Intervention de Liliana Tanguy

Réunion du mercredi 18 novembre 2020 à 17h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLiliana Tanguy, rapporteure :

Je suis heureuse de vous présenter aujourd'hui le résultat de mes travaux en tant que rapporteure d'observations sur le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice spécialisée. Ce texte est examiné au fond par la commission des lois. Il consacre son titre premier à l'adaptation du droit français à cette nouvelle autorité de coopération judiciaire, en particulier par la création des procureurs européens délégués (PED). C'est sur ce volet que j'ai formulé des observations et des propositions.

Qu'est-ce que le Parquet européen ? L'audition de Mme Kövesi et de M. Baab nous a permis de saisir un peu mieux les contours de ce nouvel organe de l'Union, qui siégera à Luxembourg, capitale judiciaire de l'Union et devra coopérer étroitement avec Europol, Eurojust et l'Office européen de lutte antifraude (OLAF). Il s'agit d'un organe collégial, avec son collège de vingt-deux procureurs européens, et décentralisé, puisque les PED exerceront, dans chaque État membre, la conduite concrète des enquêtes et des poursuites.

Le règlement du 12 octobre 2017, qui met en œuvre une coopération renforcée concernant la constitution du Parquet européen, crée cette instance européenne indépendante disposant pour la première fois de compétences judiciaires propres en matière pénale.

Sa compétence porte sur les fraudes aux intérêts financiers de l'Union européenne, définis par la directive 2017/1371 qu'on appelle « PIF ». Il est très pertinent d'avoir commencé par ce domaine, même si j'estime, à titre personnel, qu'il faudra aller plus loin – nous y reviendrons.

En effet, frauder le budget de l'Union, c'est priver les citoyens et les contribuables européens du bénéfice de politiques publiques auxquelles ils souscrivent par le biais de leurs représentants dans les institutions européennes et qu'ils financent directement par leurs impôts. Des fonds européens détournés, ce sont des fonds qui ne servent pas à la relance, à la formation, au soutien à nos agriculteurs et pêcheurs : c'est une grave atteinte à la confiance qu'il est indispensable de maintenir dans l'action de l'Union européenne.

Le Parquet européen pourrait être très consensuel, il est pourtant très politique. La preuve, c'est que certains pays continuent de s'y opposer, ce qui explique qu'il ait fallu passer par une coopération renforcée pour le mettre en œuvre. Ce mode de création était prévu par le traité, et nous a permis d'avancer à vingt-deux pays, ce qui est tout de même remarquable. Cela a pu se faire notamment grâce à la volonté franco-allemande et grâce à la réflexion approfondie d'un groupe d'experts conduite par la professeure française Mireille Delmas-Marty que j'ai eu le plaisir d'auditionner pour ce rapport.

Nous devons nous engager pleinement dans la réussite du Parquet européen, parce que c'est un projet qui répond parfaitement au principe de subsidiarité. Certes, c'est un transfert de souveraineté, puisque nous donnons à ces procureurs européens le droit d'évoquer des affaires qui reviendraient sans cela à des magistrats nationaux. Mais ce n'est que pour des infractions qui seront, par essence, mieux poursuivies au niveau européen qu'au niveau national. C'est une conviction que j'ai acquise au gré des auditions menées avec des juristes et magistrats qui partagent tous cet avis.

J'en viens au projet de loi dont est saisie l'Assemblée nationale. Il s'agit d'un texte satisfaisant, équilibré et qui répond aux grands objectifs fixés par le Règlement européen dont il assure la mise en œuvre.

Je dis qu'il est satisfaisant, parce qu'il crée les PED en droit français, ce qui est un préalable nécessaire à leur désignation, et donc au lancement des travaux du Parquet européen. Il les crée avec des garanties d'indépendance à l'égard du ministère public français, pour qu'ils ne répondent que de la cheffe du Parquet européen.

Je dis aussi qu'il est équilibré, parce que les PED vont disposer de compétences un peu particulières. Ils pourront en effet exercer des prérogatives d'un procureur et d'un juge d'instruction, ce qui est une construction totalement nouvelle en droit français. Toutefois, cela s'est fait à partir des catégories existantes et non en créant un nouveau type de procureur. Le projet de loi ne crée donc pas le bouleversement que pouvaient craindre ceux qui souhaitent que nous gardions un juge d'instruction dans notre procédure pénale nationale.

La France doit désormais créer les conditions adéquates pour que le Parquet européen puisse commencer à exercer sa mission dans les conditions les plus favorables possible.

Pour cela, il faut soutenir les moyens du Parquet européen, qu'ils soient budgétaires ou humains. Au niveau national, cela signifie que nous devrons veiller à ce que les procureurs européens délégués soient bien rémunérés, et qu'ils aient à leur disposition les moyens logistiques et l'expertise nécessaires pour mener à bien leur mission. Au niveau européen, cela signifie plaider en faveur de l'augmentation de la dotation budgétaire qui permet de faire fonctionner le Parquet, et que le commissaire à la justice, Didier Reynders, estime encore sous-dimensionnée.

Un bon démarrage est fondamental pour que le Parquet européen puisse faire la démonstration de sa pertinence : mieux il est doté, plus il est susceptible de faire revenir les fonds détournés dans le budget européen, ce qui créera un cercle vertueux.

Le succès du Parquet européen est un préalable nécessaire à ce qu'avait annoncé le président de la République dans son discours de la Sorbonne, à savoir l'élargissement de ses compétences à la lutte contre le terrorisme.

J'ai personnellement la conviction que cet élargissement est souhaitable. L'actualité récente nous a montré que ce type de criminalité s'attaque de plus en plus à des valeurs européennes. En attaquant la ville de Stefan Zweig, le terrorisme islamiste a frappé au cœur de l'Europe, et c'est une réponse européenne qui peut permettre d'y remédier. Cela passe naturellement avant tout par le renforcement des mesures de prévention et de la coopération policière. Toutefois, il serait remarquable que les enquêtes en matière de terrorisme bénéficient du même degré d'intégration que la matière financière, afin de faciliter l'obtention de la preuve au-delà des frontières.

Pour conclure, j'aimerais souligner que ces travaux ont constitué une opportunité de mettre en lumière le fonctionnement d'une autorité européenne en plein essor. La coopération judiciaire est une matière technique mais dont les implications sont éminemment politiques et, surtout, très concrètes pour les citoyens.

J'estime qu'en tant que députés de la commission des affaires européennes, nous serions pleinement dans notre rôle en assurant un suivi du travail du Parquet européen, notamment dans les premières années de son activité, ainsi que nous y invite le Règlement européen qui l'institue. Enfin, je me réjouis de la mise en œuvre effective du Parquet européen d'ici à la fin de l'année.

Je vous remercie pour votre attention et suis désormais à l'écoute de vos questions.

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