Intervention de Philippe Benassaya

Réunion du mercredi 27 octobre 2021 à 15h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Benassaya, rapporteur :

Avant de poursuivre, je tiens aussi à saluer ma collègue que je suis très heureux de retrouver. Comme cela a été indiqué, il y a effectivement des problèmes de définition. On a parlé de la difficulté des définitions sur le terme « État de droit », il y a aussi une difficulté sur la définition de « crise sanitaire ». En effet, le terme de « crise sanitaire » a pu être appréhendé très différemment selon les États membres. C'est pourquoi il nous a semblé indispensable d'être très précautionneux dans les termes, afin de vous présenter un rapport qui soit clair et objectif sur les réactions des États membres et de l'Europe dans cette crise. Cette exigence est rendue d'autant plus nécessaire par les débats en cours autour de l'articulation entre souveraineté européenne et souveraineté nationale, notamment après la décision du tribunal constitutionnel polonais.

Après ces indispensables définitions, notre rapport examine ensuite de façon précise les impacts de la crise sur un certain nombre d'enjeux et j'aimerais insister ici sur la question du contrôle parlementaire. En effet, nous avons constaté durant cette crise ce que certains analystes ont appelé un « auto-dessaisissement » parlementaire au profit des exécutifs nationaux. Au total, 22 États membres ont délégué aux pouvoirs exécutifs nationaux une partie de leurs prérogatives, notamment par la voie de lois d'habilitation.

Pour opérer cette délégation massive de pouvoirs, les États membres se sont fondés soit sur des lois d'habilitation qui existaient avant la crise (pour 13 d'entre eux, notamment en France, en Allemagne, en Espagne, au Portugal), soit sur des lois d'habilitations adaptées pour les circonstances (pour 8 d'entre eux : Danemark, Croatie, Pologne, Roumanie par exemple).

Nous savons que la France est particulièrement concernée par ce phénomène, puisqu'elle a adopté pas moins de 62 ordonnances entre le 15 mars et le 30 juin 2020. Beaucoup d'autres États ont procédé de la même manière, en particulier l'Italie et l'Espagne par l'intermédiaire de décrets-lois.

Toutefois, nous avons noté quelques exemples de préservation du pouvoir parlementaire. C'est le cas notamment en Allemagne, où l'état d'urgence n'a pas été déclenché et où le Bundestag a eu un rôle central dans la gestion de la crise. L'Irlande a également laissé à son parlement un pouvoir important dans la prolongation ou la fin des mesures d'urgence. Enfin, aux Pays-Bas, le parlement doit valider les règlements pris par les ministres dans les deux jours suivants leur adoption.

On constate donc que si les parlements se sont « auto-dessaisis » de certains de leurs pouvoirs principaux, certains États font figure de référence en matière de contrôle parlementaire. Toutefois, la crise a aussi eu un impact de plus long terme sur les parlements, en les contraignant à une nouvelle organisation.

Face à la situation sanitaire et dans le but de poursuivre en particulier leur mission de contrôle, les parlements ont été contraints de s'adapter, en basculant sur une utilisation massive de la visioconférence. En cela, la Lettonie fait figure d'exemple, puisque la Saeima (le parlement letton) a été l'un des premiers parlements nationaux du monde à s'adapter à la Covid‑19 en passant à un mode de fonctionnement en ligne, la première réunion numérique s'étant tenue dès le 24 mars 2020. Cela a permis de faire en sorte que, depuis le début de la pandémie, la Saeima a validé toutes les décisions prises par le Conseil des Ministres.

En outre, certains parlements ont mis en place, comme en France, des missions de contrôle de moyen terme sur les mesures prises dans le cadre de la crise. D'autres, comme la Belgique, ont créé des « commissions permanentes sur le Covid-19 ». À l'inverse, d'autres parlements comme en Allemagne ou en Italie ont fait le choix de ne pas mettre en place de dispositifs spécifiques de contrôle.

Pour terminer ce point avec la France, il est clair que l'état d'urgence sanitaire qui a été décidé en France pendant le premier confinement est moins favorable au rôle du parlement que ne l'aurait été le recours à la loi de 1955 sur l'état d'urgence « classique ». Cette loi prévoit en effet que le parlement doit autoriser la prolongation de l'état d'urgence au-delà de 12 jours, alors que cette durée est portée à un mois dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

Notre rapport examine également l'impact de la crise sur d'autres enjeux, en particulier la limitation des libertés de circulation, de rassemblement et d'association. Par définition, ces libertés ont été particulièrement remises en cause dans le cadre de la crise. Ainsi, 9 États membres ont pris des mesures de confinement strict lors de la première vague et d'autres l'ont également fait durant la deuxième vague, notamment l'Allemagne, l'Irlande, les Pays-Bas ou le Danemark. La nature et l'intensité de ces restrictions ont également varié et nous donnons des exemples dans le rapport. Certains États membres ont aussi limité les rassemblements sur la voie publique ou dans un cadre privé. L'Espagne a ainsi interdit les réunions privées à partir de 6 personnes.

Nous constatons ainsi que l'encadrement européen des différentes mesures nationales est resté très léger. Le seul véritable enjeu où l'Europe s'est rapidement mobilisée a concerné le respect de la vie privée, pour lequel des difficultés ont été constatées en Pologne et en Irlande notamment. La Commission européenne a proposé dès avril 2020 une boîte à outils européenne concernant l'utilisation des applications mobiles dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. De plus, en mars 2021, le Contrôleur européen de la protection des données a rendu un avis sur le projet de passeport vaccinal proposé par la Commission européenne. Il s'agit là d'une bonne méthode qui aurait pu irriguer un plus grand nombre d'enjeux soulevés par les réactions à la crise sanitaire.

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