Intervention de Valérie Gomez-Bassac

Réunion du mercredi 22 juillet 2020 à 16h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Gomez-Bassac, rapporteure :

La période aurait globalement pu être propice, pour l'Union européenne, à la démonstration qu'elle est un échelon pertinent de décision et de réponse aux crises. Or, elle s'est surtout contentée de mesures non-contraignantes, notamment parce qu'elle ne dispose que d'une compétence d'appui en matière de santé publique.

Une réponse importante a toutefois été apportée sur le volet des aides d'État afin de limiter les faillites et ainsi sauvegarder le tissu productif européen. Le 20 mars, la Commission a dévoilé un nouveau cadre pour les aides d'État dérogatoire aux règles traditionnelles de la concurrence. Il faut saluer le fait qu'il est intervenu assez rapidement. En autorisant le recours massif aux aides habituellement prohibées parce qu'elles sont incompatibles avec le marché intérieur, la Commission a des objectifs très clairs :

– permettre aux États membres de soutenir la trésorerie des entreprises confrontées aux effets du confinement sur la consommation et l'investissement ;

– éviter les effets d'hystérèse sur le chômage et le savoir-faire européen.

En France, ces aides ont principalement pris la forme de prêts garantis par l'État qui atteignent à ce jour 110 Mds €.

Le risque inhérent aux montants importants des enveloppes engagées (par l'Allemagne en particulier) est que les pays pouvant mobiliser l'instrument budgétaire au bénéfice de leurs entreprises nationales sont déjà dans une situation plus favorable à l'échelle du marché intérieur. Le risque du recours massif aux aides d'État serait donc d'entraîner des distorsions importantes sur le marché et d'accentuer les disparités entre États membres. Il faudra donc être très vigilant quant au calendrier de retour à la normale sur ces dispositifs.

Le cadre temporaire sur les aides d'État complète d'autres possibilités dont disposent les États pour atténuer les effets socio-économiques de la pandémie, comme les indemnisations aux secteurs les plus touchés, ou les adaptations d'effet général en faveur des entreprises (par exemple, différer le paiement des taxes et des impôts ou subventionner le chômage partiel dans tous les secteurs).

Enfin, il faut citer le plan de relance post-covid très ambitieux proposé par le duo franco-allemand et désormais porté par la Commission européenne, qui a fait l'objet d'un Conseil européen très animé ayant abouti à un accord sur une enveloppe de 750 milliards d'euros, dont 390 milliards de subventions.

Le bilan qui peut être tiré de cette période de crise est en demi-teinte : l'Europe a été présente, mais elle a été dépassée par les États ; ce sont eux qui ont été en première ligne. L'action des États membres, à travers le tandem franco-allemand, résolument décidé à sortir de la crise par la solidarité, a été nécessaire pour qu'une vraie démarche de relance s'enclenche.

Sur un temps plus long, nous avons la conviction que le salut est dans le renforcement de l'intégration du marché intérieur, et non dans le morcellement qu'on a pu observer durant la crise. C'est une condition nécessaire à l'émergence d'un tissu économique résilient.

Au pic de la crise, plusieurs problèmes d'approvisionnement ont été craints ou dénoncés, en particulier en matière d'équipements médicaux et de médicaments. Selon, l'Académie française de pharmacie, 80 % des principes actifs consommés en Europe sont produits en Chine, en Inde et en Asie du Sud-Est. Quant aux difficultés d'approvisionnement en masques chirurgicaux, elles ont acquis une portée politique spectaculaire.

La relocalisation des productions est dans l'air du temps, mais elle ne peut être l'alpha et l'oméga de la préparation à une nouvelle crise, dont on ne se sait pas quelle sera sa nature : un nouveau virus, ou une catastrophe climatique ? Les lignes de production ne sont pas disponibles à moyen terme, et le coût de produire sur le territoire européen est supérieur dans beaucoup de domaines.

L'enjeu central, à cet égard, est de définir le périmètre des industries concernées, tout en étant dans l'incertitude totale sur ce dont nous aurons besoin la prochaine fois. Il existe, toutefois, un consensus autour de la nécessaire autonomie en matière de médicaments. Ce recentrage pourrait accompagner un nécessaire mouvement de spécialisation de l'industrie française vers des secteurs à plus forte valeur ajoutée, son positionnement actuel étant intermédiaire, contrairement au Japon ou à l'Allemagne par exemple.

Il est également nécessaire de définir la méthode qui présidera à ces relocalisations, lorsqu'elles sont pertinentes. Ériger des barrières commerciales peut permettre d'éviter la dilution des chaînes de valeur à l'échelle mondiale ; dans les secteurs les plus stratégiques, il est également envisageable de nationaliser partiellement certaines entreprises.

Le marché unique doit acquérir tout son potentiel. C'est un prérequis de notre résilience économique autant qu'une nécessité politique pour la construction européenne.

Le marché européen n'est pas aussi unique qu'il n'y paraît : il existe autant de marchés que d'États. Cette multiplicité est un frein à l'optimisation des flux communautaires. Il faut encourager la création d'outils communs pour lutter contre la fragmentation des droits nationaux, qui est un frein à notre prospérité commune et au développement de la résilience du marché intérieur. J'ai fait des propositions à ce sujet dans mon rapport étudiant l'opportunité d'élaborer un code européen des affaires. Si l'harmonisation de tout le droit est un vœu pieux, nous pourrions avancer de façon ambitieuse et rapide sur l'harmonisation du droit des affaires en adoptant des outils permettant de fluidifier les échanges. Cette perspective a été soutenue par les personnes auditionnées lors de ma mission.

La taille comme l'unification du marché intérieur sont une force d'attraction pour les investisseurs étrangers. À ce stade, les différences entre les réglementations nationales ont des effets importants sur la vie des entreprises. Les différences de normes sont particulièrement coûteuses pour nos TPE et PME.

On observe aussi en Europe un déficit d'innovation lié à la difficulté d'accéder à un financement assez important pour permettre une croissance rapide. Il est actuellement compliqué de développer une start-up à l'échelle des 27, car ces jeunes entreprises n'ont pas accès à des fonds de capital-risque suffisamment développés.

Cela a pour corollaire que les entreprises américaines évincent les entreprises européennes. En effet, elles se sont développées dans un pays de common law, dont le droit commercial est régi par le Uniform Commercial Code, dans un grand marché solvable de 330 millions de consommateurs. Les entreprises qui réussissent leur trajectoire de croissance, appelées scale-ups, ont la capacité de se déployer immédiatement à l'échelle de l'Union, capacité qui fait cruellement défaut à nos jeunes pousses. Il y a là tant un enjeu de développement économique que de souveraineté.

S'y ajoute la fragmentation de l'investissement, qui fait que l'épargne est encore essentiellement orientée vers le territoire national. Les Allemands investissent chez eux car l'environnement juridique manque de transparence et freine les capitaux. De fait, il est nécessaire d'harmoniser le droit des affaires afin que le marché des capitaux puisse jouer pleinement son rôle d'amortisseur des crises, et que les pays en excédent d'épargne aillent la placer ailleurs en Europe.

Enfin, le droit de la concurrence n'est plus adapté à la réalité des échanges qui s'intègrent dans une économie mondiale. Il s'agit de repenser le droit de la concurrence et, plus précisément, de redéfinir le marché pertinent sur lequel s'apprécient les pratiques concurrentielles (ententes et abus de position dominante) et les concentrations.

Le marché intérieur a été conçu pour encourager la prospérité à l'échelle européenne. Il servait aussi un but de long-terme, à savoir le rapprochement politique par l'intégration économique. Ne perdons pas de vue que cette imbrication étroite de l'économique et du politique lorsque nous souhaitons renforcer les liens qui nous unissent à 27.

L'UE doit constituer une opportunité pour ses citoyens, ses entrepreneurs ou ses entreprises. Si elle perd de vue cet objectif, les divisions des États membres sur d'autres sujets, comme le respect de l'État de droit ou la solidarité dans l'accueil des demandeurs d'asile, n'en seront que plus vives.

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