Intervention de Thierry Breton

Réunion du mardi 11 janvier 2022 à 17h15
Commission des affaires européennes

Thierry Breton, commissaire européen :

Concernant le European Chips Act, Madame Hennion, nous espérons pouvoir déposer un texte dans les semaines qui viennent ; c'est l'objectif que la Commission s'est fixé. Il s'agit de mutualiser les capacités de l'ensemble des centres de recherche au niveau européen et de financer des lignes pilote. À cet effet, 4 à 5 milliards d'euros pourraient être mobilisés par la Commission, notamment pour abonder un fonds affecté aux start-up innovantes, de manière à favoriser l'usage des semi-conducteurs pour l'intelligence artificielle. Les États membres, notamment l'Allemagne, la France, l'Italie, la Belgique et les Pays-Bas, ainsi que des organismes privés contribueront à l'effort de financement, qui pourrait ainsi atteindre 40 milliards d'euros. Vous avez souligné très justement l'importance de la formation. L'Europe dispose déjà de fortes compétences, mais il faut encore les développer.

J'ai toujours pensé qu'il était indispensable d'inclure l'énergie nucléaire dans la taxonomie pour atteindre l'objectif zéro carbone à l'horizon 2050. D'après le travail réalisé par mes équipes, il faudra multiplier la production d'électricité par deux en Europe dans les trente ans qui viennent. Aujourd'hui, 26 % de l'électricité produite dans l'Union est d'origine nucléaire. Compte tenu de la fermeture des centrales thermiques – enjeu majeur – et du rythme des investissements dans les énergies renouvelables, ce taux devra être au minimum de 15 % pour atteindre le zéro carbone en 2050. La production d'électricité devant être multipliée par deux, cela correspond en réalité à une augmentation de la capacité de production nucléaire.

Ainsi, au cours des trente ans qui viennent, outre 60 à 65 milliards d'euros par an dans les énergies renouvelables et 40 milliards par an dans les réseaux de distribution d'électricité, il faudra investir 20 milliards par an dans le nucléaire. Il s'agira de financer à la fois la fin des centrales de première et de deuxième générations d'ici à 2040 et le développement des réacteurs de troisième génération, à savoir les réacteurs pressurisés européens (EPR) et les petits réacteurs modulaires (SMR). Les centrales de troisième génération ayant obtenu leur permis de construire avant 2045 pourront bénéficier de la taxonomie. Quant aux centrales de quatrième génération, à émission de déchets faible ou nulle, elles doivent faire l'objet d'investissements importants dès maintenant ; la Commission soutient ces efforts. Nous avons redonné une vision structurée et cohérente pour la filière nucléaire, qui emploie, je le rappelle, 1 million de personnes en Europe, dont 200 000 en France.

La proposition d'acte délégué relative à la taxonomie est actuellement en consultation. Nous espérons pouvoir la faire adopter par le collège pour le soumettre aux deux colégislateurs avant la fin du mois de janvier. Le calendrier sera donc tenu.

S'agissant du safe harbor, madame Le Grip, nous avons maintenu dans la proposition de règlement DSA l'exemption de responsabilité pour les vrais hébergeurs, approche que le Conseil et le Parlement européen ont confirmée. Aux États-Unis, chaque fois que le safe harbor est en discussion, le débat n'avance plus. En revanche, pour les plateformes, la situation va changer radicalement avec le DSA, puisqu'elles devront satisfaire de nouvelles obligations, plus efficaces que la menace de perdre l'exemption. On peut tout à fait envisager des clauses de rendez-vous pour suivre l'application de cette nouvelle régulation.

Madame Deprez-Audebert, je suis en contact étroit avec M. Varin, qui m'a remis hier matin les conclusions de son rapport. Je l'ai encouragé à prendre en compte le travail réalisé au niveau européen, sachant que les métaux rares se répartissent sur l'ensemble du continent. Grâce à une équipe dédiée qui collecte en permanence les informations, nous avons une vision claire de ce que recèle le sous-sol européen, notamment pour les métaux rares – lithium, manganèse, baryum, magnésium… –, nécessaires à la fabrication de composants critiques, de batteries ou encore d'aimants. Leur quantité est supérieure à ce que l'on pense généralement, mais il faut se donner les moyens de les extraire dans le respect de nos règles rigoureuses de préservation de l'environnement et de la biodiversité, en recueillant le soutien des collectivités locales.

C'est une question stratégique pour nos chaînes de valeur ; il est essentiel de renforcer notre indépendance en la matière. Pour la production de batteries, l'Europe est surtout dépendante de la Chine, et il existe un risque de tensions d'ici deux ou trois ans. Nous n'avons pas beaucoup de temps pour nous y préparer, mais nous avons la ferme intention de progresser. Il est sans doute encore un peu tôt pour former une alliance industrielle sur les métaux rares ou lancer des PIIEC. Nous mobilisons tous les instruments à notre disposition, y compris pour favoriser la réutilisation des métaux rares en améliorant leur traçabilité grâce aux outils numériques tels que la blockchain.

Monsieur Potier, je mesure votre impatience en ce qui concerne le devoir de vigilance des multinationales. J'espère que nous serons en mesure de faire une proposition dans la deuxième quinzaine de février, conformément à ce que je vous avais indiqué.

L'eau potable est bien sûr indispensable à notre vie quotidienne, mais aussi au secteur industriel. Par exemple, la production de semi-conducteurs demande de l'eau, outre des compétences et de l'électricité abondante et bon marché. Je vous soutiens dans le combat que vous menez pour garantir notre souveraineté en la matière. L'eau doit être gérée comme une ressource stratégique. J'ai demandé à mes équipes d'y travailler, et nous pourrons en reparler.

Comme je l'ai indiqué, monsieur Herth, la proposition d'acte délégué intégrant le nucléaire dans la taxonomie sera présentée au collège des commissaires d'ici à la fin du mois de janvier. La phase de consultation donne lieu à de nombreuses discussions, notamment avec les pays qui ont fait le choix de sortir du nucléaire. Je rappelle que chaque État membre est maître de sa politique et de son mix énergétiques ; il ne m'appartient donc pas de les commenter. Il me revient seulement de recenser les besoins au niveau de l'Union, de donner des orientations et d'attirer les investissements nécessaires, publics ou privés.

Je rappelle que la décision d'indexer le prix de l'électricité sur celui du gaz a été prise il y a quelques années non pas par la Commission, mais par l'ensemble des États membres, y compris la France. À la demande du Conseil, nous avons lancé une étude sur une éventuelle désindexation, qui peut être pertinente. Il faut prendre en compte la question des interconnexions, pour lesquelles il est nécessaire, je l'ai indiqué, d'investir 40 milliards d'euros par an.

La question de l'inflation ne relève pas directement de ma compétence, mais j'y suis très sensible, notamment en tant qu'ancien ministre des finances. Il y a très clairement un risque d'inflation, qu'il faut prendre très au sérieux. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que le phénomène est passager : il y a certes des éléments conjoncturels comme le prix de l'énergie, mais il y a aussi une tendance structurelle assez forte, notamment des tensions sur de nombreux matériaux et des conséquences sur les salaires dans certains pays. Vous l'avez certainement relevé, des membres de la BCE et des banques centrales nationales commencent à s'exprimer à ce sujet. Les pays européens, notamment la France, sont très endettés, et nous connaissons les conséquences de l'inflation. Il ne m'appartient évidemment pas de dicter à la BCE sa politique monétaire. Il me revient en revanche, en ma qualité de commissaire chargé du marché intérieur, donc des entreprises, de l'alerter sur le fait que l'augmentation des prix est en train de devenir une réalité dans de nombreux secteurs et qu'elle risque d'être plus durable qu'on ne le pense. C'est un de mes sujets de préoccupation.

Monsieur Simian, l'hydrogène peut et doit effectivement jouer un rôle dans la mobilité ferroviaire, mais aussi routière, maritime et aérienne. Je n'entrerai pas dans la distinction entre hydrogène « vert » ou « gris », même si, à terme, l'hydrogène devra évidemment être aussi décarboné que possible. Pour produire de l'hydrogène bas carbone, nous devons disposer des électrolyseurs et de l'électricité nécessaires. De ce point de vue, toutes les énergies sont bonnes à prendre, notamment l'énergie nucléaire – y compris celle produite par les centrales en fin de vie, dans le respect des autorisations délivrées par les autorités de sûreté, et même dans les pays qui ont décidé de sortir du nucléaire, d'ici à cette échéance – mais aussi les énergies fossiles à basses émissions de CO2. Nous devons investir pour produire massivement de l'hydrogène sur le territoire de l'Union européenne, afin de ne pas dépendre d'autres États. Nous ne devons pas rater ce tournant.

Madame Obono, vous savez tout l'intérêt que je porte à l'Afrique à titre personnel. Vous avez raison, la faible couverture vaccinale du continent, 7 % contre 50 % à l'échelle mondiale, représente un vrai risque.

Il est très important de donner l'accès aux brevets. J'ai été l'un des premiers à le dire, y compris à la directrice générale de l'OMC. Mais la priorité absolue est de vacciner le plus rapidement possible l'ensemble des pays africains. Il faut donc accroître très significativement les dons de vaccins et mettre en place des chaînes de vaccination – à cet égard, je me réjouis que l'utilisation des nouveaux vaccins, à protéines recombinantes, soit soumise à des contraintes logistiques moindres que les vaccins à ARN messager. L'Europe fait beaucoup d'efforts ; il faut que d'autres pays, notamment les États-Unis, en fassent aussi.

La deuxième priorité est le développement des capacités de production en Afrique. Contrairement à ce que certains affirment, l'Afrique ne dispose pas aujourd'hui des usines à même de produire des vaccins en masse ; les usines qui y sont présentes ne peuvent produire qu'en petite quantité – c'est le cas de l'Institut Pasteur de Dakar, qui fonctionne bien – ou réalisent seulement l'enflaconnage – par exemple, les installations d'Aspen en Afrique du Sud. L'Afrique dispose en revanche d'écosystèmes autour de ces usines et de compétences, les universités formant des techniciens et des ingénieurs en biologie. L'Europe a donc investi pour créer de premières usines de fabrication de vaccins, en Afrique du Sud, au Rwanda et au Ghana.

Maintenant que ces capacités de production montent en puissance, la question des brevets va se poser. Contrairement à ce que vous semblez penser, l'Union européenne discute avec les fournisseurs de technologie et avec la directrice générale de l'OMC. Il n'y a donc pas de blocage de sa part. Je l'ai dit très directement à nos amis américains : c'est bien de dire qu'il faut libérer les vaccins et lever les brevets, surtout quand il s'agit de brevets européens, mais ce serait encore mieux si vous nous aidiez à exporter davantage de vaccins et à financer la construction d'usines. L'Afrique représentera, en 2050, 40 % de la population mondiale. C'est maintenant qu'il faut y bâtir les usines capables de produire des vaccins. Nous travaillons sur ces questions d'arrache-pied.

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