Intervention de Sabine Thillaye

Réunion du mercredi 20 octobre 2021 à 16h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabine Thillaye, Présidente :

Nous allons passer à présent à la présentation du deuxième rapport de la journée. Il s'agit du traitement des questions européennes dans les médias audiovisuels français. Force est de constater qu'il est largement insuffisant. L'objet du jour est de discuter de propositions susceptibles de corriger la situation actuelle.

Ce sujet est un réel serpent de mer. Malgré les nombreux rapports sur le sujet, il subsiste encore de nombreuses questions. Des avancées non négligeables ont été constatées dans les journaux. Ainsi, ce sont la télévision (chaînes publiques comme privées) et la radio qui nous intéressent particulièrement car ils sont les supports d'information privilégiés pour 61 % des Français qui veulent suivre l'actualité européenne.

Il est important de faire une distinction entre les types de contenus relatifs aux sujets européens : les questions d'actualité de l'Union, le contenu relatif à la pédagogie sur les questions européennes et les émissions qui mettent en valeur les échanges entre les Etats membres de l'Union, comme en matière culturelle. Le rapport part d'un constat clair : il y a un silence relatif des chaînes françaises autour des sujets européens et surtout d'évènements clefs comme dernièrement les discours sur l'état de l'Union d'Ursula von der Leyen, ou encore son discours d'investiture. On peut également citer l'annonce du plan de relance européen qui a fait l'objet d'un trop faible écho médiatique en France.

Cette question de l'exposition des Français au contenu européen est un enjeu d'autant plus important que la présidence française au Conseil de l'Union arrive à grands pas. Un trop grand manque d'information peut être source de fragilité pour la démocratie européenne. A contrario, plus l'on est informé, plus l'on peut s'exprimer sur certains sujets et être apte à prendre des décisions citoyennes.

Quelles sont les sources de cette faible couverture médiatique ?

D'une part, il y a un temps d'antenne insuffisant. Les chaînes d'information en continu, les journaux télévisés et radios ne proposent que 3 % de leur contenu global aux sujets européens. Si l'on exclut ARTE, nous arrivons à un taux bien plus faible. Et lorsque l'offre augmente, l'information est parfois biaisée. En période de crise, cette offre a certes augmenté. Lors des débuts de la stratégie vaccinale, on a malheureusement surtout évoqué les retards de livraisons. En revanche, les élections européennes de 2019 ont été très bien relayées. Aussi, le nombre d'émissions passaient de 286 à 429 entre 2014 et 2019, ce qui représente tout de même une hausse de 46 %.

D'autre part, aucune chaîne privée comme publique ne propose de rendez-vous récurrent consacré à l'Union européenne. En revanche, dans les autres Etats membres de l'Union, les médias proposent de nombreuses émissions pédagogiques sur l'Union européenne. La chaîne publique allemande ZDF diffuse quotidiennement à 16 heures une émission sur l'Europe intitulée « Heute in Europa » (« Aujourd'hui en Europe »). Un élément positif néanmoins, le nombre de reportages et émissions consacrés à des analyses croisées sur différentes thématiques de l'Union n'a cessé de croître ces dernières années.

Enfin, j'aimerais insister sur deux derniers points : la faible présence des chaînes de télévision et de radios françaises à Bruxelles. Trop peu de journalistes français y sont accrédités : ils seraient douze, contre quarante journalistes allemands (dont quinze pour la seule chaîne publique ARD). Puis, la faible utilisation par nos médias d'images de l'actualité européenne mises à disposition par Bruxelles. En neuf mois, cent cinquante reportages ont été consacrés à l'Union par France 2, contre près de deux mille cent par la RAI Uno et mille cinq cents par l'ARD. 83 % des images utilisées en France l'ont été par France 24, LCP et Russia Today pour une durée totale de trois cent vingt et une heures. France 2 en a exploité trois heures quinze, contre trente-cinq minutes pour M6 et quatorze minutes pour TF1.

Comment justifier ce retard français ? Une première fausse raison est celle d'un supposé désintérêt structurel des téléspectateurs français pour la construction européenne. Cela peut être démenti par les enquêtes d'opinion qui montrent que les Français ont un attachement de principe fort pour la construction européenne renforcé depuis le Brexit. Un sondage du Mouvement Européen qui date de février 2020 montre que 55 % des personnes sondées s'estiment mal informées et que 77 % seraient désireux d'obtenir plus d'information. Les Français sont en attente d'une information concrète quant aux politiques européennes.

Une deuxième raison avancée est une organisation et un fonctionnement des institutions européennes qui seraient trop difficiles à médiatiser. Bien sûr, le fonctionnement de l'Union européenne n'est pas comparable aux régimes politiques nationaux mais sa complexité n'est pas un obstacle rédhibitoire. Les élections américaines reposent sur un système bien plus complexe mais les Français se sont passionnés pour leur déroulement. D'une certaine manière, lorsqu'on regarde notre propre système français de répartition de compétences d'une région ou d'un département, c'est parfois tout aussi complexe.

En réalité, le défaut français de couverture médiatique repose sur une triple responsabilité. Les institutions européennes ne font pas les efforts nécessaires pour donner une image transparente et positive de leur action ou ne sont parfois pas prêtes à se faire suivre par les journalistes. La classe politique française n'en fait parfois pas suffisamment pour rendre visibles les enjeux européens vis-à-vis de nos concitoyens. Évidemment ce constat ne s'applique pas au Président de la République qui porte haut et fort les questions européennes mais pendant des années, on a souvent utilisé l'Union européenne comme bouc émissaire pour tout ce qui n'allait pas en France. La troisième responsabilité incombe aux rédactions qui mettent peu de moyens dans le traitement des sujets européens. Les journalistes français spécialisés dans les affaires européennes sont souvent rattachés aux affaires étrangères.

Quelles propositions envisager ? Une première serait de renforcer les obligations légales de traitement des sujets européens. Il y a des obligations de diffusion de programmes européens qui découlent des cahiers des charges et des contrats d'objectifs et de moyens conclus avec l'État. Par exemple, l'article 16 du cahier des charges du groupe France Télévisions prévoit de manière très complète que le groupe doit intégrer la dimension européenne dans l'ensemble de ses programmes. En revanche, ce contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions pour la période 2016-2020 ne contenait aucun engagement précis de type quantitatif ou relatif. Les nouveaux contrats d'objectifs et de moyens (COM) conclus avec les chaînes du secteur public audiovisuel pour la période 2020-2022 comprennent un nouveau paragraphe qui prévoit que « Dans la perspective de la présidence française du Conseil de l'Union européenne au premier semestre 2022, […] l'audiovisuel public s'attachera à informer au mieux les Français, tant sur le fonctionnement de l'Union européenne et ses représentants que sur les actions qu'elle mène, l'impact de ces actions sur leur vie quotidienne et l'actualité des autres États membres. Il contribuera également à la lutte contre la manipulation de l'information sur ces sujets ». Le problème de cette proposition est qu'elle n'est valable que pour la seule présidence française de l'Union européenne alors que l'on a besoin que ce dispositif s'inscrive dans la durée.

Par ailleurs, si l'on excepte ARTE et France Médias monde, les chaînes du service public n'ont aucune obligation sur le temps accordé à l'antenne aux sujets européens. Il faudrait donc pérenniser, dans les contrats d'objectifs et de moyens post‑2022, la disposition introduite dans la perspective de la PFUE, prévoir des indicateurs chiffrés faisant obligation aux chaînes publiques de consacrer un certain temps d'antenne à des sujets européens et déclinant cet objectif par types d'émissions ou de reportages et mettre en place un instrument de mesure de la part d'antenne consacrée aux sujets européens. Ce suivi pourrait être confié à l'INA qui dispose des moyens en intelligence artificielle nécessaires à sa mise en place. Cela permettrait de manière plus concrète de mesurer la place des sujets européens dans les antennes. Enfin, une option serait d'élaborer en collaboration avec les groupes de médias une charte à destination des journalistes et des rédactions comprenant des engagements sur la promotion des thèmes européens dans les grilles de programme. Il faut agir avec prudence et éviter que les rédactions y voient une mise en cause de leur indépendance éditoriale qu'il faut bien sûr maintenir.

La deuxième proposition serait d'envisager la création d'un véritable statut des journalistes spécialisés dans les affaires européennes. Un premier axe pourrait être de renforcer la formation des journalistes aux affaires européennes. Il faudrait généraliser les modules de formation aux questions européennes. Ces modules, non seulement, ne sont pas systématiques mais le problème est que lorsque les étudiants choisissent cette voie, ils rencontrent par la suite des difficultés dans leur recrutement. Il y a très peu de débouchées pour ces étudiants journalistes une fois leur cursus terminé. Il faudrait également organiser un concours entre écoles de journalisme européennes et réfléchir à l'institution d'une école européenne de journalisme consacrée à la formation des correspondants de presse européens. Je crois qu'il faut commencer par les écoles de journalisme et instituer un programme Erasmus spécifiquement pour les journalistes. Ce dispositif permettrait aux journalistes volontaires de bénéficier de mois de formation dans des universités ou centre de formation d'autres Etats membres agréés au niveau européen.

Le deuxième axe serait d'assurer une meilleure visibilité des journalistes spécialisées dans les affaires européennes. On pourrait organiser un prix européen du journalisme qui pourrait être géré par la Commission européenne et l'Association des journalistes européens. On a déjà un prix Louise-Weiss en France mais il faudrait je pense élargir le dispositif. Pourquoi ne pas instituer un statut de « journaliste européen » qui ouvrira le droit à certaines facilités ?

Un troisième axe serait de renforcer les moyens mis à disposition des correspondants à Bruxelles. La Commission européenne met à disposition des journalistes en poste à Bruxelles de moyens techniques diversifiés. Ils ont accès à certaines zones comme la salle de presse et une salle de travail. La proposition serait de lancer une concertation avec les responsables de chaînes afin d'examiner quelles facilités nouvelles pourraient être déployées. La Commission octroie aussi des aides afin d'accompagner les actions d'information sur les sujets européens. Mais ces dispositifs sont éclatés entre trois directions générales : ils sont peu utilisés car peu connus et les procédures sont malheureusement complexes. La proposition serait ici de faire réaliser par la Commission une cartographie des aides européennes pouvant bénéficier aux médias nationaux pour assurer leur meilleure publicité, inciter les chaînes à mutualiser leurs moyens pour répondre aux appels d'offres européens et aider au montage de projets pouvant bénéficier des financements de l'Union. La dernière proposition serait d'instituer à Paris un lieu réservé aux journalistes européens. Cet espace de co-working constituerait un point de rencontre entre journalistes spécialisés dans les affaires européennes et le lieu de tenue des conférences de presse.

Une dernière proposition serait de réfléchir à de nouvelles formes de communication et d'information sur les questions européennes. Il y a un besoin de mise en scène de la vie politique européenne. Lors des auditions, on nous a souvent avancé que l'Union serait rétive à toute mise en scène, qu'elle échapperait à toute possibilité de « récit », que son absence d'incarnation empêcherait par avance toute forme de dramaturgie… Ces assertions sont erronées. La série Parlement produite par France Télévisions, qui traite sur un mode humoristique du fonctionnement du Parlement européen, montre qu'il est possible de traiter des affaires européennes sur le mode de l'« entertainment ». Ces initiatives doivent être encouragées. Il faut donner une dimension évènementielle à la vie politique européenne pour la rendre plus accessible à nos citoyens. Des financements nationaux et européens pourraient être mobilisés pour soutenir cette démarche.

Il faudrait également renforcer le contrôle parlementaire des affaires européennes et ce, même chez nous. On a du mal à porter des questions européennes en séance. Il faudrait remplacer la séance des questions au gouvernement précédant les plus importantes réunions du Conseil européen par un débat solennel suivi d'un vote dans les conditions prévues à l'article 50-1 de la Constitution pendant la durée de la présidence française de l'Union européenne. On a souvent des débats, on en a eu sur la loi de programmation militaire, on n'en a pas sur les questions européennes et l'on devrait être davantage associé à ce que défend notre pays au Conseil européen. Il faudrait aussi convier la présidente de la Commission européenne dans l'Hémicycle pour une séance de questions cribles.

La dernière proposition porte sur le statut de la Commission des affaires européennes qui devrait devenir une commission permanente pour pouvoir porter davantage des questions européennes chez nous. Cela pourrait également intéresser beaucoup plus les journalistes. En règle générale, on voit bien que l'on est le chaînon manquant concernant les questions européennes alors que nous sommes plus proches de nos élus locaux et de nos électeurs. C'est un constat qu'on peut porter sur toutes les commissions des affaires européennes dans les Etats membres. Les réunions de la COSAC ne sont pas relayées par les journalistes qui ignorent très souvent qu'il y a des commissions des affaires européennes dans nos parlements nationaux.

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