Intervention de Bernard Deflesselles

Réunion du mercredi 16 février 2022 à 15h20
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Deflesselles, rapporteur :

Comme souvent, l'Union européenne est très forte pour mettre en place des normes, mais elle a du mal à les insérer dans une stratégie globale incluant des outils de politique industrielle. Or l'aéronautique est par nature un secteur où il faut voir loin et aider le secteur privé à réaliser les bons investissements.

Le rapport formule plusieurs recommandations précises pour mettre en place une politique industrielle forte, portant à la fois sur les carburants durables et sur le futur avion à hydrogène.

Pour ce qui est des carburants, le problème structurel est l'écart de prix entre les carburants durables et le kérosène classique. Les écarts de prix sont amenés à diminuer à mesure que la filière se développera, mais au début il faudra bien aider financièrement le secteur. C'est ce que néglige la Commission européenne, et c'est pour cela qu'elle est obligée de fixer des objectifs de court terme peu ambitieux. Vous l'aurez compris, ceci arrive car la Commission ne structure pas vraiment une filière. Cette structuration doit être faite avec force et si nous mettons en place une transformation robuste, nous serons capables de réduire les coûts.

Les États-Unis l'ont bien compris : aux États-Unis, Joe Biden a instauré un crédit d'impôt de 1,50 $ par gallon au profit des compagnies aériennes qui achètent des SAF. Il s'agit d'un dispositif de soutien à la demande qui compense en partie les écarts de prix.

De notre côté, nous défendons un soutien partiel aux compagnies aériennes, qui pourrait être alimenté par le Fonds d'innovation du système ETS ou par le fonds InvestEU. Mais nous défendons surtout un mécanisme de soutien à l'offre, c'est-à-dire aux producteurs de carburants durables. Cela permettra de choisir précisément quel type de carburant on subventionne, avec un double intérêt : accorder un soutien plus fort aux filières plus exigeantes, plus durables et plus coûteuses, comme les carburants synthétiques et aider plus spécialement les producteurs européens.

L'enjeu pour l'Europe n'est pas seulement d'atteindre la cible de 63 % en 2050. Il s'agit d'abord d'un enjeu économique et stratégique.

En effet la production de SAF est actuellement très limitée, et elle se fait surtout en dehors de l'Europe. Si l'Europe ne produit pas ses propres carburants tout en imposant aux aéroports d'en acheter, elle va devoir en importer de Chine ou d'Indonésie. Bref, si le mandat d'incorporation n'a pas de contrepartie industrielle, l'Union européenne va doublement nuire à sa compétitivité : en pénalisant ses compagnies aériennes, et en créant de l'emploi ailleurs !

Les carburants durables sont donc une formidable opportunité de création d'emplois : aujourd'hui, l'Europe se contente de raffiner du pétrole ; bientôt, elle pourra produire elle-même son propre carburant et même en exporter. Il s'agit aussi d'un enjeu d'autonomie stratégique : si on crée suffisamment pour couvrir nos propres besoins, on ne sera plus dépendant des pays producteurs de pétrole.

L'enjeu est donc de créer en Europe une filière de carburants durables répondant aux besoins quantitatifs et qualitatifs fixés par la trajectoire d'incorporation.

Pour cela, il faudrait doter l'« alliance industrielle pour les carburants renouvelables et bas carbone » en cours de création au niveau européen d'un pilier spécifique à l'aviation. Cela permettra d'allouer les carburants durables en priorité au secteur aéronautique, puisque les autres modes de transport (terrestres, maritimes) peuvent plus facilement avoir recours à l'électricité ou à l'hydrogène.

Il faudrait aussi adapter les lignes directrices sur les aides d'État pour autoriser les aides nationales aux producteurs de SAF satisfaisant à certaines exigences.

Enfin, il est essentiel que l'Europe se dote de sa propre capacité de certification de carburants durables – comme le Royaume-Uni – alors que nous dépendons aujourd'hui d'un organisme de certification américain qui sert d'une certaine façon les intérêts de l'industrie américaine. Si nous mettons en place de nouvelles normes de carburants durables répondant à des critères très stricts, nous donnerons un avantage compétitif aux producteurs qui les respectent, et ces producteurs seront majoritairement européens.

Pour ce qui est de l'avion à hydrogène, la Commission européenne est en train de mettre en place une « alliance industrielle pour un avion à zéro émission », qui portera sur l'avion à hydrogène et dans une moindre mesure sur l'avion électrique.

L'alliance aura d'abord un rôle d'analyse, de coordination et de travail réglementaire. Elle pourra être très utile pour convaincre les aéroports et les compagnies aériennes, faciliter la mise en place des infrastructures à hydrogène et contribuer à l'élaboration des futures normes. En revanche, comme toutes les « alliances industrielles », elle n'apportera pas de financements.

Le rapport ne demande pas forcément de renforcer les financements européens dédiés à l'aéronautique. Nous sommes pragmatiques : ce secteur ne concerne en réalité que quelques États membres, les trois pays d'implantation d'Airbus bien sûr (France, Espagne, Allemagne) et de manière secondaire la Suède et l'Italie. L'Union européenne ne doit pas financer directement, mais elle doit autoriser de manière plus souple les aides nationales hors contexte de pandémie.

À cet égard, le « projet important d'intérêt européen commun » (PIIEC) sur l'hydrogène, qui va être officialisé dans un mois ou deux, sera un cadre de financement prometteur, même s'il n'est pas spécialisé dans les applications aéronautiques. Ce PIIEC va permettre d'autoriser des aides d'État en faveur de projets concourant au développement de l'hydrogène. Le PIIEC hydrogène va comporter deux volets : un volet technologique et un volet industriel.

En l'état, le PIIEC n'est pas conçu pour financer les infrastructures à hydrogène, mais l'Allemagne va essayer de faire entrer dans ce cadre son projet d'écosystème hydrogène centré sur l'aéroport de Hambourg. Nous demandons à la Commission européenne d'accepter ce projet et de créer un troisième volet « infrastructures » au sein du futur PIIEC hydrogène pour aider les aéroports à accueillir l'avion à hydrogène quand il sera prêt.

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