Intervention de Pierre-Henri Dumont

Réunion du mercredi 16 décembre 2020 à 16h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Henri Dumont, rapporteur :

Le premier point que nous souhaitons mettre en avant est le risque de distorsion de concurrence à Calais résultant du retrait non anticipé du Royaume-Uni en l'absence de prise en compte du statut spécifique de la liaison fixe transmanche, dont la situation avait toujours été assimilée à celle des ports et des aéroports.

Les boutiques « Duty Free », ou « comptoirs de vente hors taxes » en termes technique, sont des boutiques qui vendent des produits exonérés des accises – très fortes sur le tabac et l'alcool – et de la TVA. Ces mesures bénéficient aux consommateurs, qui payent moins cher, aux magasins, qui captent une partie de la différence entre les prix hors taxes et les prix toutes taxes comprises normalement pratiqués, et aux sociétés de transport, qui louent les emplacements de vente et font du Duty Free un argument commercial pour attirer les voyageurs.

Jusqu'en 1999, les boutiques Duty Free étaient autorisées à l'intérieur de l'union douanière, selon un régime prévu par la directive TVA de 1991 et par la directive accise de 1992. À l'époque, la liaison fixe transmanche était expressément mentionnée par les textes et pouvait à ce titre être autorisée à vendre des produits hors taxes. L'extension du périmètre du Duty Free au tunnel sous la Manche était justifiée par le souci d'assurer des conditions de concurrence équitables entre les différents modes de transport, comme l'expliquait un rapport de la Commission de 1996 : « Afin d'assurer un traitement égal à celui réservé aux transbordeurs, le Conseil a également autorisé l'exonération de livraisons de biens dans les deux terminaux du tunnel sous la Manche . »

Cette référence à la liaison fixe transmanche disparaît avec les nouvelles directives sur la TVA et sur les accises, tout simplement parce qu'il n'était plus permis de vendre des produits hors taxes à l'intérieur de l'Union européenne. Il n'y a jamais eu de volonté de faire une distinction entre les ports et le tunnel.

Notons d'ailleurs que le secteur ferroviaire n'est pas exclu par principe du champ de ces directives, mais seulement parce qu'il ne permet pas de contrôler aussi facilement les flux de personnes et de marchandises. Je cite un considérant de la directive de 2008 : « Il convient de déterminer clairement les situations dans lesquelles les ventes hors taxes aux voyageurs quittant le territoire de l'Union sont autorisées, afin d'éviter des fraudes et des abus. Les personnes voyageant par voie terrestre pouvant se déplacer plus fréquemment et plus librement que les personnes voyageant par bateau ou par aéronef (…) Il est donc nécessaire de prévoir que les magasins hors taxes situés à des frontières terrestres ne sont pas autorisés. » Ces risques de fraudes et d'abus ne concernent évidemment pas le tunnel qui est, à cet égard, très proche dans son fonctionnement d'un port, à tel point qu'il a parfois été qualifié de « port sec ».

Avec le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, on devrait donc logiquement revenir à la situation que l'on connaissait dans les années 1990. C'est l'esprit des directives. Et pourtant, si l'on s'en tient à leur lettre, le tunnel ne pourra pas bénéficier du régime Duty Free contrairement au port de Calais. L'article 14 de la directive de 2008 précise en effet : « on entend par ‘'comptoir de vente hors taxes'' tout établissement situé dans l'enceinte d'un aéroport ou d'un port ». Les ventes en Duty Free seront donc autorisées aux voyageurs prenant l'avion ou le ferry, mais pas les voyageurs prenant la « navette ».

Cette situation est de nature à créer une double distorsion de concurrence à partir du 1er janvier 2021 entre, d'une part, le tunnel et le port de Calais, parce que l'existence du Duty Free a une incidence sur le choix du mode de transport (le Duty Free permettant d'amortir le prix du billet) et, d'autre part, les deux côtés du tunnel, puisque le côté anglais dépendra de la juridiction britannique et pourra vendre des produits hors taxes.

Cette distorsion de concurrence profitera donc au port de Calais et au terminal de Folkestone, au détriment du tunnel et particulièrement de son côté français à Coquelles, c'est-à-dire de son côté « européen ».

Pour bien se représenter la situation, il faut s'imaginer que le tunnel est situé à une dizaine de kilomètres du port de Calais, et que les deux modes de transport sont substituables. Que ce soit par la navette ou par le port, on traverse la Manche avec sa voiture. La clientèle est la même, il s'agit d'une clientèle familiale – les voyageurs individuels et professionnels prendront plutôt l'avion ou l'Eurostar.

Au sens du droit de la concurrence, le tunnel et le ferry sont sur le même « marché pertinent ». Si le port est le seul à pouvoir vendre en Duty Free, il bénéficiera d'un avantage concurrentiel sur le tunnel d'autant plus significatif que les prix des billets sont relativement bas (comparé à l'avion) et que la possibilité d'acheter en Duty Free représente un facteur déterminant dans le choix du mode de transport.

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