La transition écologique du secteur des transports est en effet un enjeu clé. L'Union européenne en a pris la mesure de manière progressive. Dès 2011, le livre blanc sur les transports, qui est resté comme une référence, pose le défi de « rompre la dépendance du système de transport à l'égard du pétrole sans sacrifier son efficacité ni compromettre la mobilité ».
Suite aux Accords de Paris de 2015, l'Union s'est engagée à réduire ses émissions d'au moins 40 % d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Le Pacte vert européen s'inscrit bien dans cet engagement réitéré de l'Union, de long terme, de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
En proposant que l'Union devienne le premier continent climatiquement neutre à l'horizon 2050, le Pacte vert prend la mesure de l'urgence climatique et accélère le mouvement déjà engagé. Pour le secteur des transports, la Stratégie européenne de mobilité durable prévoit un objectif général de réduction des gaz à effet de serre d'au moins 55 % pour 2030.
Elle se distingue par le caractère ambitieux des objectifs fixés et multidimensionnel des propositions qui touchent tous les modes de transport : routier, rail, aviation et le maritime. Nous pouvons citer quelques exemples : la mise en circulation d'au moins 30 millions de voitures zéro émission sur les routes européennes ou encore la transformation d'une centaine de villes européennes qui deviendront climatiquement neutres ainsi que le doublement du trafic ferroviaire à grande vitesse dans l'Union européenne.
La stratégie repose sur les trois leviers d'actions classiques de la transition écologique, à savoir l'innovation technologique, la maîtrise de l'énergie et la réglementation. De plus, deux fils rouges unissent les différentes propositions :
En premier lieu, le report modal vers le rail, tant pour le transport de personnes que de marchandises. Cette proposition a de nombreuses implications, en particulier la nécessaire augmentation des investissements sur les infrastructures et une réadaptation des autres secteurs, au premier rang desquels le secteur routier.
Deuxièmement, le principe du pollueur-payeur, supposant que les entreprises et les consommateurs ayant recours aux modes de transports les plus polluants assument le coût des externalités négatives générées par ces modes de transport – du moins contribuent activement à leur prise en charge. Une telle tarification pourrait prendre la forme de péages urbains pour les automobilistes ou d'une taxation progressive des billets d'avion par exemple en fonction de la fréquence des voyages.
Le paquet Fit for 55 présenté le 14 juillet dernier par la Commission européenne apporte des premières précisions sur les moyens d'atteindre ces objectifs. En particulier, sont prévus :
- une révision des normes en matière d'émissions de CO2 pour les voitures et les camionnettes prévoyant que toutes les voitures neuves immatriculées à partir de 2035 seront des véhicules à émissions nulles ;
- un règlement révisé sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs qui favorise l'électrification du parc automobile, le recours à l'hydrogène ainsi qu'aux biocarburants ;
- un nouveau marché du carbone commun aux secteurs routier et bâtiment, qui devrait être mis en place en 2026. Il serait synonyme de nouvelles obligations pour les fournisseurs, qui devront surveiller et déclarer la quantité de carburant mis sur le marché. Ils devront également restituer des quotas d'émission chaque année en fonction de l'intensité en carbone des carburants.
Toutes ces mesures, dans l'ensemble bien accueillies par les États membres et les acteurs du secteur, soulèvent néanmoins des questions que nous avons pointées avec mon collègue, sur leur réalisme et leur faisabilité notamment.
D'emblée, vous le constatez, proposer quatre-vingt-deux initiatives avec des premières échéances en 2030 compte tenu du rythme des discussions européennes semble difficile. D'autant qu'à ce stade, seul le paquet Fit for 55 a apporté des éclaircissements utiles. Or, il y va de la crédibilité de la voix européenne sur la scène internationale de tenir les objectifs qu'elle se fixe, surtout lorsqu'elle entend montrer la voie vers une croissance durable.
Plus important encore, il y a un déséquilibre entre les objectifs fixés et les moyens pour les atteindre. La stratégie repose en grande partie sur l'innovation technologique, l'hydrogène et le report modal, pour lesquels existent de fortes incertitudes.
Si l'innovation technologique constitue un levier d'action essentiel, elle reste aussi une solution de long terme et éventuellement de moyen terme. Par exemple, l'idée de commercialiser à l'horizon de 2035 les premiers aéronefs à zéro émission évoqués dans la stratégie, se heurte à un obstacle très concret et majeur : la technologie nécessaire à cette production n'est pas encore disponible.
Le Pacte vert européen et la stratégie de mobilité font le pari de promouvoir l'hydrogène comme une solution durable. Or, plus de 90 % de l'hydrogène consommé pour l'instant provient de gaz naturel. Il faut donc d'abord décarboner l'hydrogène avant d'en massifier la production.
Le report modal sur le transport ferroviaire des marchandises, bien qu'encouragé fortement par l'Union depuis une vingtaine d'années n'a pas encore donné de résultats satisfaisants. Il suppose un investissement important en termes d'infrastructures qui n'a pas été effectué ainsi qu'un changement dans la demande de transport - qui ne s'est pas non plus produit - tenant compte des usages, eux-mêmes liés à l'évolution des modes de vie et de travail dans les territoires.
Ces lacunes sont aggravées par la quasi-absence de dispositions sur le financement des mesures dans la stratégie, renforçant l'inquiétude évoquée. La Commissaire européenne chargée des transports, Adina Valean, a évoqué devant les parlementaires européens une estimation de plus de cent milliards d'euros par an entre 2021 et 2030 qui seraient nécessaires pour les secteurs des transports et de l'énergie. Le transport représenterait environ 45 % des besoins. Si l'on inclut les moyens nécessaires pour mettre en œuvre les politiques nationales, ce chiffre pourrait représenter plus de 390 milliards d'euros.
Nous tenons également à signaler les lacunes déjà présentes dans la stratégie qui nous font douter de son réalisme.
La première est la faible mention du transport public. Elle s'explique par le respect du principe de subsidiarité. Pourtant, aucune stratégie de mobilité sérieuse ne peut faire l'impasse sur la massification du transport public alors que 74 % de la population européenne vit en ville et que 23 % des émissions de gaz à effet de serre des transports concernent les zones urbaines.
Pour des raisons similaires, la stratégie européenne tend à ignorer la montée en puissance du vélo dans les modes de transports urbains. Or, cette industrie est en pleine croissance, tant les vélos classiques que les vélos électriques.
En creux, ces deux angles morts révèlent une faille majeure dans la stratégie : elle ne prend pas en compte la demande de transport. Ce faisant, elle se prive d'un levier supplémentaire d'action que serait la promotion de la sobriété dans la demande de transport des usagers. Ce défaut la conduit aussi à éluder la place centrale qu'occupe l'utilisateur des transports et donc à perdre de vue le rôle clé des déterminants de la mobilité.
De la même manière, l'aspect social, c'est-à-dire assurer une transition juste pour les citoyens européens et les travailleurs du secteur, est pour l'essentiel absent de la stratégie. Seules quatre des quatre-vingt-deux propositions ont une visée sociale selon les syndicats européens que nous avons entendus. Pourtant, la question de l'acceptabilité sociale des mesures écologiques est centrale en Europe. Nous savons que la transition écologique ne peut se faire sans pédagogie et sans des mesures de compensation sociale permettant un juste partage du coût de la transition écologique.
Un premier revirement semble intervenir depuis la proposition d'un fonds pour le climat introduit dans le paquet Fit for 55 pour compenser l'augmentation du prix des carburants liés aux marchés du carbone ; le premier qui sera révisé et le deuxième, sur le secteur routier et les bâtiments, qui sera introduit en 2026.
En parallèle, le cas des travailleurs du secteur des transports est globalement absent de la stratégie. Or, amener le secteur vers une réduction des émissions implique nécessairement un bouleversement de l'organisation sociale du secteur, qui emploie 11 millions de travailleurs en Europe, pour l'essentiel précaires, souvent transfrontaliers ou en détachement, soulevant de vrais enjeux de sécurité de l'emploi. Des reconversions professionnelles, des formations nouvelles, des compensations doivent être pensées pour les travailleurs du secteur, en particulier du routier à qui l'on demande de repenser son modèle économique.
L'accumulation de ces lacunes multidimensionnelles est de nature à remettre en cause l'efficacité des mesures proposées. Nous attendons donc que la phase de négociations apporte d'importantes clarifications.