Intervention de Sabine Thillaye

Réunion du mercredi 2 juin 2021 à 16h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabine Thillaye, Présidente :

L'ordre du jour de notre réunion appelle l'examen de deux propositions de résolution européenne, l'une en conclusion d'un rapport d'information dont je suis l'auteur sur l'évolution du cadre juridique européen applicable à la production d'électricité, l'autre déposée par Sébastien Jumel et plusieurs de ses collègues du groupe GDR relative à la reconnaissance d'une « exception énergétique » au sein de l'Union européenne. Cette proposition de résolution européenne sera examinée en séance publique le 17 juin dans le cadre de la « niche » du groupe GDR.

Comme ces deux sujets sont très liés, je vous propose que Hubert Wulfranc, rapporteur sur la proposition de résolution déposée par Sébastien Jumel, et moi-même vous fassions une présentation commune de nos deux rapports et que la discussion générale soit également commune.

Nous procéderons ensuite successivement à l'examen de la proposition de résolution européenne dont je suis l'auteur, puis à celle du groupe GDR.

Le Gouvernement négocie depuis plus de deux ans maintenant avec la Commission européenne pour obtenir la révision du mécanisme de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, dit « ARENH ». Ce dispositif, créé par la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, en application d'une directive de 2009, est entré en vigueur en 2011 et doit s'éteindre au 31 décembre 2025. Il consiste en une obligation pour l'opérateur historique, l'entreprise EDF, de vendre l'électricité nucléaire à ses concurrents, à un tarif déterminé.

L'objectif du mécanisme était simple : permettre un accès à l'énergie nucléaire pour les concurrents d'EDF, entreprise qui bénéficiait historiquement du monopole d'accès au parc nucléaire. Cela devait permettre de stimuler la concurrence sur le marché de l'électricité, et d'offrir durablement aux consommateurs des prix stables reflétant les coûts de production du parc nucléaire, quel que soit le fournisseur qu'ils avaient choisi. En outre, l'ARENH devait également contribuer à la libéralisation du marché de production d'électricité et in fine permettre aux opérateurs alternatifs d'investir dans leurs propres moyens de production d'électricité à moyen terme.

Toutefois, le prix de l'ARENH, fixé à 42 € par mégawattheure, n'a pas été révisé depuis 2012 et ne tient donc pas compte de l'évolution des coûts de production de l'entreprise EDF, ni de l'inflation. Il faut également souligner que l'ARENH est un mécanisme asymétrique, qui constitue en pratique un prix plafond de vente par l'entreprise EDF de l'énergie nucléaire qu'elle produit. Le dispositif est en effet optionnel, conduisant ainsi les opérateurs alternatifs à se fournir sur le marché lorsque les prix sont plus faibles que le tarif de référence.

L'ARENH contribue donc fortement au déficit d'EDF, qui a atteint le niveau de 42 milliards d'euros au 31 décembre 2020, en augmentation de 3 à 4 milliards d'euros tous les ans. À côté, l'opérateur historique continue d'investir annuellement 15 milliards d'euros pour offrir le meilleur service possible et renforcer sa compétitivité sur le marché international.

Le premier objectif de la proposition de résolution européenne que je vous présente aujourd'hui est donc de soutenir l'évolution de l'ARENH, de manière à rendre le dispositif symétrique, et à garantir la stabilité financière de l'entreprise EDF.

Cette situation m'a conduit également à m'interroger sur les moyens juridiques dont la France dispose pour aider non seulement l'entreprise et ses salariés, mais aussi pour garantir le service public de l'électricité dans le respect des règles du droit de l'Union européenne.

Si les traités européens prévoient une législation stricte relative aux aides d'État, l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) permet de limiter l'application de cette réglementation, lorsqu'une dérogation est indispensable pour permettre à l'entreprise d'accomplir une mission d'intérêt général. La reconnaissance par les États membres des services d'intérêt économique général ou SIEG permet ainsi à la puissance publique d'attribuer aux entreprises en charge d'une mission d'intérêt général des compensations à leurs obligations de service public, seulement dans la mesure où l'application des règles de concurrence fait échec à l'accomplissement de leur mission. La création des SIEG remonte au traité de Rome, tandis que leur importance a été mise en exergue lors du traité d'Amsterdam à l'article 14 du TFUE, qui souligne la place qu'ils occupent parmi les valeurs de l'Union et le rôle qu'ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale. La Commission européenne et la Cour de justice effectuent un contrôle limité à l'erreur manifeste d'appréciation de la qualification par les États membres des SIEG.

En m'intéressant à cette notion, je me suis toutefois aperçue que, malgré une définition théorique en apparence simple, les SIEG faisaient l'objet de critères de définition bien plus complexes en pratique, qu'il importe de clarifier. Ainsi, la qualification d'un SIEG nécessite en théorie la réunion de trois critères : l'exercice d'une activité économique, l'attribution d'obligations de service public par la puissance publique à un ou plusieurs opérateurs et la reconnaissance du caractère d'intérêt général de l'activité en cause. Toutefois, la Commission et la Cour de justice de l'Union européenne font une lecture restrictive de cette notion, de manière à ne pas créer un obstacle trop large à l'application des règles de concurrence. Cette analyse nuit à la clarté de définition d'un SIEG.

Par conséquent, le second objectif de la proposition de résolution européenne que je vous soumets aujourd'hui est d'inciter les institutions européennes à procéder à une précision des critères de lecture institutionnels et jurisprudentiels de la qualification des SIEG, afin de donner une grille d'analyse claire et prévisible aux États membres dans la reconnaissance de ces services. Il faut également prendre en compte l'existence d'une éventuelle défaillance du marché. Pour ce dernier critère, il y a un cadre juridique, mais, politiquement, il est interprété par les États membres de manière divergente.

Je me suis enfin interrogée, en lien avec la réflexion menée sur les SIEG, sur la possibilité et les moyens juridiques de fonder un soutien public à l'entreprise EDF avec la réforme du mécanisme de l'ARENH. L'une des pistes d'évolution de l'ARENH consiste en effet à rendre le mécanisme symétrique, en octroyant une garantie de recettes à l'entreprise EDF. L'opérateur historique disposerait donc, lorsque les prix du marché de l'électricité sont plus faibles que le tarif de référence, d'un complément de ressources. Cette évolution pourrait être contraire au droit de l'Union européenne, puisqu'une garantie de recettes constitue une aide d'État et qu'il n'existe pas de régime spécifique en matière de production d'électricité.

La proposition de résolution européenne que je vous soumets ouvre ainsi une première option pour soutenir la réforme du mécanisme de l'ARENH et sa transformation en un dispositif symétrique. La production d'électricité pourrait en effet remplir tous les critères de reconnaissance d'un SIEG. En premier lieu, il s'agit bien d'une activité économique, consistant à offrir de l'énergie sur un marché concurrentiel. En deuxième lieu, une directive européenne de 2009 et le code de l'énergie octroient aux entreprises agissant sur ce marché, des obligations de service public, notamment pour la sécurité d'approvisionnement. En dernier lieu, la production d'électricité est une activité d'intérêt général, comme le relève également le code de l'énergie. Reste la question des défaillances des marchés.

La reconnaissance d'un SIEG de l'électricité pourrait permettre de fonder une dérogation aux règles européennes de concurrence. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, codifiée dans le droit dérivé, les aides aux SIEG compensant des obligations de service public ne sont pas des aides d'État et échappent à l'obligation de notification auprès de la Commission européenne, si elles répondent à plusieurs critères visant à garantir le caractère nécessaire et limité des dérogations aux règles de la concurrence.

À la faveur de la reconnaissance d'un SIEG de la production d'électricité, la réforme envisagée pourrait être conforme aux traités, en considérant que l'aide octroyée est une compensation aux obligations de service public qui incombent à l'entreprise EDF.

Je voudrais toutefois introduire, par voie d'amendements, une seconde option, afin de donner davantage de marge de manœuvre au Gouvernement dans le cadre des négociations en cours. La mise en place d'une nouvelle régulation du nucléaire historique français pourrait également reposer sur une base légale d'aides d'État. La Commission européenne et le Conseil pourraient en effet accepter de créer un régime spécifique en matière d'aides d'État, sur le fondement des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). La réforme de l'ARENH, qui consisterait à rendre le dispositif symétrique par l'octroi d'une garantie de ressources à l'entreprise EDF, constituerait ainsi une aide d'État, notifiée et acceptée par la Commission européenne, car considérée comme conforme aux règles du traité.

Je crois qu'il est important de faire cet ajout, afin que notre résolution européenne soit non seulement le plus en phase possible avec les négociations en cours, mais aussi pour laisser une marge de manœuvre suffisante au Gouvernement dans ce contexte.

Pour conclure, la proposition de résolution européenne qui vous est aujourd'hui soumise répond à un triple objectif, avec des conséquences importantes et souhaitables, tant au niveau européen qu'au niveau national : l'évolution du mécanisme de l'ARENH, de manière à le rendre symétrique ; la clarification des critères de création d'un SIEG par les institutions européennes ; la reconnaissance d'un SIEG de production de l'électricité, ou la création d'une base légale d'aides d'État, qui permettrait de soutenir en France la réforme de l'ARENH.

Ces évolutions me paraissent en effet essentielles, en particulier dans le contexte de négociation entre la France et la Commission européenne sur la restructuration des activités d'EDF. Nous pouvons, en tant que membres du Parlement français, envoyer un signe fort de notre détermination aux institutions de l'Union, de notre volonté de soutenir à la fois l'entreprise EDF et ses salariés, tout en rappelant l'importance que nous attachons à l'excellence du service public de la production d'électricité, dans le respect des traités européens.

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