Intervention de Francis Delon

Réunion du mercredi 12 mai 2021 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Francis Delon, président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement :

Le dispositif proposé pour les échanges entre services est-il trop lourd ? La loi de 2015 avait fixé le principe que les services peuvent échanger des renseignements mais qu'un décret en Conseil d'État préciserait les conditions de cet échange, sans toutefois rien dire ni de ses modalités ni de ses limites. Le décret en Conseil d'État n'a cependant jamais été pris. Le projet de loi précise désormais un cadre juridique. Le principe est que les services échangent entre eux sans qu'une autorisation préalable donnée par le Premier ministre après avis de la CNCTR soit nécessaire, si ce n'est dans les deux cas que je vais expliciter.

Si un service de renseignement est, par exemple, autorisé à surveiller quelqu'un au titre de la prévention du terrorisme, il n'est pas autorisé à rechercher des renseignements relatifs à la criminalité organisée – car la prévention du terrorisme et la prévention de la criminalité organisée sont des finalités distinctes, et le Conseil constitutionnel, dans sa décision de 2015, a défini précisément de quoi il s'agit. Si ce service découvre des informations relatives à l'autre finalité, ce qui peut arriver, il ne lui sera pas interdit de les utiliser et le texte lui permet de le faire, mais il devra nous rendre compte pour que nous puissions contrôler a posteriori que le service considéré n'a pas interprété la loi à sa manière. S'il veut partager des renseignements liés à cette autre finalité avec un autre service, il devra être autorisé à le faire par le Premier ministre après avis de la CNCTR.

D'autre part, si un service de renseignement du premier cercle a utilisé une des techniques très pointues auxquelles ces seuls services ont accès et qu'il veut partager les renseignements obtenus avec un service du deuxième cercle, il lui faudra également une autorisation du Premier ministre après avis de la CNCTR. Le délai d'examen par la CNCTR est de 24 heures. C'est très court, et l'on tiendra compte des urgences particulières, soyez-en assurés. Notre intention n'est pas de créer une usine à gaz et d'être encombrés par des demandes futiles relatives à des échanges légitimes.

Sans même parler de 2020, année particulière en raison de la pandémie, les demandes de techniques relatives aux données de connexion constituent une part importante de l'ensemble des demandes formulées par les services de renseignement. C'est qu'ils peuvent ainsi, sans engager de moyens sur le terrain, faire appel au GIC, lequel interroge les opérateurs pour avoir les relevés de l'« environnement électronique » des personnes qu'ils veulent surveiller. L'augmentation du recours aux données de connexion est continue depuis 2015 et la tendance restera celle-là.

Certaines techniques de renseignement sont soumises à contingentement. Il en est ainsi, en particulier, du recueil de données de connexion par IMSI-catchers. Le nombre de techniques de cette nature pouvant être mises en œuvre simultanément a été augmenté de 60 à 100 en 2020. Le total reste néanmoins limité, et le tableau récapitulatif qui figure en page 34 du rapport d'activité de la CNCTR montre une utilisation elle aussi limitée au fil des ans : 254 recueils de données de connexion par IMSI-catchers en 2016, 277 en 2017, 272 en 2018, 288 en 2019 et 311 en 2020. Pour des raisons que je ne peux détailler, il nous a paru légitime d'autoriser une augmentation du nombre d'IMSI-catchers, et cinq ont été alloués au ministère de la justice pour le service national du renseignement pénitentiaire, désormais autorisé à utiliser cette technique mais qui n'avait pas cette compétence lorsque le précédent contingent a été fixé.

Sur l'arrêt Tele2, je ne connais que la position de la Cour constitutionnelle belge, qui a jugé que la loi nationale belge devait être révisée, ce qui ne signifie pas que la Belgique appliquera tout ce qu'a dit la CJUE. C'est la seule indication dont je dispose ; le Quai d'Orsay pourra, le cas échéant, vous indiquer la position des autres États de l'Union.

Trois algorithmes prévus à l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure fonctionnent actuellement, sur lesquels nous n'avons bien entendu donné un avis favorable qu'après avoir vérifié leur code-source, sans nous contenter des explications littéraires données à leur sujet. L'utilisation de Palantir par la DGSI est un tout autre sujet.

Le projet de loi prévoit que si la CNCTR donne un avis défavorable et que le Premier ministre décide de passer outre, nous devons saisir immédiatement le Conseil d'État, dont la formation spécialisée en renseignement, qui a accès au secret-défense, statue dans un délai de 24 heures. Le Premier ministre ne peut invoquer l'urgence lorsqu'il s'agit précisément de l'autorisation de l'algorithme, non plus que lorsque la demande d'utilisation d'une technique de renseignement concerne un parlementaire, un journaliste, un avocat ou un magistrat : il est normal que si un différend se présente entre la CNCTR et le Premier ministre, ce soit le juge qui tranche et que le Premier ministre ne puisse mettre en œuvre la technique demandée sans attendre la décision du Conseil d'État. Quelques restrictions concernent aussi certaines techniques très intrusives. L'urgence ne peut être invoquée que pour certaines finalités. Dans les autres cas, le Premier ministre autorisera le service à mettre en œuvre la technique demandée et le Conseil d'État statuera. S'il valide la décision du Premier ministre, la surveillance continuera au moyen de la technique demandée ; si le Conseil d'État annule la décision du Premier ministre, l'opération sera arrêtée et tout ce qui a été recueilli sera détruit. Tel est le dispositif.

Nous avons reçu 80 000 demandes en 2020, et 21 000 personnes ont été surveillées. L'écart entre les deux nombres s'explique par le fait qu'une même personne peut faire l'objet d'une surveillance par plusieurs techniques de renseignement, et nous contrôlons chacune des 80 000 demandes.

Enfin, la loi ne prévoit de contrôle par la CNCTR que si la technique de surveillance est mise en œuvre sur le territoire national, et la DRM investigue pour l'essentiel à l'étranger ; la question est donc d'ordre juridique.

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