et la crise financière de la décennie précédente impliquent que les conditions devant accompagner le soutien à la relance ne peuvent être les mêmes que celles des programmes d'ajustement des années 2010. Beaucoup souhaitent toutefois conserver des incitations à la modernisation et à des politiques économiques responsables.

Par exemple, pour les Pays-Bas, la solidarité doit aller de pair avec la responsabilité. Nous l'avons évoqué avec Mme de Montchalin lors de sa dernière audition. Un lien fort doit être établi entre les réformes découlant des recommandations spécifiques par pays faites dans le cadre du semestre européen et le bénéfice du fonds de relance. L'amélioration de la compétitivité et de la productivité doit permettre à tous les États membres de ressortir de la crise plus forts. Les jeunes générations sont déjà les premières victimes de la crise et nous n'avons pas le droit de leur léguer une dette insoutenable.

Sur le principe, la démarche doit pouvoir recueillir un large accord. Giuseppe Conte a par exemple déclaré : « Ce ne sera pas un trésor à l'usage des gouvernements de passage mais de l'argent pour moderniser le pays et corriger tout ce qui ne va pas depuis trop longtemps. » L'Italie a le souci de préparer son plan national le plus rapidement possible afin de rassurer ses partenaires sur sa volonté de réforme et de le faire partager à l'ensemble de la société. Elle a ainsi organisé des états généraux de l'économie qui ont permis, pendant une semaine, de soumettre les propositions élaborées par un comité d'experts désigné dès le 10 avril à des représentants de l'ensemble de la société italienne.

Toute la difficulté pour trouver un accord consistera à trouver le bon équilibre pour que le fonds de relance incite aux réformes et que son usage soit contrôlé, sans qu'un pays ait le sentiment d'être mis sous tutelle.

Concrètement, la proposition de la Commission sur la facilité pour la reprise et la résilience prévoit que, pour bénéficier d'un soutien, les États présentent un plan pour la reprise et la résilience comprenant un train de mesures cohérent de réformes et de projets d'investissements publics destinés à remédier efficacement aux difficultés recensées dans les recommandations par pays adressées à l'État membre concerné. Ce plan doit exposer les valeurs intermédiaires et les valeurs cibles ainsi qu'un calendrier indicatif relatif à la mise en œuvre des réformes et des investissements sur des périodes maximales, respectivement, de quatre ans et de sept ans. Les contributions de l'UE seraient versées par tranches une fois que l'État membre a atteint de manière satisfaisante les valeurs intermédiaires et les valeurs cibles qu'il a lui-même fixées en accord avec la Commission. Le paiement pourrait être suspendu, voire annulé, si ces valeurs ne sont pas atteintes.

La proposition de la Commission laisse beaucoup de marges d'interprétation sur les réformes attendues et la fixation des cibles à atteindre. Cela sera un point important des négociations.

L'élaboration de ces plans pour la reprise et la résilience, ainsi que le déblocage des fonds, donneront lieu à un dialogue fourni entre la Commission et les États membres concernés. C'est ce que tous nous ont dit. Il faut souligner que l'ensemble des États membres sera impliqué dans ces décisions via un comité composé de représentant des États membres qui devra valider, à la majorité qualifiée, les décisions de la Commission sur l'adoption des plans pour la reprise et la résilience, le versement du soutien financier lorsque les valeurs intermédiaires et les valeurs cibles sont atteintes, ou sa suspension. Les Pays-Bas, favorables d'une manière générale à une gouvernance spécifique à l'instrument de relance, souhaiteraient que ces décisions soient prises à l'unanimité.

Concernant les modalités de remboursement des emprunts souscrits par l'Union, la Commission apporte peu de précisions. L'Allemagne et plusieurs autres pays souhaitent que les règles de remboursement soient précisées dès à présent et que le remboursement du capital commence avant la fin du CFP 2021-2027. Ils estiment qu'il ne serait pas correct de renvoyer cette responsabilité à la négociation du CFP suivant. Si elle souligne la nécessité d'étaler les coûts de la crise sur une période longue, l'Italie se montre ouverte à une trajectoire plus rapide que celle qui a été proposée par la Commission.

Au terme de nos auditions, nous sommes convaincues de la volonté de chaque pays d'aboutir à un accord qui bénéficierait à tous les Européens et permettrait à chaque gouvernement de le présenter à sa population en montrant que ses intérêts ont été pris en compte. L'Union a été fortement critiquée au début de la crise ; il faut souligner qu'elle a pris depuis des initiatives fortes et rapides, dont ce plan de relance constituerait l'aboutissement.

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