Le principe de solidarité apparaît dès la célèbre « déclaration Schuman ». Il est ensuite énoncé dans le préambule du Traité sur l'Union européenne (TUE) qui fixe comme objectif « d'approfondir la solidarité entre les peuples dans le respect de leur histoire, de leur culture et de leurs traditions ». L'article 3 du TUE affirme solennellement que l'Union « promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres ». Cette solidarité s'exprime très clairement dans plusieurs domaines de la construction européenne :
– en matière de politique étrangère et de sécurité commune (article 24 TUE)
– en matière de politique d'asile et d'immigration (article 80 TFUE)
– afin d'assurer la sécurité de l'approvisionnement énergétique de l'Union (article 194 TFUE)
Dans d'autres domaines, et en particulier dans les domaines économiques et financiers c'est l'absence de solidarité qui a marqué les politiques européennes ces dernières années. La crise grecque dans la décennie passée, qui était en réalité une crise de l'Europe, l'a révélé au grand jour. En un sens nous pouvons parler d'un échec de la solidarité européenne. Avec l'accord sur le plan de relance scellé ce week-end, je pense que l'Europe prend un tournant historique. Les dirigeants européens ont fait le choix politique, radical, assumé, déterminé d'affronter la crise économique et sociale qui s'annonce de manière opposée à celle de 2008. Jusqu'à présent, la solidarité ne se limitait qu'à des événements exceptionnels et par nature imprévisibles tels que les attaques terroristes ou les catastrophes naturelles. Avec cet accord, les Européens font le choix de placer la solidarité politique au cœur du projet européen. Elle n'est donc plus ponctuelle, elle n'est plus limitée dans le temps. Cet accord ouvre la voie à une Union sans cesse plus étroite qui est la seule façon de répondre aux grands enjeux géopolitiques et économiques auxquels l'Europe est confrontée.
Cette solidarité nouvelle trouve aussi sa source dans les crises successives de ces dix dernières années, lesquelles avec le Brexit ont changé durablement les pratiques et le rôle des institutions communautaires. L'exemple le plus emblématique est celui de la BCE et l'intervention de Mario Draghi avec son fameux « whatever it takes » qui a permis de sauver la zone euro. Rappelez-vous du contexte. Nous sommes alors en juillet 2012 et la solidarité entre pays de la zone euro se disloque. La crise grecque fait entrevoir une possible sortie du pays de la monnaie unique et par contagion cette hypothèse plombe la dette des pays du sud de l'Europe : le Portugal se finance à 10 %, le taux à 10 ans espagnol a bondi à 7,62 %, le taux à 10 ans italien est à 6,60 %. C'est à ce moment-là que la BCE intervient avec pour effet immédiat la baisse des taux de ces pays et le rebond des bourses européennes.
Dans la crise de la COVID c'est encore la BCE qui a agi en premier. Dès la mi-mars, de manière massive, elle a permis d'éviter une crise financière de court terme et l'écartement du « spread » entre les taux d'intérêts européens. Mais c'est aussi la Commission européenne qui a agi très tôt – malgré ce que l'on a pu dire parfois – et a permis aux États membres d'apporter au niveau national des réponses sectorielles qui étaient alors indispensables. Ces exemples montrent que les solidarités européennes sont d'abord, pour reprendre une expression de Schuman, des « solidarités de fait ». C'est quand les États européens sont bousculés qu'ils sont contraints de faire progresser les mécanismes de solidarité.
La solidarité européenne est donc encore trop souvent pensée de manière réactive, quand les États sont « au pied du mur ». Mais une fois que ces mesures sont prises, elles s'ancrent durablement dans la pratique, en atteste la rapidité d'action de la BCE et de la Commission dans la crise de la COVID.
Il n'en demeure pas moins que nous devons penser ces formes de solidarité de façon plus pérennes de façon à envisager à l'avenir les crises avec plus de pérennité.