La frustration et l'agacement de beaucoup de réservistes est à l'origine de cette mission d'information. Comme en témoignent toutes les enquêtes réalisées sur les motivations des réservistes, ceux-ci rejoignent les réserves non pour avoir un complément de revenu mais pour « servir », autrement dit « être utile ».
Cette frustration trouve son origine dans la contraction de la ressource budgétaire, qui frappe surtout les réserves de la gendarmerie et de la police nationales, mais aussi dans une concentration des jours d'activité sur les réservistes les plus disponibles et les plus employables, bien souvent les anciens professionnels, au détriment des jeunes volontaires ab initio. Pour les armées, la gendarmerie ou la police, les avantages liés à l'emploi de ces anciens professionnels sont considérables : proximité culturelle, disponibilité, employabilité immédiate… Ils « coûtent » en revanche « plus cher » et consomment la majeure partie du budget, faisant de surcroît tendre vers un recrutement endogame contraire à l'esprit de la réserve. Cette frustration des jeunes ab initio a d'ailleurs aussi son pendant chez les réservistes les plus gradés. Par exemple, plusieurs officiers de réserve nous ont fait remarquer qu'ils étaient de moins en moins employés à mesure qu'ils avançaient dans la carrière.
Comme l'ont signalé beaucoup de réservistes militaires, les mesures d'attractivité prises sous l'égide de la Garde nationale ont complètement manqué leur cible puisqu'elles ont été financées sur le budget d'activité des réserves militaires.
De manière générale, nous constatons une inadéquation manifeste entre les budgets alloués à la réserve et les objectifs fixés en termes de recrutement, d'une part, et d'emploi, d'autre part. Dans les armées, la hausse du budget des réserves à partir de 2016 s'est d'abord traduite par une augmentation du nombre de jours d'activité, faute d'avoir encore atteint les cibles de recrutement fixées par le Gouvernement puis inscrites dans la LPM. Par la suite, la poursuite des objectifs de recrutement a obligé les gestionnaires à réduire l'activité, avec un effet désastreux sur le moral et la fidélisation des réservistes. Pour le général Lalubin, délégué interarmées aux réserves, le respect rigoureux des crédits qui prévaut actuellement est perçu comme « contraignant » puisque ce budget semble tout juste calibré pour les nouveaux effectifs de la réserve opérationnelle. Les aléas infligés au budget de la réserve de la gendarmerie nationale créent aussi une situation de sous-emploi chronique. Enfin, beaucoup de réservistes ont été très frustrés et déçus de n'être pas davantage employés pendant la crise sanitaire. Même si les chefs d'état-major comme les responsables de la réserve sanitaire ont rivalisé de pédagogie pour expliquer pourquoi les réserves n'avaient pu être davantage employées, il est certain que l'emploi d'un vocabulaire martial par le président de la République au soir du 16 mars 2020 a résonné comme le son du tocsin et suscité un élan massif. Cet élan s'est brisé sur l'écueil des nombreux malentendus qui entourent les réserves, sur un recours somme toute limité aux armées dans la gestion de la crise et sur l'incapacité des pouvoirs publics à accueillir un afflux de nouveaux volontaires sans intermédiation. L'offre de services de beaucoup de réservistes « civiques » est ainsi restée sans réponse jusqu'à ce qu'ils rejoignent des associations.