Après avoir observé l'adaptation parlementaire à ces régimes d'urgence sanitaire, notre rapport analyse la manière dont la justice a pu être résiliente dans le cadre de ces crises sanitaires. Il est certain que le Covid aura accéléré à peu près partout ce grand enjeu du XXIe siècle qu'est la numérisation de la justice. Un grand nombre d'États membres, en particulier la France, la Belgique et l'Espagne, ont considérablement accéléré la dynamique.
La plupart du temps au cœur de cette crise, les États ont priorisé les fonctions les plus importantes des juridictions, ainsi que les affaires les plus urgentes et les plus critiques. Dans certains États membres, les juridictions administratives et constitutionnelles ont été particulièrement actives durant la crise, pour le meilleur et pour le pire. En Allemagne, 3 700 décisions de justice ont été prises en lien avec la pandémie et en Slovénie, la cour constitutionnelle a jugé près de 26 % de cas supplémentaires en 2020, ce qui est absolument considérable. Par ailleurs, il était également intéressant d'observer, notamment au cours de nos auditions, que cette proactivité de la justice à l'égard des états d'urgence ou des législations d'urgence sanitaire a pu amener à re-hiérarchiser ou à réévaluer certains de nos droits fondamentaux.
Notre rapport s'attarde ensuite sur la liberté de la presse en temps de pandémie et montre que les mesures d'urgence ont rendu considérablement plus difficile le travail des journalistes à un moment où leur rôle était absolument primordial. La lutte contre la désinformation a en effet état d'autant plus nécessaire dans cette situation de crise. Au total, en juillet 2021, l'institut de presse international a dénombré 845 violations de la liberté de la presse liées au Covid. L'Europe se distingue par une forte propension d'attaques physiques et verbales venant de particuliers. Certains États, comme la Roumanie ou la Hongrie, ont même modifié leurs législations pendant la crise pour criminaliser la désinformation, ce qui a pu susciter des réactions importantes, voire semer des doutes considérables sur la liberté de la presse. Le secteur des médias a enfin été confronté à une importante baisse de recettes publicitaires, de façon circonstancielle. Le secteur de la publication d'informations a ainsi vu ses recettes reculer de 30 à 80 % durant le premier confinement.
Notre rapport montre en conséquence que la crise n'a finalement pas créé de situation nouvelle en Europe, mais qu'elle a plutôt constitué un véritable « s tress test » pour évaluer la résistance des États dans l'ensemble de ces domaines.
Les situations les plus problématiques qui étaient déjà identifiées avant la crise continuent aujourd'hui, en particulier en Hongrie et en Pologne. Notre rapport développe également les situations d'autres États européens, notamment l'Espagne, les Pays-Bas, la Roumanie, Malte et d'autres. Notre rapport mentionne également des exemples de législation prise au cœur de la pandémie et pourtant sans lien avec elle. Il s'agit là véritablement d'un sujet de préoccupation majeur qui peut porter atteinte à l'État de droit.
La seconde partie du rapport s'attarde quant à elle sur les réponses européennes qui ont été apportées pour protéger l'État de droit pendant la crise. C'est sur ce volet que se concentrent nos recommandations. Notre rapport évalue d'abord le suivi fait par les institutions européennes des réponses des États membres face à la crise. Le Parlement européen, dont il faut saluer le travail, a été très actif en adoptant régulièrement des résolutions sur la compatibilité des états d'urgence avec l'État de droit. La médiatrice européenne a également ouvert une enquête sur la gestion de la crise sanitaire par les institutions de l'Union. Mais c'est surtout le Conseil de l'Europe qui a été le plus actif pour assurer la préservation des principes de l'État de droit, en publiant notamment une boîte à outils à destination de l'ensemble des gouvernements européens sur le respect des droits de l'homme, de la démocratie et de l'État de droit pendant les crises. Le Commission de Venise du Conseil de l'Europe constitue en cela un organisme très précieux qui fournit des informations cruciales sur les situations des États membres.
Notre rapport évalue enfin le dispositif européen de préservation de l'État de droit. Le célèbre article 7 du TFUE, dont nous avons déjà débattu ici, avait été déclenché à l'encontre de la Hongrie et de la Pologne avant la crise en 2017 et en 2018. Ce mécanisme continue de susciter des critiques importantes en raison de l'implication variable des différentes présidences du conseil et de la nécessité d'obtenir un consensus. Cet article nous semble inadapté à une réaction immédiate pour mettre un terme aux atteintes à l'État de droit dans une situation donnée.