Intervention de Jean-Louis Bourlanges

Réunion du mercredi 14 avril 2021 à 17h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Bourlanges, rapporteur :

Pour ce rapport, nous avons travaillé, André Chassaigne et moi-même, en bonne intelligence, animés par la volonté d'améliorer la production législative européenne.

Je crois qu'il faut partir d'un exercice de définition. Qu'est-ce qu'une transposition ? Il s'agit de l'effet d'une originalité constitutionnelle. En effet, cela repose sur l'idée que la norme législative est produite à la faveur d'une « dualisation » complète des acteurs, c'est-à-dire d'un côté les acteurs européens (la Commission européenne qui fait la proposition, le Conseil et le Parlement via la procédure de codécision) et, de l'autre, les États nationaux. Après avoir été adoptée, la directive doit ensuite être transposée dans la mesure où elle se contente de fixer les objectifs à atteindre et laisse aux États membres le soin de déterminer les moyens nécessaires pour parvenir à ces objectifs.

Il existe une dichotomie fondatrice qui rend l'exercice très compliqué à gérer. Le partage des responsabilités entre l'autorité européenne et l'autorité qui vote la loi, c'est-à-dire, dans un pays comme la France, le Parlement (l'Assemblée Nationale et le Sénat), est difficile à réaliser. Derrière cette dualité, il y a une obligation constitutionnelle de transposition. Lorsque nous ne transposons pas ou lorsque nous transposons avec retard, nous méconnaissons non seulement les traités européens, mais aussi la Constitution française et son article 88-1. Le Conseil constitutionnel a confirmé l'interprétation de cet article dans une décision de 2004.

Ce rapport s'est fixé deux objectifs. Il vise d'abord à analyser le processus de transposition et de mesurer la performance de la France, et des autres États membres. En effet, il n'est pas possible d'apprécier la performance de la France sans faire référence aussi à la performance des autres États membres. La performance se mesure à la fois en terme qualificatif et en terme quantitatif. En terme qualitatif, cela signifie : est-ce que l'on transpose correctement ? Est-ce qu'on ne sur‑transpose pas ? Est-ce qu'on ne sous-transpose pas ? En terme quantitatif, cela implique de se poser la question des délais : transpose-t-on les directives dans les délais impartis ? Nous verrons que les objectifs, en termes de performance, sont difficiles à atteindre, même si des progrès ont été réalisés. L'objet de ce rapport est, d'autre part, de proposer des mesures pour améliorer le processus.

Il faut partir de l'idée que la fonction normative est subordonnée. Le Parlement transpose de façon très minoritaire puisqu'il n'intervient que dans 13 % des cas. C'est l'ensemble donc de la puissance publique française, à travers des décrets, des lois, des ordonnances qui transpose. La transposition demeure toutefois une fonction normative subordonnée. Il est, pour nous en tant que parlementaire, étrange de travailler en compétences liées. On pourrait imaginer que l'on dispose d'une compétence totalement discrétionnaire. Toutefois, ce n'est pas le cas, nous sommes obligés de suivre les instructions qui nous sont données. Dans un précédent rapport, un de nos anciens collègues, M. Michel Pezet, avait fait un rapport sur le même sujet. Il avait observé que la fonction du Parlement en matière de transposition était équivalente à celle d'un « moine copiste ».

Il me semble que ce constat est assez juste. Il nous est demandé de réaliser des exercices de calligraphie, plus que des exercices d'imagination intellectuels. Enfin, il faut garder à l'esprit qu'une directive est une norme qui est dissociée. Cela signifie que c'est un processus qui est rompu en son milieu, comme l'a montré le Conseil d'Etat dans une étude de 2015, puisqu'une autorité définit la norme et une autre définit la transposition, avec un problème très complexe de cohérence et de transmission de l'information entre les deux autorités. Le Conseil d'État a identifié un réel problème de connexion entre le législateur national et le législateur européen.

Cela nous conduit à mettre l'accent sur l'information parlementaire dans notre rapport. Il faut souligner l'existence de fiches d'impact qui sont transmises au Parlement, par le gouvernement, dès la publication d'une proposition de directive. Les fiches d'impact sont de deux natures : les fiches d'impact simplifiées (ou FIS 1) et les fiches d'impact stratégiques (ou FIS 2). Les fiches d'impact simplifiées doivent être produites dans les trois semaines qui suivent la proposition de directive. Le problème réside dans le fait que la transposition n'est pas au cœur de ces fiches. Une proposition de directive qui arrive au Conseil de l'Union européenne ou du Parlement européen désigne un contenu, alors que ce que nous désirons savoir, ce sont les délais d'adoption, la forme de celle-ci, et l'identité de celui qui détiendra le pouvoir de transposer. La fiche d'impact qui accompagne la proposition est excessivement imprécise. Le tableau de concordance, expliquant les modalités de transposition, n'apparaît qu'à la toute fin du processus. La procédure ne possède ainsi une dimension parlementaire qu'en fin de processus alors que presque tout est décidé antérieurement. Il est évident qu'il y a là un problème. Nous devrions être présents en amont du travail législatif, non pas pour le rendre plus compliqué, mais pour y être associés, pour comprendre les solutions retenues.

Enfin, il faut souligner que la distinction entre la loi et le règlement, prévue aux articles 34 et 37 de la Constitution, n'existe pas dans le droit européen. Celui-ci ne reconnaît que la directive ou le règlement alors qu'en France le règlement et la loi ne recouvrent pas les mêmes réalités. De même, la directive, dans notre vocabulaire, ce n'est pas une loi : c'est une instruction qu'un chef donne à ses subordonnés. À cet égard, j'avais proposé et cela avait été retenu dans le projet constitutionnel, d'appeler les actes législatifs européens « lois ». Le projet de traité constitutionnel ayant été refusé, cette proposition a été écartée et nous sommes revenus à la terminologie antérieure qui ne permet pas une clarté suffisante dans les débats.

Ainsi, notre rapport montre que la transposition est passée, entre 2002 et 2018, à 13 % par des lois et à 87 % par des actes réglementaires. Au sein de ce domaine législatif, il existe trois divisions importantes.

En premier, il faut se demander si le gouvernement procède par une loi ou par ordonnance. Or, celui-ci a tendance à procéder par ordonnance. Dans ce cas, nous ne votons pas les lois de transposition puisque nous habilitons le gouvernement à les prendre par ordonnance. Nous demandons donc dans ce cas que les articles d'habilitation soient complétés afin que le Parlement puisse encadrer plus précisément la matière à partir de laquelle le gouvernement va procéder.

Ensuite, il existe également pour transposer les lois dites DDADUE (« portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne »), qui sont comparables à des « voitures-balais ». Par ce biais, le gouvernement transmet au Parlement un grand nombre de directives. Le Parlement vote en réalité sans vraiment regarder, le tampon parlementaire est extrêmement formel. Cette situation nous préoccupe et nous souhaitons que les lois « DDADUE » soient réservées à un domaine très limité, soit qu'il s'agisse de directives techniques, soit qu'il y ait urgence en cas de retard. Pour les autres cas, il existe de véritables lois de transposition, qui amènent un débat précis. Nous souhaitons qu'elles soient toujours choisies en cas de transposition de directives d'importance.

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