Député de Meurthe-et-Moselle, ancien travailleur frontalier du Luxembourg et maire de Villers-la-Montagne, j'ai le plaisir de m'adresser à vous. Rapporteur sur cette proposition de résolution européenne, les nombreux travaux et auditions ont confirmé la spécificité et la complexité des sujets frontaliers. Mon rapport rappelle les principales dispositions applicables en matière de sécurité sociale et d'imposition pour les 1,5 million de travailleurs frontaliers en Europe, alors que la France représente à elle seule plus de 450 000 d'entre eux.
Concernant la sécurité sociale, le cadre réglementaire a été harmonisé par l'Union, qui retient deux grands principes. Le principe d'unicité, selon lequel une seule législation sociale s'applique, et la lex loci laboris, prévoyant que cette législation est de l'État membre dans lequel s'exerce l'activité professionnelle. Pour autant, si les règlements européens donnent une définition des travailleurs frontaliers, ils ne leur consacrent aucune disposition spécifique. Les travailleurs frontaliers relèvent donc de dispositions trop larges et applicables à tous les travailleurs mobiles, sans distinction de la spécificité de leur situation.
En outre, lorsqu'ils exercent une activité dans deux États membres ou plus, les travailleurs frontaliers peuvent relever du régime dit de la pluriactivité. Le frontalier qui réside en France et travaille au Luxembourg reste affilié à la sécurité sociale luxembourgeoise tant qu'il travaille ne travaille pas également France plus d'un jour par semaine. Peu adapté, ce cadre a été fortement remis en cause lors de la pandémie de Covid-19.
S'agissant de l'imposition, la fiscalité n'est pas une compétence de l'Union mais relève de conventions bilatérales conclues d'État à État conformément à l'article 52 de la Constitution. Ainsi, par contraste avec l'harmonisation européenne du cadre applicable à la protection sociale, il existe en matière d'imposition une multitude de textes qui forme un édifice d'une rare complexité et d'une très grande hétérogénéité.
Or, la crise sanitaire a contraint tous les gouvernements européens à prendre des mesures inédites, telles que l'interdiction temporaire de se déplacer librement ou la fermeture unilatérale des frontières, qui a pour les travailleurs frontaliers des conséquences accrues en matière de vie familiale, de lieux de soins ou de consommation. Nombre d'entre eux sont ainsi restés à leur domicile et ont eu recours au télétravail. Si les règles actuelles s'étaient appliquées, les travailleurs frontaliers auraient alors changé d'affiliation à la Sécurité sociale et de régime d'imposition ou auraient été mis en chômage partiel, voire total, pour éviter à leur employeur de faire ces démarches.
Néanmoins, les administrations de sécurité sociale ont adopté une mesure de flexibilité, permise par ce cas de force majeure, visant à neutraliser l'impact de la pandémie sur l'affiliation à la Sécurité sociale des travailleurs pluriactifs, dont les frontaliers, et cette mesure a été reconduite et le sera jusqu'au 30 juin 2022. Des accords fiscaux amiables ont également permis de conserver la stabilité d'un régime d'imposition applicable aux frontaliers.
Dès lors, il convient d'accroître l'usage du télétravail, sans incidence fiscale ou en matière de protection sociale, en évitant toute discrimination potentielle. Les discussions européennes sur le sujet sont essentielles car des États membres pourraient revoir leur participation financière à des projets d'infrastructures de transports en France, s'ils s'estimaient trop perdants du fait de ce télétravail accru. Permettre deux jours de télétravail par semaine semble donc être un bon compromis.
Pour autant, le relèvement du seuil de l'activité substantielle de 25 %, soit un jour par semaine, suggéré par la proposition de résolution européenne initiale et par les sénateurs, n'apparait pas souhaitable. D'une part, cette solution n'est pas applicable et aurait des effets de bord, en ce que la pluriactivité touche des situations professionnelles trop diverses parmi lesquelles les travailleurs frontaliers ne constituent qu'un tout petit ensemble. D'autre part, une telle solution n'est pas possible à court terme, la réforme des règlements européens de 2004 et de 2009 échouant depuis 2016. Une réouverture des négociations sur ce point ne ferait ainsi que déséquilibrer davantage les négociations.
Il ne s'agit pas d'un cadeau fiscal aux autres pays européens ou d'un manque à gagner pour le budget de l'État, le système déclaratif français ne permettant pas de tracer les jours de télétravail effectués en France, et ce dès le premier jour de télétravail effectué. Les services de l'État ne peuvent ainsi ni chiffrer un montant annuel ni en déduire une perte fiscale associée à l'accroissement du télétravail.
La solution pragmatique de court terme est à droit constant et consiste à utiliser l'article 16 du règlement de 2004 pour parvenir à un accord inter-administratif qui permettrait de déroger, exclusivement pour les travailleurs frontaliers, aux règles de la pluriactivité. Simple à matérialiser, facilement contrôlable par les administrations et répondant aux attentes des travailleurs frontaliers, cette solution permettrait deux jours de télétravail par semaine, mesurés sur une période hebdomadaire.
Une autre solution serait d'introduire un article additionnel limitant le télétravail aux travailleurs frontaliers jusqu'à deux jours par semaine, sans toucher aux règles de la pluriactivité, dans l'hypothèse d'une réouverture des négociations sur la réforme des règlements de coordination des systèmes de Sécurité sociale pendant la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Compatible avec le droit de l'Union, il faudrait simplement que les États membres se mettent d'accord sur une définition du télétravail et nos auditions ont montré que cela était possible.
En tout état de cause, il est nécessaire d'entamer une réflexion européenne sur le statut des travailleurs frontaliers, uniquement traité de manière très indirecte et difficilement applicable en ce qu'il ne permet pas de prendre en compte la spécificité de leur situation. En souscrivant à l'objectif de la proposition initiale, je vous soumets un amendement global à l'article unique visant ainsi à rénover cette proposition de résolution européenne afin de tenir compte des derniers développements en la matière. Il n'y aura pas de retour à la normale sans une part croissante de télétravail dans le quotidien.