Intervention de Caroline Janvier

Réunion du mercredi 22 juillet 2020 à 16h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCaroline Janvier, rapporteure :

L'objectif de la PEV étant clairement affiché et poursuivi depuis presque cinq ans, notre rapport fait le bilan de l'action de l'Union européenne dans son voisinage.

Autant le dire d'emblée : ce bilan est plus que mitigé mais avant d'aller plus loin, il faut garder à l'esprit que la PEV est une politique qui s'inscrit dans le long terme car elle vise à des changements structurels dans les pays concernés. Ceux-ci prennent du temps, et c'est seulement en 2015 que la PEV a été réformée. Le bilan qu'il est possible d'en tirer est donc nécessairement biaisé par un recul limité mais il permet néanmoins de mettre en évidence ce qui marche comme ce qui ne marche pas dans la PEV, et d'en tirer les leçons.

Quatre pays, dans lesquels nous nous sommes rendus, ont fait l'objet d'une analyse particulière : deux pays du voisinage Sud, la Tunisie et la Jordanie, et deux pays du voisinage Est, la Géorgie et l'Azerbaïdjan. Bien que très différents et illustrant à ce titre la diversité de la PEV, ils mettent aussi en lumière toutes les difficultés, limites et ambiguïtés de cette politique.

La Tunisie, pour commencer. C'est le pays du voisinage le plus massivement aidé par l'Union européenne : depuis la Révolution de 2011, celle-ci a engagé dix milliards d'euros dans le pays pour soutenir la transition démocratique, les réformes économiques ainsi que la lutte contre le terrorisme. Cette dernière est, de l'avis général, ce qui fonctionne le mieux. En revanche, l'économie tunisienne est toujours en crise. Les négociations d'un accord de libre-échange complet approfondi (ALECA) sont bloquées depuis des années. Les réformes sont lentes et partielles, se heurtant à une administration inefficace et à des cartels économiques très puissants, avec pour conséquence une émigration massive des jeunes vers l'Europe. Malgré ce bilan mitigé, une chose est cependant certaine : sans l'implication aussi considérable de l'Union européenne, il est peu probable que le pays aurait pu continuer à fonctionner et la transition démocratique se poursuivre.

Deuxième pays, la Jordanie, qui présente de nombreuses similitudes avec la Tunisie. Comme en Tunisie, même si l'action de l'Union européenne semble avoir des résultats limités, elle est essentielle car elle permet à ce pays de rester stable et de continuer à fonctionner dans un environnement sécuritaire très dégradé. La Jordanie a en effet été frappée de plein fouet par les crises irakienne et syrienne. L'afflux des réfugiés comme la fermeture de ces marchés, ainsi que le terrorisme, ont profondément déstabilisé son économie. Le gouvernement privilégie aujourd'hui la stabilité sociale plutôt que les réformes économiques, et les avancées en matière démocratique et d'État de droit sont limitées, à l'exception d'une réforme de la justice.

Enfin, malgré leur proximité géographique, l'Azerbaïdjan et la Géorgie présentent, du point de vue de la PEV, un profil radicalement opposé. La Géorgie est le bon élève du Partenariat oriental. Elle met en effet un point d'honneur à satisfaire l'ensemble des exigences de l'Union européenne dans tous les domaines : bonne gouvernance et institutions, droits fondamentaux, migration, réformes économiques et accord de libre-échange. Pourquoi ? Parce que la Géorgie aspire à intégrer l'Union européenne. Sa constitution dispose d'ailleurs que « les organes constitutionnels doivent prendre toutes les mesures relevant de leurs compétences en vue d'une adhésion complète de la Géorgie à l'Union européenne ». Les réformes qu'elle met en œuvre visent, de ce point de vue, à une intégration substantielle à l'Union européenne, laquelle devrait précéder l'intégration formelle.

En revanche, les relations sont bien moins enthousiastes avec l'Azerbaïdjan. Ce pays est très éloigné des standards européens en matière politique, économique et d'État de droit et ne semble pas avoir la volonté de s'en rapprocher. Les moyens de pression de l'Union européenne sont limités s'agissant d'un pays relativement riche, sans attente particulière vis-à-vis d'elle et disposant d'alternatives stratégiques dans la région. Dès lors, son action dans le pays est limitée principalement au soutien du projet de gazoduc destiné à transporter le gaz de la Mer Caspienne jusqu'en Italie.

Malgré certains résultats positifs dans ces quatre pays, comme d'ailleurs dans d'autres, il n'en reste pas moins que, globalement, la PEV n'a pas atteint ses objectifs, tant à l'Est qu'au Sud.

Quels sont ces objectifs ? Selon la Communication de 2015, « pour les trois à cinq prochaines années, la stabilisation est l'enjeu le plus immédiat dans de nombreuses régions du voisinage ». Nous sommes en 2020 et le constat peut être fait que, jamais probablement depuis le lancement de la PEV en 2003, le voisinage n'a été aussi instable.

À l'Est, tous les pays du Partenariat oriental, sauf la Biélorussie, sont minés par les conflits dont la caractéristique commune est d'impliquer, directement ou indirectement, la Russie :

– l'Ukraine, dont une partie du territoire – la Crimée – a été annexée par la Russie, laquelle entretient par ailleurs l'instabilité dans l'Est du pays ;

– la Moldavie, dont une partie du territoire, la Transnistrie, a déclaré son indépendance avec le soutien de la Russie ;

– La Géorgie, qui est amputée d'une partie de son territoire depuis l'invasion russe de 2008 ;

– enfin, l'Azerbaïdjan et l'Arménie qui sont en conflit depuis l'occupation, par cette dernière, de la région du Haut-Karabagh. De violents incidents ont d'ailleurs à nouveau eu lieu il y a deux semaines, faisant douze morts parmi les militaires des deux camps.

Quant au voisinage Sud, ce n'est guère mieux. L'objectif de stabilité n'est pas plus atteint que les autres objectifs tels que le respect des standards européens en matière de démocratie et d'État de droit. Si quelques progrès ont été accomplis par le Maroc, les relations avec l'Algérie sont très distendues, tandis que l'Égypte est redevenue une dictature militaire, peu respectueuse des droits fondamentaux et régulièrement frappée par le terrorisme. Le conflit entre Israël et l'Autorité palestinienne reste toujours irrésolu. Quant à la Syrie et la Libye, ce sont maintenant des États faillis et en guerre, Le Liban, enfin, est profondément déstabilisé par une crise économique, politique et sociale dramatique.

En conclusion de ce bilan, oui, la PEV a pu avoir, dans certains pays, des effets bénéfiques qu'il convient de saluer. Toutefois, elle est très loin d'avoir atteint son objectif de stabilisation du voisinage, lequel n'a jamais été aussi instable depuis son lancement.

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