Même s'il fait l'objet de débats depuis longtemps, c'est un sujet actuel qui a été remis en avant avec la pandémie de Covid-19, en ce que celle-ci a fait exploser les déficits publics. Or, les règles budgétaires du pacte de stabilité et de croissance doivent recommencer à s'appliquer en 2023, ce qui laisse peu de temps à la discussion.
Au cœur du dispositif juridique élaboré pour favoriser la convergence nécessaire à la création de l'Union économique et monétaire, ces règles budgétaires européennes, symbolisées par les fameux « critères de Maastricht » de 3 % de déficit et 60 % de dette, n'ont cessé de susciter la controverse entre les États membres et la contestation d'une partie des populations de l'Union. Déjà envisagées par la Commission européenne avant la crise sanitaire, des évolutions du pacte de stabilité et de croissance sont rendues nécessaires par les niveaux de dettes publiques hérités du « quoi qu'il en coûte » mis en œuvre, sous des formes diverses, par tous les pays européens pour faire face à la pandémie.
La Commission européenne a initié, en février 2020, un réexamen de la gouvernance économique européenne, suspendu durant la crise sanitaire avec le déclenchement de la clause dérogatoire générale prévue du pacte de stabilité, qui en suspend l'application jusqu'en 2023. Les restrictions sanitaires en place entraînant des conséquences économiques de moins en moins fortes, la Commission a relancé, à l'automne 2021, le débat sur une adaptation des règles budgétaires européennes. Une consultation publique a été conduite au dernier trimestre 2021 et la Commission est désormais en train d'analyser ces contributions citoyennes.
Aujourd'hui, il n'y a aucune proposition formelle de modification du pacte de stabilité et de croissance et il n'y en aura pas d'ici la fin de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE). À ce stade, la Commission envisage uniquement de présenter une communication au début de l'été, afin de clore la phase de consultation. Cependant, la PFUE sera bien dédiée à une réflexion stratégique sur le modèle de croissance de l'Union ainsi qu'à la construction d'un consensus entre les États membres sur les meilleurs moyens de concilier soutenabilité de la dette et investissements dans les dépenses d'avenir.
De leur côté, les États membres n'ont pas encore de positions tranchées. L'Italie et la France ont toutefois conjointement appelé à une réforme des règles budgétaires européennes, et ce dans le but de privilégier une réduction de l'endettement par des réformes structurelles plutôt que des coupes budgétaires ou hausses d'impôts. Les ministres des finances de huit États membres ont, quant à eux, signé, en septembre 2021, une lettre commune réaffirmant l'importance de finances publiques saines et appelant à ne pas lier la désactivation de la clause dérogatoire générale du pacte à une réforme des règles budgétaires européennes.
Les discussions sur les règles budgétaires européennes ont toujours été difficiles entre, d'un côté, les États du nord attachés à la discipline budgétaire et, de l'autre, les États du sud considérés comme dispendieux. Or, la pandémie de Covid-19 permet un débat plus constructif, en ce qu'elle a permis aux États du nord d'évoluer dans leur réflexion et aux États du sud de reconnaître la nécessité de réduire leurs endettements. Ainsi, deux États jouant un rôle essentiel viennent de changer de gouvernements et affichent désormais des orientations différentes : l'Allemagne, dont le contrat de coalition est remarquablement ambigu sur la question des règles budgétaires européennes, et les Pays-Bas.
Pour autant, si ces États acceptent de discuter d'une évolution du pacte de stabilité et de croissance, ils ne renoncent ni à la discipline budgétaire ni à des règles contraignantes. Autrement dit, même si les règles budgétaires européennes ne satisfont actuellement personne, atteindre un consensus pour une réforme ne sera pas aisé : en effet, certains considèrent que le pacte doit être réformé en ce qu'il fait peser des contraintes excessives, voire contre-productives, sur les politiques budgétaires nationales alors que d'autres, au contraire, constatent que trop d'États ne le respectent pas et qu'une réforme doit s'attacher à renforcer son applicabilité et son automaticité.
En ce qui concerne les défauts des règles budgétaires européennes actuelles, la principale critique porte sur leur extrême complexité. Elles comprennent quatre critères numériques, à savoir le ratio de déficit, le ratio de dette, le déficit structurel et l'augmentation annuelle des dépenses publiques ; ils s'accompagnent d'exceptions, clauses de sauvegarde et flexibilités qui, de fait, rendent ces critères peu transparents.
Ainsi, en apparence très contraignantes, les règles budgétaires européennes en pratique sont peu respectées. Mais tous les États ne tirent pas les mêmes conclusions de ce constat puisque certains soulignent que ces règles ne sont pas respectées car elles ne sont pas adaptées à la situation, alors que d'autres réclament une remise en cause de la marge d'interprétation de la Commission.
La complexité des règles budgétaires européennes découle pour partie du recours à des variables non-observables. Si ces variables inobservables peuvent servir utilement à des analyses a posteriori, elles ne devraient pas être utilisées comme outil de pilotage.
Ayant à l'origine pour but de remédier à un biais du pacte de stabilité et de croissance, qui favorisait des politiques budgétaires procycliques, le recours à ces variables a conduit à des efforts importants de consolidation budgétaire en périodes de récession. Inversement, dans les périodes de croissance, les États sont peu incités à reconstituer des réserves budgétaires. Ainsi, sur le plan économique, le niveau de la dette n'est pas géré de manière pertinente, les courbes d'évolution de la dette publique des États les plus endettés démontrant qu'elle augmente fortement en périodes de crise et reste sur un plateau jusqu'à la crise suivante.
Procycliques, les règles budgétaires sont aussi indifférentes à la qualité des finances publiques. Fondées sur des critères quantitatifs et une perspective essentiellement annuelle, elles ont conduit à sacrifier les dépenses d'investissement dans les périodes de consolidation, sans inciter à les relancer lors des retours à meilleure fortune. On le verra, la question de l'investissement, vert et numérique notamment, est fondamentale. Nous ne pouvons pas construire une économie soutenable sans investir massivement.
Les pays les plus endettés sont aussi ceux qui ont eu le plus de mal à réduire leur dette après la crise financière, si bien que les divergences entre États membres se sont accentuées. Les critères de convergence n'ont pas rempli l'objectif qui leur était assigné. Selon les prévisions économiques d'automne de la Commission, soumises à de fortes incertitudes, en 2023, date de la fin de la clause dérogatoire générale, une dizaine de pays afficheraient encore un déficit supérieur à 3 %, alors que trois connaîtraient des excédents budgétaires et deux seraient proches de l'équilibre. L'écart est encore plus grand pour les ratios de dette : la moitié des États membres respecterait le critère de 60 %, alors que six dépasseraient 100 %, dont la France. Les ratios d'endettement varieraient de 21,4 % pour l'Estonie à 192 % pour la Grèce ! Dans ce contexte, l'application de la règle de dette, qui impose de réduire d'un vingtième par an l'écart entre le ratio de dette et le plafond de 60 % est inapplicable pour certains pays. Il est évident que l'on ne peut pas imposer le même niveau d'effort à tous les pays.
Enfin, conçus au début des années 1990, les critères de Maastricht, qui représentaient à ce moment la moyenne des niveaux de dette et de déficit des États membres, ne se sont pas adaptés au changement de contexte macroéconomique, marqué par une baisse massive des taux d'intérêt, et donc de la charge de la dette, qui modifie la manière d'apprécier la soutenabilité de la dette publique. Même s'ils remontent, les taux d'intérêt devraient rester durablement inférieurs à leur niveau d'il y a trente ans en raison d'un excédent structurel d'épargne, lié notamment au vieillissement de la population et à l'augmentation des inégalités.
Enfin, dernier élément de contexte, les taux étant déjà à leur niveau plancher, l'efficacité de la politique monétaire pour soutenir l'activité atteint ses limites, d'autant que le retour de l'inflation pourrait conduire la BCE à la resserrer. Ce changement de contexte, ainsi que l'efficacité des mesures budgétaires prises pendant la crise, conduisent à réévaluer l'importance et l'efficacité de la politique budgétaire. En France, le plan de relance et la stratégie France 2030 doivent nous permettre de construire l'économie de demain.
Ce bilan des règles actuelles étant dressé, que peut-on faire ? De nombreux économistes se sont penchés sur la question, je vous renvoie à mon rapport écrit pour une présentation des propositions qui m'ont paru les plus significatives. Ces propositions vont, pour la plus audacieuse, jusqu'à la suppression des critères numériques pour les remplacer par des « standards », les États membres garantissant que leurs dettes publiques demeurent soutenables avec un haut niveau de probabilité. Je mentionne cette proposition en raison de la renommée de son auteur, Olivier Blanchard, mais il est peu probable qu'elle prospère et j'estime en outre qu'elle soulèverait de nombreuses difficultés. Les autres propositions, qui émanent notamment du Comité budgétaire européen, du Conseil d'analyse économique, d'économistes œuvrant au sein du Mécanisme européen de stabilité ou de Bruegel apportent des réponses différentes aux défis auxquels le pacte est confronté. Je vais m'efforcer de les synthétiser.
Pour ce qui concerne la simplification de l'architecture générale du pacte, un certain consensus des experts semble se dessiner pour privilégier un objectif principal – la soutenabilité de la dette, qui passe par la définition d'une cible et d'une trajectoire –, une règle opérationnelle prenant la forme d'une norme d'évolution des dépenses publiques, et une clause dérogatoire s'appuyant sur une analyse économique indépendante, comme par exemple le Haut Conseil aux finances publiques en France.
La règle en dépenses présente l'avantage d'être observable, contrairement au déficit structurel et à l'écart de production, maîtrisée par les autorités nationales, visible dans la loi de finances annuelle, compréhensible par le grand public et naturellement contracyclique par l'action des stabilisateurs automatiques. La plupart des propositions excluraient les dépenses de chômage de la norme de dépenses. En outre, les baisses conjoncturelles de recettes ne nécessiteraient pas de réduction compensatrice des dépenses ; à l'inverse, des augmentations conjoncturelles de recettes ne permettraient pas de relâcher l'effort sur les dépenses, ce qui favoriserait la reconstitution de marges budgétaires en période de croissance. La règle en dépenses ne permettrait toutefois pas de s'exonérer complètement des variables non observables, puisque la définition de la norme se ferait en référence à la croissance potentielle.
Le cœur du problème est la définition des cibles et trajectoires en matière de dette pour que les États les plus endettés réduisent leur dette, mais à un rythme raisonnable. La règle actuelle, avec un objectif de 60 % et un rythme de 1/20e par an, n'est pas soutenable, tout le monde en est bien conscient. Il faut garder à l'esprit le fait que toute évolution, qu'elle passe par une révision du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, peu probable, du protocole n° 12 ou de la législation secondaire, nécessite l'unanimité des États membres. La Commission semble également considérer que beaucoup pourrait être fait par voie d'interprétation des règles actuelles, mais cela suppose un minimum de consensus entre États membres. Les trois grandes hypothèses portent sur la fixation de cibles de dette différentes selon la situation des États membres, une augmentation du plafond pour tous les États membres à 80 ou 100 % pour tenir compte à la fois du niveau moyen des dettes dans l'Union et de la baisse de la charge de la dette, ou le maintien de la règle des 60 %, mais avec des trajectoires différenciées et éventuellement comme objectif de très long terme. Compte tenu de la diversité des situations des États membres, il me paraît extrêmement difficile de conserver des règles identiques pour tous. Si le principe d'une individualisation des trajectoires est accepté, le débat portera ensuite sur la manière de définir ces trajectoires et les rôles respectifs des États membres, des institutions européennes – Commission et Conseil – et des institutions budgétaires indépendantes, européennes ou nationales. L'individualisation des trajectoires contribuerait grandement à l'appropriation nationale des règles, qui fait défaut aujourd'hui.
La quadrature du cercle constituera à allier assainissement des finances publiques et investissements, en particulier pour les transitions vertes et numériques. Nous savons que les besoins d'investissements publics seront massifs pendant des décennies. Certains considèrent que c'est finalement à chaque État membre de dégager les moyens nécessaires en respectant la trajectoire de la réduction de la dette qui lui est assignée. D'autres promeuvent des mécanismes plus incitatifs, qui passent par une règle d'or exonérant certaines dépenses du respect des règles, une augmentation des dépenses d'investissement au niveau européen, qui soulagerait d'autant les budgets nationaux, ou une modulation du rythme de réduction de la dette en fonction de la nature de dépenses.
Enfin, le débat entre les États membres portera à n'en pas douter sur l'équilibre entre automaticité des règles, au risque de la rigidité, et marges d'appréciation de la Commission, au risque d'une moindre transparence et d'une moindre applicabilité.
Comme vous le voyez au terme de ce panorama que j'ai voulu très synthétique, les sujets de discussion ne manqueront pas. Il me paraît nécessaire d'aborder le débat avec méthode et humilité, la France n'ayant pas particulièrement brillé par son respect scrupuleux des règles communes jusqu'ici, ce qui l'empêche de faire des propositions trop audacieuses.
La démarche proposée par le président de la République me paraît la bonne : il est nécessaire que les États membres se mettent d'accord sur les défis à relever avant de discuter de la modification des règles. Il serait contre-productif de partir en guerre sabre au clair contre la règle de 60 %, au risque de brusquer nos partenaires et notamment les pays les plus attachés aux règles budgétaires. Engageons-nous d'abord à assainir nos finances publiques grâce à des réformes adaptées, partageons le constat de la grande hétérogénéité des situations des États membres et des défis à relever pour améliorer la croissance dans les prochaines années, et tous les travaux d'économistes menés jusqu'ici pourront servir de base à la construction de règles plus simples et plus efficaces. Si la réforme ne devait pas être adoptée à temps pour 2023, je ne doute pas qu'un consensus pourra être trouvé pour qu'une interprétation souple des règles actuelles permette d'assurer la transition vers un régime plus pérenne.