Intervention de Cédric Villani

Réunion du mardi 11 janvier 2022 à 17h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani :

Je salue votre action, Monsieur le commissaire. L'Europe a de la chance d'avoir un commissaire aussi au fait que vous des sujets économiques et technologiques.

La Commission européenne a entrepris il y a une quinzaine d'années de créer une juridiction unifiée du brevet (JUB). Le projet initial faisait de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) le sommet du dispositif, dans la mesure où elle pouvait être saisie en dernier recours. Toutefois, à la demande de certains États membres, la CJUE a été exclue du schéma : si ses avis sont considérés comme contraignants, il n'existe aucun mécanisme permettant aux plaignants de la saisir. Plusieurs spécialistes se sont alarmés du fait que ce nouveau projet était contraire à l'ordre juridique européen. L'analogie avec la Cour de justice Benelux, invoquée dans plusieurs rapports, ne convainc guère : celle-ci ne rend que des décisions d'orientation, et la CJUE reste compétente en dernier ressort. La Commission compte-t-elle vraiment mettre en place la JUB sans garantie effective que la prééminence du droit européen sur les droits nationaux sera préservée ?

Autre thème polémique, lié au précédent : le brevet logiciel. La question fait l'objet d'un débat multiséculaire, à la fois économique, scientifique et philosophique. Je rappelle la position de principe chère au scientifique que je suis : on ne peut rien breveter qui soit abstrait, ni une idée, ni une formule mathématique, ni un algorithme, ni un logiciel. Pourtant, des brevets logiciels sont délivrés dans certains pays, ce qui permet à des patent trolls de racketter des PME innovantes. Qui plus est, ces brevets favorisent l'évasion fiscale et n'apportent aucune protection par le droit d'auteur, bien au contraire. Un exemple parmi tant d'autres : la petite entreprise de logiciels de l'un de mes proches a dû céder 200 000 dollars à une coquille vide américaine prédatrice, sans même pouvoir se défendre, faute de moyens.

Au cours des dernières années, selon l'Association pour une infrastructure informationnelle libre, l'Office européen des brevets a accordé abusivement des dizaines de brevets logiciels, par glissement sémantique, sous couvert de breveter la mise en œuvre d'algorithmes. Cette pratique est contraire aux intentions du Parlement européen, qui avait voté massivement, en 2005, contre un projet tendant à légaliser les brevets logiciels, présenté par la Commission de l'époque. Comptez-vous prendre des mesures pour rappeler à l'ordre l'Office européen des brevets ?

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