Je suis très heureux de prendre la parole, pour la première fois, devant la commission des affaires européennes.
Cette proposition de résolution européenne est singulière, car elle est cosignée par de nombreux parlementaires de la majorité, du groupe UDI et indépendants et de celui des Républicains. Françoise Dumas, à qui j'ai proposé que l'on travaille ensemble sur cette question, a considéré, comme moi, que le sujet de la base industrielle et technologique de défense (BITD) présentait un intérêt national et européen, qui justifiait d'y réfléchir sans parti pris partisan, main dans la main avec les autres députés. En effet, la BITD n'est pas seulement une composante essentielle de l'autonomie stratégique européenne ; elle occupe une place particulière dans notre pays. Dans une France marquée par une forte désindustrialisation, l'industrie de défense représente un acteur économique majeur : 4 000 entreprises emploient 200 000 salariés et permettent de financer à un coût raisonnable, grâce à un modèle mixte de production destinée à la défense nationale et à l'exportation, notre effort de défense.
Les industriels de la défense rencontrent des difficultés croissantes pour financer leur activité. La commission de la défense nationale et des forces armées m'a par conséquent confié, ainsi qu'à Mme Françoise Ballet-Blu, une mission flash sur le financement de la BITD, qui a permis d'identifier des problèmes de financement par les banques et les garanties à l'export ainsi qu'à travers les fonds propres, par le financement en capital ou les fonds d'investissement.
Ces difficultés sont connues. Certaines, spécifiques, sont liées à la nature de l'investissement dans la défense, qui nécessite un engagement beaucoup plus long que les opérations de type private equity ou les fonds d'investissement classiques, pour lesquels les investisseurs n'ont pas besoin de rester plus de cinq ou sept ans en moyenne. D'autres difficultés, sectorielles, proviennent d'une surinterprétation des règles de compliance, des risques d'atteinte à la réputation des établissements ou des prêteurs ou de l'émergence de labels en matière de finance durable, qui aboutissent à l'exclusion de l'armement des secteurs d'investissement. Le délégué général pour l'armement, M. Joël Barre, avait dressé le même constat au début de l'année 2019.
En la matière, l'Union européenne semble relativement schizophrène. D'un côté, elle a la volonté, fort légitime, de développer une BITD européenne et une industrie européenne de la défense, comme en témoigne la création du Fonds européen de la défense. De l'autre, elle soutient des projets qui favorisent la finance durable mais, du même coup, menacent le financement de la BITD : la taxonomie européenne et l'écolabel pour les produits financiers.
La taxonomie européenne de la finance durable, issue du règlement 2020/852, visait initialement à favoriser les projets de développement durable sur le plan environnemental. Il a été décidé d'y ajouter une taxonomie sociale, qui est en cours d'élaboration. Si l'on peut comprendre que l'activité de défense soit exclue de la taxonomie environnementale, il faudra être vigilant pour qu'elle ne le soit pas également de la taxonomie sociale. Une telle exclusion nous semblerait extrêmement dangereuse, car la sécurité et la liberté sont les bases d'une société socialement équilibrée.
J'en viens à l'écolabel européen pour les produits financiers durables. Les labels, qui sont devenus un outil majeur de placement des produits financiers, s'appuient sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Vu le désordre généralisé, chacun pouvant produire son propre label, la Commission européenne a conçu un projet d'écolabel européen – ce que nous saluons – et a confié au Centre de recherche commun (CCR) le soin de formuler des propositions.
Dans son troisième rapport – nous en sommes au quatrième –, le CRC recommandait d'exclure les producteurs d'armes controversées, c'est-à-dire celles interdites par les traités internationaux, comme les mines antipersonnel prohibées par la convention d'Ottawa, ainsi que les entreprises qui vendent des matériels d'armement à des pays à l'encontre desquels l'Union européenne a pris des sanctions. Nous n'avons rien à y redire.
En revanche, dans son quatrième rapport de mars 2021, il propose d'exclure de l'écolabel européen toute entreprise dont la part d'activités de production et de vente d'armes conventionnelles et d'équipements militaires utilisés pour le combat dépasserait les 5 % de leur chiffre d'affaires, ce qui vise toutes les entreprises d'armement et de nombreuses entreprises duales. Il semble que le seuil de 5 % soit inspiré de plusieurs labels internationaux, en particulier le fameux label belge Towards Sustainability.
Vous imaginez aisément les conséquences d'une telle décision. Les investissements dans les activités de défense seront délaissés, les placements de dette rendus plus difficiles. Les entreprises d'armement n'arrivant plus à se financer, elles deviendront des cibles faciles à atteindre alors que nous voulons contrôler les investissements étrangers dans les secteurs stratégiques en France et en Europe. Il leur sera plus difficile d'être financées à travers des obligations à un taux avantageux. Enfin, il deviendra compliqué de développer l'innovation dans les secteurs de la défense. Or l'Europe nourrit de grandes ambitions dans des secteurs qui peuvent être duals, comme l'espace, qui est vital pour les applications civiles aussi bien que militaires.
Pourtant, les industriels de la défense ont réalisé des efforts importants en matière de compliance. Il serait d'autant plus injuste de les pénaliser que, soit dit sans langue de bois, ni fausse naïveté, certains de nos compétiteurs dans les ventes d'armements n'ont pas nos pudeurs. Non seulement nous devrions redoubler d'efforts, mais nous en serions récompensés par une aggravation du déséquilibre financier de nos entreprises !
Par la présente proposition de résolution, l'Assemblée nationale prévoit de demander à la Commission européenne de revenir sur le projet d'exclure les entreprises de défense de l'écolabel pour les produits financiers de détail et de promouvoir l'investissement en faveur des entreprises de la BITD afin de doter l'Union européenne d'une autonomie décisionnelle stratégique – nous y sommes tous attachés, même si certains de nos partenaires européens ne partagent pas notre analyse. Nous proposons enfin, à la veille de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, d'inviter le Gouvernement à peser de tout son poids pour faire valoir auprès des institutions européennes et des autres États membres de l'Union les enjeux liés à l'existence d'une base industrielle et technologique de défense européenne forte, notamment dans le cadre de la boussole stratégique.
Les cosignataires de cette proposition de résolution visent deux objectifs : protéger l'Europe contre elle-même quand, par désir de vertu, elle oublie de prendre en considération ses propres intérêts, et inviter le Gouvernement à défendre ceux de la France.