Si l'Union européenne représente moins de 10 % des émissions mondiales actuelles de gaz à effet de serre, elle est à l'origine de 20 % des émissions cumulées depuis 1870, selon le consortium international de quatre-vingt-dix scientifiques réunis dans le Global carbon project. Elle a donc une responsabilité importante dans le réchauffement climatique. En outre, elle dispose d'une force d'entraînement et d'un poids diplomatique qui peuvent tirer vers le haut les ambitions des autres pays. La confirmation par l'Union européenne de son objectif d'être le premier continent neutre en carbone consacrera son rôle de chef de file des négociations climatiques internationales.
Néanmoins, est-il pertinent de fixer un tel objectif à l'échelle de l'Union, et non à celle de chaque État membre ? Nous ne méconnaissons pas les différences de trajectoire entre les États pour parvenir à la neutralité climatique et les difficultés de certains territoires, mais il nous semble que la fixation d'un objectif par État membre, sur le modèle des plans nationaux énergie-climat, serait mieux à même de garantir la réussite de la transition. Il reviendrait ensuite au mécanisme de transition juste d'apporter l'aide nécessaire aux territoires qui ont le plus de difficultés.
La proposition de règlement prévoit de réviser l'objectif actuel de réduction des émissions de gaz à effet de serre en 2030, qui est de 40 %, pour le porter à 55 %, depuis la modification apportée au projet de règlement le 17 septembre 2020 à la suite de l'étude d'impact récente de la Commission. Le rehaussement envisagé par la Commission ne semble pas hors de portée au vu des perspectives tracées par celle-ci dans l'étude d'impact, mais il ne fait pas l'objet d'un consensus entre les États membres. L'Autriche, le Danemark, la Finlande, la France, l'Italie, la Lettonie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, la Slovénie, l'Espagne, la Suède et l'Allemagne y sont favorables, tandis que la Pologne, la Hongrie et la République tchèque y sont clairement opposées.
La commission de l'environnement du Parlement européen s'est quant à elle prononcée, le 11 septembre dernier, pour un objectif de réduction de 60 % en 2030. Compte tenu des implications majeures de la révision de l'objectif 2030, nous regrettons que l'étude d'impact n'ait pas été publiée en même temps que la proposition de règlement. Nous partageons par ailleurs l'analyse du Sénat, qui rappelle que l'objectif actuel pour 2030 avait été validé en 2014 à l'unanimité par le Conseil européen, avant d'être décliné dans le cadre de la procédure législative ordinaire. Le parallélisme des formes aurait voulu que la révision de l'objectif 2030 fasse l'objet d'un accord préalable au Conseil européen.
La proposition de règlement prévoit que la trajectoire entre 2030 et 2050 sera définie par actes délégués. Pour rappel, ces derniers sont des actes non législatifs de portée générale adoptés par la Commission, complétant ou modifiant certains éléments non essentiels de l'acte législatif. Or, compte tenu de la portée de la définition de la trajectoire climatique, le recours à cet instrument semble inopportun politiquement et juridiquement. Du reste, le service juridique du Parlement européen a rendu, le 24 avril dernier, un avis selon lequel il était, en l'espèce, incompatible avec l'article 290 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Lors de son audition par notre commission le 17 juin dernier, le vice-président exécutif de la Commission chargé du Pacte Vert, Frans Timmermans, nous a rassurés sur ce point en se disant prêt à retirer cette disposition de la « loi climat ». Il n'en reste pas moins que la définition d'un objectif pour 2040 nous semble nécessaire pour nous assurer de rester sur la voie de la neutralité climatique entre 2030 et 2050, comme le prévoit la commission de l'environnement du Parlement européen.
En outre, pour définir une trajectoire conforme à l'objectif de neutralité climatique, il serait opportun d'instaurer un budget carbone de l'Union. Celui-ci indiquerait la quantité totale d'émissions de gaz à effet de serre, ventilée par secteur économique, qui pourrait être émise sans compromettre les engagements de l'Union au titre de l'Accord de Paris. Sur cette base, la Commission pourrait établir des feuilles de route sectorielles qui indiqueraient l'échéance que se fixe chaque secteur pour parvenir à la neutralité carbone.
Enfin, la proposition de règlement définit une méthode d'évaluation et de suivi qui s'apparente à celle qui prévaut dans le cadre de la gouvernance de l'énergie et de l'action pour le climat. À partir de 2023, et tous les cinq ans ensuite, la Commission évaluera les progrès réalisés et pourra formuler des recommandations. Si une telle évaluation est légitime et nécessaire, il faudra veiller à ce qu'elle ne porte pas atteinte à la souveraineté des États membres sur le choix de leur bouquet énergétique, consacrée à l'article 194 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Par ailleurs, nous soutenons la proposition de la commission de l'environnement du Parlement européen d'instaurer un panel européen sur le changement climatique ; il prendrait la forme d'un groupe consultatif indépendant composé de scientifiques ayant une expertise sur le changement climatique et chargé de l'évaluation et de la formulation de recommandations sur le modèle du Haut Conseil pour le climat.
Il nous semble opportun, pour s'assurer de la bonne application de la « loi climat », de vérifier la contribution et l'efficacité des crédits du plan de relance à l'atteinte de l'objectif de neutralité carbone 2050. La Commission a proposé que 37 % des crédits des plans de relance nationaux soient consacrés à la transition énergétique. Les premiers paiements de l'Union aux États seront effectués au printemps-été 2021, et 70 % du total des versements le seront avant la fin de l'année 2022. Nous encourageons la Commission à prévoir un premier rapport d'étape dès l'automne 2021, pour contrôler la destination des aides annoncées et surtout expliciter et mesurer la part prise par l'Union européenne dans la trajectoire de neutralité carbone, conformément à l'objectif affiché d'être le continent chef de file en matière environnementale.
Enfin, nous tenons à rappeler que cette proposition est indissociable de l'adoption de mesures cohérentes visant à lutter contre les fuites de carbone et à donner un prix au carbone : adoption rapide d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières compatible avec l'Organisation mondiale du commerce, introduction d'un prix minimum du carbone au sein du système d'échange de quotas d'émission de l'Union et poursuite de la réflexion sur l'extension de ce système à l'ensemble des secteurs.
En conclusion, nous vous proposons d'adopter la PPRE, qui met l'accent sur ces différents points.