Intervention de Caroline Janvier

Réunion du mercredi 22 juillet 2020 à 16h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCaroline Janvier, rapporteure :

Fort de ces constats et analyses, notre rapport comporte sept propositions pour renforcer l'efficacité de la politique européenne de voisinage.

La première proposition vise à élargir le périmètre géographique de la PEV aux « voisins des voisins » en favorisant une approche régionale des enjeux. Comme l'a souligné Joaquim Pueyo, l'une des faiblesses de la PEV est d'opérer une séparation artificielle entre ce qui relève du voisinage et ce qui relève des voisins des voisins, alors que les mêmes crises les affectent tous et ne pourront être résolues dans un cadre strictement national. Très concrètement, nous proposons que la PEV englobe l'Irak et les pays du G5 Sahel, c'est-à-dire le Mali, la Mauritanie, le Burkina-Faso, le Niger et le Tchad.

La deuxième proposition s'appuie sur le constat que la mise en œuvre de la PEV est de plus en plus différenciée, selon le principe « more for more, less for less » : l'Union européenne soutient d'autant plus les pays qu'ils mettent en œuvre les réformes. Cette différenciation pourrait aller encore plus loin et permettre de distinguer un groupe de pays très impliqués dans l'approfondissement de leurs relations avec l'Union européenne, en particulier la Géorgie.

En effet, nous avons constaté que, dans ce pays, c'était la perspective de l'adhésion à l'Union européenne qui motivait le gouvernement géorgien, avec un large soutien de sa population, à mettre en œuvre les réformes prévues par l'accord d'association. Or, cette perspective n'est absolument pas évoquée à Bruxelles et il est à craindre qu'à la longue, ce soutien s'émousse et que le gouvernement se lasse des exigences européennes.

Il apparaît donc nécessaire de valoriser les efforts de ces pays mais autrement que par le décaissement de tranches supplémentaires d'aide macro-financière, certes important mais qui, sur le plan politique et symbolique, n'est pas suffisante pour pallier l'absence de perspective crédible d'adhésion. Nous pensons par exemple à des rencontres régulières de haut niveau avec les responsables des institutions européennes ainsi qu'une participation aux programmes, politiques (autres que la PEV) et agences européennes.

La troisième proposition concerne la réforme en cours des instruments financiers des politiques extérieures européennes. L'objectif est de fondre en un seul des instruments géographiques comme l'instrument européen de voisinage mais également des instruments thématiques comme l'instrument de coopération au développement, l'instrument pour la démocratie et les droits de l'homme, l'instrument contribuant à la stabilité et à la paix, ou encore le fonds européen pour le développement durable.

Nous sommes, d'une manière générale, favorables à cette réforme, qui favorise une approche globale, transrégionale et multisectorielle des différentes politiques extérieures européennes, d'autant qu'elle s'accompagnerait d'un accroissement substantiel des ressources. Toutefois, nous attirons l'attention sur trois points qui nous semblent fondamentaux :

– maintenir la répartition actuelle des crédits de la PEV selon la règle 2/3 pour le voisinage Sud, 1/3 pour le voisinage Est ;

– appliquer réellement la nouvelle flexibilité que permettra cet instrument unique, sans reconstituer en son sein les différents instruments et leur rigidité ;

– et enfin renforcer la part, actuellement fixée à 25 %, des crédits de l'action extérieure de l'Union européenne consacrée à la lutte contre le changement climatique.

La quatrième proposition repose sur le constat que nous avons fait que les projets de la PEV dans les différents pays voisins sont d'autant plus facilement mis en œuvre qu'ils ne sont pas élaborés hors sol, voire imposés par l'Union européenne, mais qu'ils répondent à une demande locale. Ainsi, en Jordanie, la réforme de la justice, fondamentale et hautement sensible, a pu être lancée car elle s'appuyait sur la volonté du Roi Abdallah II et une demande forte de la société civile. Nous proposons donc que les différentes parties prenantes, à Bruxelles, s'appuient sur l'expertise locale, notamment celle des ONG, des opérateurs et des délégations de l'Union européenne, pour élaborer les projets relevant de la PEV, lesquels seraient ainsi plus facilement appropriés par les acteurs locaux.

La cinquième proposition vise à renforcer le suivi de la mise en œuvre des réformes dans les pays voisins. En effet, dans ses rapports annuels, la Commission européenne a tendance à considérer qu'une fois la loi adoptée ou le règlement publié, la mission est accomplie et qu'une case est cochée dans l'accord d'association Or, les vraies difficultés concernent le plus souvent la mise en œuvre effective des réformes. Comme nous avons pu le constater en Tunisie, de nombreuses réformes restent en réalité lettre morte, même si elles ont été formellement adoptées. Ainsi, malgré l'adoption du « Start-up Act » le 3 avril 2018, les changements concrets se font toujours attendre, les procédures administratives n'ayant pas été modifiées. Il est par exemple toujours très difficile d'ouvrir un compte en devises, alors même que celui-ci est nécessaire pour les activités à l'international. Nous proposons donc que les institutions européennes, tout en assurant comme actuellement le suivi de l'adoption des réformes, non seulement assurent celui de leur mise en œuvre effective mais accompagnent celle-ci.

Notre sixième proposition repose elle aussi sur un constat que nous avons fait lors de nos déplacements. Nous avons eu l'impression que les populations des pays voisins n'ont pas forcément conscience de l'ampleur de l'engagement européen, notamment financier, ni des réalisations à mettre à son actif. Nous considérons donc comme essentiel que dans chacun des pays relevant de la PEV, les délégations de l'Union européenne mettent en place une stratégie visant à mieux faire connaître l'action de l'Union européenne, ses réalisations et ses ambitions.

Par ailleurs, au-delà de la promotion de son action, il nous semble dans l'intérêt de l'Union européenne de porter une plus grande attention au choix des mots qui, dans certains domaines sensibles, peut avoir un impact fortement négatif au point de compromettre la mise en œuvre de la PEV. À Tunis, nous avons ainsi mesuré les conséquences dans l'opinion publique de la dénomination « accord de libre-échange complet et approfondi » pour qualifier le futur accord encadrant les relations entre la Tunisie et l'Union européenne. Car c'est de cela qu'il s'agit : d'un accord bien plus large qu'un accord de libre-échange, incluant toutes les autres dimensions de la relation bilatérale (politique, scientifique, universitaire, sécuritaire…). Le terme est donc à la fois très réducteur et provocateur car la Tunisie ne veut pas d'un libre-échange complet et approfondi qu'elle considère – sans doute d'ailleurs à raison – comme une menace pour de nombreux secteurs économiques. Au final, en raison notamment de ce choix malheureux des mots, les négociations sont au point mort depuis plusieurs années.

Enfin, septième et dernière proposition : renouer le dialogue avec la Russie. C'est un fait évident que nous avons évoqué à plusieurs reprises, que la Russie exerce dans le voisinage une influence aussi forte que croissante, à la fois à l'Est mais également au Sud.

Par conséquent, compte tenu de l'influence déstabilisatrice de la Russie dans son voisinage il faut admettre que l'Union européenne ne pourra atteindre l'objectif principal de la PEV – la stabilisation et la résilience des pays voisins – sans l'aide de la Russie ni, a fortiori, contre elle.

Nous considérons donc qu'il n'est plus possible aujourd'hui, alors que les crises s'accumulent dans le voisinage et que la Russie est à l'origine ou entretient nombre d'entre elles, de continuer à mettre en œuvre comme si de rien n'était la PEV. L'Union européenne ne peut se dispenser d'une réflexion sur ses relations vis-à-vis de la Russie. Renouer le dialogue avec celle-ci apparaît donc nécessaire, comme le souhaite d'ailleurs le Président de la République, mais un dialogue sans naïveté, franc et exigeant, tout en gardant à l'esprit la menace qu‘elle peut représenter.

Dès lors, la question des sanctions européennes doit être abordée ouvertement et sans a priori. Si envisager aujourd'hui de les lever serait inopportun et totalement prématuré, les sanctions ne doivent pour autant pas être sacralisées mais être considérées pour ce qu'elles sont : un élément de négociation pour faire bouger les lignes d'une relation bilatérale totalement figée, au détriment de l'Europe et de sa stabilité, depuis 2014.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.