Intervention de Pieyre-Alexandre Anglade

Réunion du mercredi 22 juillet 2020 à 16h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPieyre-Alexandre Anglade, rapporteur :

Mener une politique industrielle ambitieuse implique de faire des choix sectoriels, géographiques et économiques. Cela exige également de dépasser l'opposition qui peut exister entre les intérêts des consommateurs et ses producteurs. Ces éléments sont la condition d'une véritable souveraineté européenne en matière industrielle. Ils sont aussi essentiels afin de réduire notre dépendance à l'extérieur dans des secteurs stratégiques, comme la production de médicaments, mais aussi d'améliorer la protection des entreprises, de mieux lutter contre les investissements prédateurs venant de puissances extérieures et aussi de relocaliser les investissements clés en Europe.

L'Europe ne doit pas se fermer au commerce mondial, mais elle doit être moins naïve. Elle doit mieux accompagner les secteurs les plus stratégiques et nous pensons que nous avons intérêt à partager une stratégie commune d'autonomie industrielle et économique

C'est ici qu'intervient, encore une fois, la notion de « solidarité ». En contrepartie de la solidarité budgétaire et des bénéfices qu'ils tirent du marché intérieur, les États membres doivent accepter de payer un peu plus cher pour des biens qui seront produits par leurs voisins européens. C'est d'ailleurs la logique historique de la PAC, qui correspond à la première politique entièrement européenne. La solidarité de la PAC se manifeste de deux façons :

– une dimension budgétaire évidente ;

– une dimension commerciale – des tarifs douaniers élevés – qui matérialise une forme de « préférence communautaire »

En contrepartie des avantages qu'elle allait tirer du marché intérieur pour son industrie, l'Allemagne a dû accepter de soutenir et d'acheter les produits agricoles français. C'est ce qu'explique le général De Gaulle dans une conférence de presse de 1964 : « des Six, c'est l'Allemagne qui accepta les plus grands changements dans son système économique. Car, jusqu'à présent, tout en subventionnant largement son agriculture, elle achète à des pays extérieurs à la Communauté la moitié de ses aliments. Saluons la preuve très claire de solidarité européenne qui ainsi donnée (…) et disons que notre fidélité aura l'occasion de répondre à la leur ».

C'est bien le terme de « solidarité » qu'emploie De Gaulle pour justifier cette préférence coûteuse accordée aux produits européens. Il fallait, pour reprendre une autre de ses formules, qu'en Europe « on y mange ce qui y pousse plutôt que ce qu'on y importe »

Dans le cas de la PAC, cette « préférence communautaire » était justifiée par un intérêt supérieur, l'exigence de sécurité alimentaire. Il ne fallait pas que nos approvisionnements agricoles dépendent du bon vouloir de nos partenaires commerciaux. Ce débat est évidemment encore d'actualité. La crise que nous traversons a eu pour effet de montrer la pertinence de ce concept de « souveraineté » ou « d'indépendance » stratégique défendu de longue date par la France. Jusqu'ici, personne ne s'inquiétait du fait que nous importions l'essentiel de nos médicaments ; à présent on veut relocaliser la chaîne de production des médicaments, dans un objectif « d'indépendance sanitaire ».

Mais nous aimerions montrer qu'une solidarité européenne serait justifiée pour bien d'autres raisons que la seule garantie de l'approvisionnement en médicaments et en produits agricoles. L'Union européenne se caractérise par des normes, par des valeurs, par des préférences collectives que nous devons affirmer face à nos partenaires étrangers. C'est la souveraineté européenne qui nous permettra de nous défendre et d'exister, de nous défendre en apportant nos règles, nos préférences. Dans le domaine du numérique, il s'agit par exemple de la protection des données privées ou du « droit à l'oubli ». Nous avons aussi des normes sociales et environnementales inscrites au cœur de l'identité industrielle européenne. Si nous ne sommes pas prêts à investir pour défendre nos préférences collectives, nous subirons nécessairement celles des consommateurs américains et asiatiques. Ne pas être souverains et solidaires, c'est décider que d'autres décideront pour nous.

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