Intervention de Janusz Wojciechowski

Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 11h05
Commission des affaires européennes

Janusz Wojciechowski, Commissaire européen chargé de l'agriculture :

S'agissant d'une définition objective de la crise, la Commission rédige actuellement un document relatif à la reprise. Chaque année, nous constituions une réserve de crise s'élevant à 400 millions d'euros. En général, nous ne l'utilisions pas parce que les conditions de son utilisation n'étaient pas suffisamment clairement définies et parce qu'elle avait une incidence sur les paiements directs. Dès lors, certains membres n'étaient pas très enclins à y avoir recours. Cette année, la situation sera différente. L'absence de lien avec le versement de paiements de directs facilitera probablement l'utilisation de cette réserve. En toute honnêteté, je souhaiterais disposer d'un plus grand nombre d'outils nous permettant de faire face à ce type de crise. La PAC démontre sa valeur ajoutée lorsqu'elle est en mesure de réagir rapidement en situation de crise pour aider les agriculteurs.

La problématique des importations de denrées que nous refusons de produire pose la question de la mission de nos agriculteurs. Certaines filières dépendent beaucoup des exportations. Certains pays produisent dix fois plus que ce qu'ils sont capables d'écouler sur leur marché national, voire vingt fois plus. Cette réalité rend ces pays dépendants des exportations soit vers d'autres États membres de l'Union européenne, soit vers des pays tiers. N'oublions pas que notre marché intérieur est important. À ce jour, l'Union européenne est le premier exportateur de produits alimentaires.

En réalité, nous importons des produits agricoles bruts pour plus de 30 millions d'euros et nous exportons essentiellement des produits agricoles transformés. Nous importons des produits bruts, nous les transformons et nous les exportons. Nous ne déplorons pas de surplus de production de produits agricoles en Europe. Dès lors, nous nous attachons à soutenir davantage le secteur de la transformation. C'est le sens de la stratégie « Du champ à l'assiette » dans laquelle nous privilégions des chaînes d'approvisionnement courtes ou raccourcies. En effet, nous transportons plus de trois milliards de tonnes de produits agricoles et de denrées alimentaires par an, qui traversent l'Europe d'est en ouest, d'ouest en est, dans tous les sens. Compte tenu du prix de la tonne au kilomètre, l'impact est lourd. Dès lors, nous sommes encore très éloignés de la stratégie « de la ferme à la table » puisque chaque produit parcourt en moyenne 180 kilomètres. Cela génère non seulement de la pollution, mais également des coûts, puisque l'agriculteur reçoit une moindre rémunération pour ses produits et qu'à l'autre bout de la chaîne, le consommateur paie ces mêmes produits plus cher. Nous souhaitons raccourcir ces chaînes d'approvisionnement et soutenir les agriculteurs qui identifient des solutions locales de transformation de leurs produits. Cela constitue une de nos priorités. Certes, les exportations sont importantes et nous désirons les développer en promouvant nos normes de production exigeantes, le respect du bien-être animal, la qualité de nos produits, etc. Pour autant, il convient de ne pas ignorer les marchés locaux. Mon ambition consiste à réduire la distance parcourue par chacun de nos produits et par là même, les besoins en transport. Dans ce cadre, la tâche est vaste.

S'agissant de votre question relative aux pays du Mercosur, nous sommes en phase de ratification. Un accord avait été signé préalablement à ma prise de fonction. La Commission diligente systématiquement une étude d'impact sur l'agriculture avant de ratifier quelque accord international que ce soit. Les négociations commerciales peuvent représenter une menace pour certains secteurs agricoles et je comprends que des agriculteurs soulèvent ces questions. Si nous soutenons la stratégie des marchés locaux, nous réduirons les besoins en importations. Personne ne contraint qui que ce soit. Les contingents tarifaires existeront, mais il ne sera pas imposé de les épuiser. Il convient d'étudier ce qu'il est intéressant d'importer et s'il est nécessaire de traverser l'océan ou de parcourir des milliers de kilomètres pour importer sur le marché européen dès lors qu'il est possible de faire appel à des marchés locaux. Si ces marchés locaux sont soutenus, les importations ne seront tout simplement plus intéressantes.

Cela vaut également d'ailleurs pour les protéagineux. En effet, nous importons 36 millions de tonnes chaque année. Elles concernent notamment le soja qui entre dans la composition des aliments pour les animaux. Il est essentiel de soutenir une production locale de ces protéagineux, soit par le biais d'un soutien direct à la production, soit dans le cadre de programmes écologiques. Nous gardons l'esprit ouvert sur les différentes modalités envisageables afin de garantir le développement de ce type de cultures en Europe et de réduire les importations en provenance du continent américain qui engendrent des frais de transport considérables, assumés par les agriculteurs, et des coûts environnementaux et climatiques. Nous considérons que faire en sorte que notre élevage puisse s'appuyer sur des approvisionnements locaux en aliments pour animaux constitue une priorité majeure.

Le bien-être animal soulève en effet des questions relatives à la situation des animaux sur les exploitations, au transport et à l'abattage. Nous pouvons inciter les exploitations agricoles à procurer davantage de bien-être à leurs animaux en les soutenant lorsqu'elles respectent des normes exigeantes en ce sens.

Pour ce qui concerne le transport, il s'agit là encore de réduire la nécessité de transporter. Les plans de reprise pourraient nous permettre de cibler plus efficacement le secteur de la transformation de sorte à garantir davantage de proximité à nos éleveurs. En France, je crois que le secteur de la transformation est bien réparti sur le territoire. Dans de nombreux pays de l'Union européenne, nous constatons une concentration des usines de transformation qui oblige à transporter les animaux, parfois sur de très longues distances, voire en traversant des frontières si les petits producteurs n'ont pas accès aux usines locales. Il arrive notamment que nous transportions des porcelets en provenance d'autres pays, que nous les nourrissions avec du soja américain et que nous fassions appel à des travailleurs saisonniers étrangers, pour des débouchés qui se situent essentiellement en Chine. Ce mode de fonctionnement ne garantit pas la sécurité alimentaire parce qu'il nous soumet aux aléas de la moindre crise. Il s'avère essentiel d'identifier des alternatives.

J'en viens à la question de M. Chassaigne relative au budget. En effet, je vous ai fourni des chiffres en prix courants parce qu'ils sont comparables. Bien sûr, si nous les comparons aux prix constants de 2018, le budget serait moins favorable. N'oubliez pas que l'Union européenne bénéficie d'un budget considérable auquel s'ajoutera le budget de 750 milliards d'euros alloué à la reprise, ce qui nous garantit une certaine marge de manœuvre. Le soutien à l'agriculture ne se limite pas uniquement à la PAC. Elle est concernée par les fonds de cohésion qui offrent la possibilité de soutenir les zones rurales. En outre, les plans de relance devraient nous permettre de soutenir l'ensemble des secteurs « satellites » de l'agriculture (transformation, marchés locaux, etc.). Le plan de relance ne dépend pas directement de mes compétences, mais il s'agit bien néanmoins de faire en sorte que les agriculteurs puissent bénéficier de l'ensemble de ces aides.

Vous m'avez interpellé sur la diminution de production qu'induirait la stratégie « de la ferme à la table ». Nous suivrons sa mise en œuvre de très près, notamment pour ce qui regarde la production, de sorte à ne pas ébranler la sécurité alimentaire au sein de l'Union européenne. Toutefois, je suis assez optimiste en regard des stratégies mises en œuvre. Plusieurs stratégies ciblent les petites et moyennes exploitations. Nous constatons que les exploitations agricoles tendent à disparaître au sein de l'Union européenne. En dix ans, quatre millions d'exploitations ont disparu (dix millions en 2020 contre quatorze millions en 2010). Des exploitations agricoles ferment chaque jour. La situation est un peu comparable à cette discipline cycliste qui, à chaque tour de piste, éliminait le dernier du peloton ; à la fin il n'en restait plus qu'un. De la même manière, chaque fois qu'une exploitation disparaît, il est de plus en plus complexe de se maintenir sur le marché. Les plus faibles sont malheureusement contraints d'abandonner. L'objectif du « Pacte vert » consiste à faire en sorte que les plus vulnérables puissent se maintenir sur le marché et continuer à exister dans le secteur agricole. Les statistiques montrent que les grandes exploitations ne sont pas obligatoirement les plus productives. Au Royaume-Uni, les exploitations agricoles couvrent en moyenne quatre-vingt-dix hectares et produisent 1 800 euros par hectare. À Chypre, les exploitations agricoles couvrent en moyenne trois hectares et affichent un taux de productivité de 7 000 euros par hectare. Il convient de s'éloigner de l'idée selon laquelle la concentration garantit la sécurité alimentaire et de s'appuyer sur les petites exploitations, les exploitations familiales.

S'agissant de POSEI, les conclusions du Conseil ne font rien apparaître au sujet de ces fonds, qui auraient pu être maintenus en l'état. Pour ma part, je suis ouvert à cette question, mais les décisions relèvent du domaine politique. En effet, la Commission émet des propositions, mais il appartient au Conseil de prendre les décisions. Si l'on propose de maintenir les fonds en l'état, vous pouvez compter sur mon soutien pour défendre cette idée. Je pense en effet que ces régions ultrapériphériques occupent des situations très particulières, éloignées des marchés. Elles rencontreraient de grandes difficultés si les aides n'étaient pas maintenues.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.