Intervention de Pierre-Henri Dumont

Réunion du mercredi 16 décembre 2020 à 16h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Henri Dumont, rapporteur :

. Il faut donc appliquer les directives existantes avec une certaine souplesse avec, si possible, le soutien de la Commission.

La solution la plus simple pour régler, dans l'immédiat, le problème de la distorsion de concurrence à Calais en attendant une révision des directives, peut-être dans un package post- Brexit, serait que la Commission donne une interprétation souple des directives en vigueur, conformément à leur esprit et à la lettre des directives antérieures. Malheureusement, nous ne sommes pas optimistes sur nos chances d'obtenir rapidement une ligne directrice de la Commission, c'est-à-dire une réponse à la demande d'interprétation de la France.

En effet, les démarches des autorités françaises auprès de la Commission ont peu de chances d'aboutir. Ce qui ressort de nos différentes auditions – nous avons auditionné les ministères, le SGAE et la Commission elle-même –, c'est qu'il y a une divergence de point de vue entre les acteurs nationaux et la Commission européenne. Nous souhaitons vivement que le dialogue engagé entre le gouvernement et la Commission aboutisse, mais force est de constater que la situation à Calais ne constitue pas une priorité pour celle-ci, alors même qu'il pourrait en résulter une distorsion de concurrence majeure au niveau de la plateforme d'échange la plus importante entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

Certains arguments que nous avons entendus nous ont surpris. On nous a dit, par exemple, qu'une extension du Duty Free aux espaces sous douane des gares internationales pouvait créer un risque de contrebande, avec des paquets de cigarette cachés sous les sièges ou échangés par les fenêtres des trains en marche. Ou encore, que l'instauration du Duty Free dans le terminal de Coquelles serait contraire à la volonté de réduire la consommation de tabac au Royaume-Uni. Ces arguments sont, si je puis dire, un « écran de fumée » !

Je rappelle d'abord que le Duty Free ne concerne pas spécifiquement le tabac ou l'alcool, puisque la TVA, qui fait également l'objet d'une exonération, s'applique à tous les produits sans exception. Par ailleurs, la contrebande est impossible dans le Tunnel de Calais, car c'est un système clos déjà contrôlé par les douanes en raison des enjeux migratoires extrêmement importants sur le site.

La raison de fond aux réticences de la Commission, c'est qu'elle ne veut pas étendre un régime fiscal déjà considéré comme dérogatoire. Elle serait plutôt en faveur d'une suppression complète du Duty Free partout.

Nous comprenons ce raisonnement, qui est rationnel, car le Duty Free représente une perte de recettes fiscales pour les États sans justification économique réelle. En revanche, à partir du moment où le Duty Free est permis dans les ports et les aéroports, il doit l'être également dans les terminaux clos des liaisons ferroviaires directes, sinon cela revient à fausser la concurrence entre des entreprises intervenant sur un même marché pertinent, au détriment qui plus est des modes de transport les moins polluants.

En dernier recours, que peut-il se passer ? L'État français devrait autoriser unilatéralement le Duty Free dans le Tunnel, quitte à faire valoir ses arguments devant la CJUE. Face à ce blocage, nous en sommes arrivés à la conclusion que le gouvernement ne pouvait pas attendre, vu l'urgence de la situation, une éventuelle réponse de la Commission. Si la Commission est la « gardienne des traités », c'est la CJUE qui a le monopole de l'interprétation du droit de l'Union et qui peut, le cas échéant, résoudre un conflit de normes.

Nous pensons que les directives de 2006 et celles de 2008 doivent être interprétées de façon à inclure la Liaison fixe transmanche dans le périmètre des « ports et aéroports », non seulement parce que cette solution semble conforme à l'esprit du texte et à son histoire, mais parce que c'est la seule manière d'éviter une distorsion de concurrence, c'est-à-dire une atteinte aux règles même du marché intérieur directement inscrites dans les traités. Tant que la CJUE n'aura pas jugé que cette distorsion de concurrence est conforme aux règles du marché intérieur, le gouvernement nous semble fondé à prendre l'initiative d'autoriser le Duty Free dans le Tunnel au même titre qu'aux ports et à tous les ports de la façade maritime de la Manche et de la mer du Nord à destination du Royaume-Uni.

C'est pourquoi nous vous proposons d'adopter les conclusions suivantes, chers collègues, et de « demande[r] à l'État français, conformément à ses engagements découlant du traité de Cantorbéry et de l'accord de concession quadripartite, de permettre à la société gérant la Liaison fixe transmanche d'y ouvrir des comptoirs de vente hors taxes dans les mêmes conditions que ses concurrents portuaires ». Ceci dans l'hypothèse, malheureusement probable, où la Commission européenne n'aurait pas confirmé le nouveau périmètre des directives dans le contexte du retrait du Royaume-Uni, d'ici 15 jours. Je vous remercie.

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