Intervention de Clément Beaune

Réunion du mardi 30 mars 2021 à 17h15
Commission des affaires européennes

Clément Beaune, secrétaire d'État :

Avant de penser à un deuxième plan de relance, il faut d'abord faire fonctionner le premier – vous savez à quel point il a été difficile à obtenir. Il y a exactement un an, lors du Conseil européen, nous n'étions nulle part : sur la question de la relance, tous les dirigeants européens s'étaient divisés. Quatre mois plus tard, nous trouvions, de façon assez inespérée, un accord sur un plan de relance original, car porté par une dette commune. Cela montre bien que, avec l'énergie politique suffisante, nous sommes capables de surmonter les difficultés. C'est beaucoup mieux que de faire cavalier seul. Grâce au plan de relance européen de 750 milliards d'euros, la France devrait recevoir 40 milliards d'euros en subventions budgétaires à partir de l'été 2021. Ces subventions ont permis de construire un plan de relance national ambitieux de 100 milliards d'euros.

Pour rouvrir le débat budgétaire sur un deuxième plan de relance, le plan de relance actuel devra d'abord démontrer son utilité, notamment par l'emploi de ses fonds sur les bonnes priorités telles que la transition écologique. Nous pourrons alors avoir, à la fin de cette année, sous la présidence française, un débat économique et social sur l'après-crise afin de définir les règles budgétaires et de construire, le cas échéant, un plan d'investissements complémentaires. À cet égard, j'ai souligné que la comparaison avec les États-Unis doit être nuancée, mais il existe néanmoins un écart à combler.

Sur la coopération transfrontalière, les bassins de vie et la coordination de la levée des mesures sanitaires, il faut être lucide : l'Europe de la santé, ce n'est pas pour demain. Les États membres n'appliquent pas les mêmes critères dans leur classement des zones à risque à l'intérieur ou à l'extérieur de leurs territoires. En outre, dans beaucoup de pays, comme l'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne, les mesures sanitaires sont prises au niveau régional. Ainsi, nous menons en concertation avec les députés un dialogue avec les Länder frontaliers afin d'alléger leurs dispositifs sanitaires et éviter qu'ils n'interrompent le travail frontalier, comme nous avons pu le vivre en mars dernier lorsque les frontières étaient fermées. Ce fut, sur le plan économique et politique, mais aussi symbolique, une déchirure. Nous ne sommes plus dans cette situation et nous sommes parvenus à ce que les Länder frontaliers allègent leur protocole, sauf pour la Moselle malheureusement. Les tests obligatoires ne sont plus quotidiens mais bihebdomadaires, les transports publics permettant de traverser la frontière sont maintenus et les vérifications de tests ne sont plus assurées aux points frontières, mais dans les entreprises ou dans la zone frontalière. C'est important en termes symboliques et de fluidité du trafic.

L'interopérabilité et la comparabilité des données font partie des axes autour desquels, selon moi, devrait être construite l'Europe de la santé.

Le premier axe, c'est l'acquisition de produits médicaux ou de solutions vaccinales en commun. Après la première vague, une réserve sanitaire européenne a été mise en place grâce à une réforme des mécanismes de protection civile. Elle permet de mettre en commun des produits tels que des respirateurs, des gants, des masques ou des tests. On se souvient tous de la difficulté à obtenir de tels produits lors de la première vague et quelques pays européens connaissent encore des tensions sur certains équipements médicaux. Grâce à une telle réserve, les risques sont mutualisés, car, à l'avenir, nous ne connaîtrons pas nécessairement les mêmes problèmes sanitaires au même moment. En outre, la solidarité européenne en ce domaine nous permettra de ne plus subir la géopolitique russe ou chinoise en matière de masques ou de vaccins.

Le deuxième axe, c'est une recherche et une innovation médicale soutenues par une agence européenne dotée de vrais moyens pour qu'on ne soit pas des innovateurs frustrés. De belles success stories ont débuté en Europe : l'ARN messager a d'abord été une découverte européenne ; les fondateurs de BioNTech sont deux chercheurs allemands qui ont été financés par l'Union européenne avant de s'allier à un laboratoire américain pour la production. L'Europe dispose donc d'une solide base d'innovation que nous devons renforcer.

Le troisième axe a perdu de son importance aujourd'hui, mais il a été une question très sensible au tout début de la pandémie. Je veux parler de la comparabilité des données concernant, par exemple, le nombre des cas, des décès ou des lits de réanimation. Il y a exactement un an, des comparaisons polémiques étaient faites entre la France et l'Allemagne, faisant dire que la France était très en retard alors que l'on ne savait pas comparer les données. On ne le sait d'ailleurs toujours pas complètement aujourd'hui, alors qu'on est capable de comparer le déficit public à plusieurs décimales près. Ce chantier a déjà commencé au niveau européen. Ces difficultés valent aussi pour les applications de détection et de signalement des cas, car elles n'ont pas été développées dans un souci d'interopérabilité. C'est aussi un des arguments en faveur d'une réflexion commune sur le certificat sanitaire qui serait une preuve sanitaire harmonisée au niveau européen alors qu'arrive la saison touristique.

S'agissant de la négociation des contrats, au départ, l'Union européenne n'était pas suffisamment armée, car elle n'est pas compétente pour les questions sanitaires. Ce sont la France, l'Allemagne et les Pays-Bas qui ont lancé, dès le mois de juin 2020, la négociation de contrats avec plusieurs grands laboratoires, et qui ont ensuite transféré, sans bureaucratie ni perte de temps, la négociation finale des contrats et l'extension à d'autres laboratoires au niveau européen pour le bénéfice de l'ensemble des Vingt-Sept. Le problème n'est ni dans le prix ni dans la rédaction, ni dans le délai de négociation des contrats. Le contrat avec AstraZeneca en est un bel exemple : il a été signé juste avant le Royaume-Uni et a été rédigé de la même façon. Les prix ne sont pas publics, mais l'Union européenne a probablement payé moins cher que le Royaume-Uni puisque ses commandes sont six à sept fois supérieures. Je pense que la difficulté réside en amont, dans nos capacités de production pharmaceutique, dans l'innovation et dans l'investissement lors de la phase finale de développement des vaccins, sur lesquels nous avons investi moins fort et moins vite que les Américains. C'est cela qu'il faut corriger.

Strasbourg est également chère à mon cœur et je m'entretiendrai, en fin de semaine, avec le président du Parlement européen David Sassoli. Début mai devrait se tenir à Strasbourg la conférence sur l'avenir de l'Europe – nous sommes en train de la confirmer avec la présidence portugaise. Ce sera l'occasion de montrer l'importance de Strasbourg pour le Parlement européen. Au-delà de l'organisation de cet événement, nous travaillons sans relâche au retour des sessions du Parlement européen à Strasbourg. Le contrat triennal, qui vise à renforcer le statut de capitale européenne de Strasbourg, est finalisé et pourra sans doute être signé dans quelques jours. Il fera l'objet, comme le contrat précédent, d'une signature formelle en présence du Président de la République dans les semaines qui viennent, et les moyens alloués par l'État dans le cadre de ce contrat sont en augmentation, ce qui n'est pas le cas de tous les financeurs. C'est dire l'importance que l'État accorde au statut européen de Strasbourg.

S'agissant de la réserve d'ajustement au Brexit, le compte n'y est pas. Les intérêts des régions françaises les plus touchées par le Brexit, les Hauts-de-France, la Normandie et la Bretagne, notamment dans le secteur de la pêche, ne sont pas suffisamment représentés dans la proposition de la Commission. Il devait y avoir une discussion sur ce sujet demain, à Bruxelles ; elle a été reportée de quelques jours afin que nous puissions finaliser les discussions pour améliorer notre retour financier. Ces revendications ne sont pas une forme d'égoïsme national ; elles sont légitimes, car certains pays ont reçu un traitement plus favorable que la France alors qu'ils semblent avoir subi des impacts économiques et territoriaux moins forts. Nous travaillons donc à rétablir l'équité dans la clé de répartition initialement proposée par la Commission européenne, tout en maintenant la solidarité envers des pays qui, comme l'Irlande, ont été très touchés.

La Moselle a été très touchée par le variant et c'est ce qui avait justifié la classification spécifique de l'Allemagne, il y a quelques semaines. Nous avons renforcé, chaque fois que nous le pouvions, les efforts de la campagne de vaccination. À la demande d'Olivier Véran, 30 000 doses supplémentaires ont ainsi été livrées en Moselle, dès le milieu du mois de février, pour améliorer la situation et rassurer les autorités allemandes afin que la Sarre allège son protocole sanitaire. Par ailleurs, si un certificat sanitaire doit être mis en place, il faudra qu'il soit déployé en priorité dans certaines régions. Je suis toutefois, à titre personnel, un peu sceptique, car le certificat pose pour l'instant un certain nombre de questions éthiques et scientifiques. Il faut notamment s'assurer de l'absence de contagiosité de la personne vaccinée.

Sur la levée des restrictions, je vais être très honnête et réaliste. Il faut se battre pour une coordination européenne sur la libre circulation, sur l'achat de vaccins et sur la levée des restrictions aux frontières. Nous avions obtenu, en septembre dernier, un accord pour que la classification des territoires en zones vertes, oranges et rouges se fasse suivant les mêmes critères au niveau européen. En revanche, je ne crois pas qu'une telle coordination soit possible pour les activités sociales, éducatives et culturelles ou pour les mesures de couvre-feu ou d'attestations parce que les pays ont territorialisé leur réponse à la vague actuelle. C'est le modèle fédéral de l'Allemagne et c'est la réponse choisie par la France afin d'adapter les restrictions à la situation territoriale. Dans cette crise, une difficulté chasse l'autre. Grâce à l'accélération de la campagne de vaccination d'ici à la fin du deuxième trimestre, nous retrouverons progressivement une vie plus normale. Il sera alors légitime que chacun retrouve sa liberté de vie et pense aux vacances d'été. Pour le secteur touristique, le certificat sanitaire pourra alors être un outil commun pour éviter la cacophonie de l'été dernier provoquée par les mesures différenciées de chaque pays.

Annick Girardin échangera dans les prochains jours avec le commissaire européen chargé de la pêche et son homologue britannique, afin de maintenir la pression. Le problème, qui se pose dans les Hauts-de-France mais aussi dans d'autres régions, est bien identifié : il concerne la définition de l'antériorité. La définition britannique est très restrictive et ne va pas dans le sens de nos intérêts. Nous aurons aussi une discussion avec les autorités britanniques pour faciliter les procédures douanières relatives aux bases avancées. C'est un autre problème. Le débarquement des prises en Écosse est soumis à de telles formalités administratives qu'il est détourné vers l e Danemark ou d'autres partenaires. Cela porte atteinte à la santé économique de sociétés comme Scapêche qui sont très importantes pour le Boulonnais et pour la France en général. L'accord en lui-même est bon. Nous avons obtenu des licences dans la zone économique exclusive et en partie, mais en partie seulement, dans la zone des 6 à 12 miles et dans les eaux des îles anglo-normandes.

Le calendrier du passeport vaccinal a fait l'objet d'une proposition législative de la Commission européenne. Elle devrait être soumise à une procédure rapide d'examen pour aboutir dans le courant du mois de juin. Je pense qu'il est prématuré d'imposer un passeport vaccinal, notamment pour des questions éthiques et sanitaires. Il serait choquant d'avoir deux vitesses. C'est toutefois un débat qu'il faut préparer, notamment en vue de la saison touristique.

Il y a, au total, cinquante-deux sites de production de doses de vaccin qui sont mobilisés en Europe. Sur les cinq que comptera la France, deux – Delpharm et Recipharm – entreront en service aux alentours du 15 avril, les trois autres le feront progressivement d'ici à l'été. Afin d'accélérer la production, Sanofi produira des doses de vaccins de ses concurrents : Johnson and Johnson sur un site français pour 100 millions de doses à partir de l'été et Pfizer sur un site allemand. Toutes les capacités de production doivent être mobilisées, et c'est ce qu'a poussé le Président de la République ces dernières semaines.

La livraison de 300 millions de doses est prévue à l'échelle de l'Union européenne. Il s'agit d'une fourchette basse, car on pourrait atteindre 350 millions de doses – je préfère être conservateur sur les hypothèses de livraisons des doses du vaccin d'AstraZeneca. La France devrait recevoir 50 millions de doses au cours des trois prochains mois. Ces chiffres sont disponibles dans les tableaux de livraisons mensuelles que le ministère de la santé publie régulièrement. Il s'agit d'une accélération très significative par rapport à la période du premier trimestre.

Concernant le semestre européen, deux éléments s'articulent : le plan national de relance et de résilience, qui sera présenté aux autorités européennes et à nos partenaires européens d'ici à la fin du mois d'avril, et le programme européen de stabilité centré sur une trajectoire de finances publiques, qui comporte à ce stade un certain nombre d'incertitudes, puisque nous ne sommes pas collectivement sortis de la crise. Ce dernier document sera, comme de coutume, transmis aux assemblées parlementaires.

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