Enfin, dernière mission sur laquelle nous nous sommes penchées : EUTM RCA.
EUTM RCA a été lancée en 2016 dans un triple objectif :
– le conseil stratégique au ministère de la défense, à l'état-major et à la présidence de la république
– l'enseignement aux officiers et sous-officiers ;
– la formation des forces armées.
De l'avis général, la mission EUTM RCA est un échec. La situation sécuritaire du pays s'est continuellement dégradée depuis son lancement sans que les forces armées qu'elle a contribué à former ne puissent s'y opposer.
Aujourd'hui, le pays est plus instable que jamais et un nouveau facteur pèse sur l'équation sécuritaire : la présence massive dans le pays des mercenaires du groupe Wagner, à l'invitation du président Touadéra. Ceux-ci ont progressivement pris la place d'EUTM RCA dans la formation des soldats qu'ils équipent et accompagnent au combat, tout en assurant la sécurité du président de la République qu'ils conseillent également en matière militaire. En échange, le groupe Wagner exerce une emprise de plus en plus forte sur d'autres segments de l'administration, comme les douanes, et met en œuvre des pratiques de prédation sur les ressources minières du pays, tout en commettant de nombreuses exactions.
Dans ces conditions, le pilier « formation » de la mission EUTM RCA a été suspendu le 15 décembre 2021, les deux autres piliers étant en revanche maintenus mais dans des conditions insatisfaisantes. La question de la fin de cette mission doit être posée très clairement et le sera prochainement au sein du COPS.
Ces résultats très contrastés ont mis en lumière qu'outre les faiblesses du cadre juridique et opérationnel déjà évoquées, c'est le contenu même des missions EUTM qui posent en réalité problème. Nous avons identifié trois problèmes :
Premier problème : il est interdit aux formateurs européens d'accompagner les soldats qu'ils ont formés dans les zones de combat et d'être présents à leurs côtés en opération. En d'autres termes, notamment en RCA, ils sont dans l'incapacité d'évaluer leur comportement au combat et les recrues ne peuvent, dans ces moments cruciaux, compter sur le soutien de ces soldats expérimentés, si bien que dans de nombreux cas, une fois envoyés au front, ils désertent, commettent des exactions ou sont pris en charge par Wagner dont les mercenaires n'ont pas les mêmes contraintes.
Deuxième problème : les missions de formation exigent, sinon une expérience africaine, au moins une bonne connaissance de la langue, en particulier pour le conseil stratégique. Or, ce n'est pas toujours le cas. Nombreux sont les commandants envoyés sur le terrain qui n'avaient aucune expérience de l'Afrique, de même pour les formateurs qui ne parlaient pas la langue du pays.
À ce manque de compétence s'ajoute la durée limitée du déploiement sur le terrain. Certes, compte tenu de l'éloignement et de l'instabilité des pays concernés, six mois est déjà une durée suffisamment longue qui met à l'épreuve les hommes et les familles. Il n'en reste pas moins qu'elle apparaît trop courte pour que des liens personnels se créent entre les formateurs et leurs recrues et, plus encore, entre les conseillers et les dirigeants militaires et politiques. Le conseil stratégique, plus encore que la formation, exige une confiance que seule le temps peut apporter.
Les missions militaires pâtissent enfin d'un défaut de coordination avec les missions civiles et, plus généralement, avec l'action de l'Union européenne dans les pays concernés mis en œuvre par ses délégations (DUE). Ainsi, missions militaires, missions civiles et DUE fonctionnent-elles « en silo », chacune poursuivant ses objectifs sans tenir compte des besoins des autres. Par exemple, il n'est souvent pas possible, pour une mission militaire, d'obtenir que l'aide au développement investie dans le pays finance la construction d'une caserne, d'une piste d'atterrissage ou d'une route susceptibles d'être utilisées par les militaires. Non seulement les DUE ont leur propre agenda mais elles ont conservé, comme les institutions européennes d'une manière générale, leur méfiance traditionnelle vis-à-vis d'un domaine militaire qu'elles connaissent mal.
Enfin, troisième et peut-être plus gros problème, jusqu'à une période récente, l'Union européenne avait l'interdiction de fournir aux forces armées qu'elle formait les équipements dont elles ont besoin, à la fois pour leur formation, leur entraînement et, au-delà, leurs opérations sur le terrain. Les conséquences étaient très négatives :
– les soldats ne se forment pas toujours sur des armes réelles, ce qui nuit à l'efficacité de leur formation et, lorsqu'ils en disposent, fournies en bilatéral par les États-membres, ce ne sont pas forcément celles dont ils disposeront au combat, nuisant ainsi à leur efficacité sut le terrain ;
– cette efficacité sur le terrain est encore plus limitée si, comme c'est le cas, les armées concernées ne disposent pas d'armes ni de munitions en quantité suffisante, de moyens de transport, de carburant ou de casernes, parfois même pas d'uniformes ou de chaussures ;
– sur le plan politique, ne pouvant fournir d'équipements ni pour la formation, ni pour le combat, l'offre européenne apparaît moins compétitive que celle d'autres pays tels que la Chine, la Turquie ou la Russie, qui n'ayant pas les limites de l'Union européenne, sont en mesure de satisfaire à l'ensemble des besoins des pays concernés, en formation comme en équipement. Ce manque de compétitivité de l'offre européenne, incapable de répondre aux besoins des autorités maliennes et centrafricaines, a incontestablement contribué à l'arrivée du groupe Wagner dans ces pays.