Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Réunion du mardi 11 décembre 2018 à 17h00
Commission des affaires économiques

Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Mme Marie Lebec a évoqué la nécessaire pédagogie. Les accords peuvent être négociés et aboutis mais, pour qu'ils ne restent pas des tigres de papier, si je puis dire, il est capital en effet que tout l'écosystème des territoires, entreprises, chambres de commerce, partenaires sociaux, en aient connaissance et les partagent avec leurs adhérents. Tout le monde se donne beaucoup de mal pour ouvrir des opportunités, des possibilités d'exportation, mais elles restent insuffisamment connues. L'entrée en vigueur provisoire du CETA depuis un an est précisément l'occasion d'un grand nombre de réunions, souvent territoriales. Je sais, Madame Marie Lebec, que vous en avez organisées dans les Yvelines. Cela permet de faire la pédagogie de l'accord, de montrer tout ce qui peut en être tiré.

Le message d'alerte sur le Mercosur est bien pris en considération. Le Président de la République a dit les choses très clairement à Buenos Aires, lors du dernier G20, considérant que les équilibres n'étaient pas atteints et que nous avions un certain nombre de lignes rouges, notamment en matière agricole. La France a été et reste très vigilante et déterminée. J'aurai l'occasion d'y revenir.

Les accords de libre-échange peuvent susciter des craintes dans certains secteurs mais ce sont également des opportunités. Ainsi, le Japon représente des débouchés considérables pour le bœuf et le porc européens. Les accords de libre-échange ne sont pas seulement une ouverture aux importations : ils facilitent aussi les exportations. D'ailleurs, le secteur agroalimentaire profite à plein du CETA. Nos fromagers et laitiers ont saturé leurs quotas à hauteur de 95 ou 96 %, alors qu'à l'inverse les producteurs de bœuf canadiens n'ont utilisé que 1 % de leurs quotas : 500 tonnes sur un droit de 45 000 tonnes.

M. Daniel Fasquelle a évoqué une concurrence déloyale potentielle pour les agriculteurs. Sachez que la France s'est battue pour que les concessions obtenues auparavant dans d'autres accords soient prises en considération dans les nouveaux accords ; tel n'était pas le cas jusque-là. C'est dans le cadre des mandats de négociation avec l'Australie et la Nouvelle‑Zélande que nous avons obtenu cette référence aux concessions passées. C'est un pas important, la Commission européenne ayant longtemps fait la sourde oreille. Nous avons là un précédent qui sera utile pour défendre nos agriculteurs.

S'agissant de la ratification du CETA, notre Constitution prévoit une étude d'impact pour accompagner le projet de loi et c'est heureux. Compte tenu des attentes exprimées par le Parlement, et afin que vous ayez une connaissance très fine des impacts, car certaines études, on en a vu, peuvent être très légères, nous souhaitons recourir à une expertise externe du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), complétée par un travail des différentes inspections générales. Nous n'esquivons pas le débat, il aura lieu. Les sujets de politique commerciale et d'environnement seront en outre au cœur des débats pendant la campagne pour les élections européennes. Nous souhaitons fournir au Parlement un projet de loi de ratification qui soit digne de ce nom.

S'agissant du Brexit, je m'en tiendrai aux propos de Mme Nathalie Loiseau, qui est directement en charge du dossier, ce matin, en marge du Conseil. Elle rappelait qu'il n'y a qu'un seul bon accord, celui qui a été atteint. Les chefs d'État et de Gouvernement en discuteront jeudi prochain à Bruxelles ; nous en saurons plus à ce moment-là. Quoi qu'il en soit, le Parlement délibère du projet de loi permettant au Gouvernement de prendre par ordonnances toutes les mesures qui s'imposent en cas de Brexit « dur », une perspective que l'on ne peut plus écarter.

Vous avez parlé d'une fuite en avant en matière d'accords commerciaux. Je crois qu'il faut à la fois repenser cette politique commerciale – des efforts ont été consentis, depuis cinq ou six ans, dans la méthodologie de la Commission européenne – et peser sur la négociation pour obtenir des progrès. En raison du retrait américain, l'Union européenne est attractive pour de nombreuses zones du globe. Les États-Unis ne se sont pas joints à l'accord trans-Pacifique ; or cette zone cherche des complémentarités et nous avons tout intérêt à nous positionner car la croissance, en ce moment, est précisément en Asie du Sud-Est.

Le pacte de Marrakech nous éloigne un peu de la politique commerciale. La lecture des quarante et une pages du document montre qu'il n'est ni plus, ni moins qu'une boîte à outils ; ce n'est pas un texte qui nous lie. C'est l'occasion de réaffirmer une responsabilité partagée entre les États de destination, les États de transit et les États d'origine. Si nous progressons dans la délivrance des laissez-passer consulaires, c'est parce qu'un tel travail a été conduit avec les États d'origine. Le pacte ne mérite ni excès d'honneur, ni excès d'indignité. C'est un cadre de travail et il appartient aux États de s'en saisir pour conduire eux‑mêmes des travaux. Entre l'Union européenne et les pays d'Afrique du nord et d'Afrique de l'ouest, il existe le processus dit de Rabat, qui permet de réguler, de prendre des mesures. La France en prendra la présidence au mois de mai prochain. Nous souhaitons traiter le défi migratoire à la racine. C'est le sens de notre réengagement en matière d'aide publique au développement (APD) – la France a décuplé son engagement dans le partenariat mondial pour l'éducation, notamment des jeunes filles – et de notre soutien à la création d'autoentreprises. Il faut tenter de diminuer le nombre de ceux qui sont contraints de prendre les routes de la nécessité en améliorant leurs conditions de vie.

M. Vincent Bru a évoqué la contribution française à la réforme de l'OMC. Le Président de la République est très clairement moteur dans ce processus. Lors de la dernière réunion ministérielle de l'OCDE, au mois de mai dernier, il a proposé une feuille de route à laquelle se sont ralliées de nombreuses parties prenantes. Ce fut le début d'une dynamique, car l'Union européenne a endossé ce programme un mois plus tard, lors du Conseil européen. C'est pourquoi nous souscrivons en tous points aux propositions actuelles de réforme de l'organe de règlement des différends et au renforcement de la capacité à légiférer.

Quant à l'avenir du multilatéralisme, il faut reconnaître que rien n'est jamais acquis. Il a fallu des décennies pour construire patiemment et laborieusement ce mécanisme mais on constate qu'il peut s'écrouler comme un château de cartes, et en tout cas beaucoup plus vite qu'il n'a fallu de temps pour le bâtir. Tout le monde a donc une responsabilité éminente dans le maintien du système. À cet égard, observons que, nonobstant les foucades occasionnelles du partenaire américain, il a adhéré au communiqué lors du conseil des ministres du commerce du G20, puis à cette feuille de route, il y a quelques jours lors du G20 de Buenos Aires. Cela nous donne un bon signal. Maintenant, il reste à continuer.

M. Serge Letchimy a fait notamment allusion à l'impact, pour les outre-mer, des accords commerciaux. Lorsque nous nous exprimons au conseil des ministres du commerce, nous rappelons ces enjeux. C'est ainsi que nous avons obtenu, s'agissant du Mercosur, l'exclusion des sucres spéciaux du mandat et du champ de la négociation. C'était important. S'agissant d'un nouveau mandat, à savoir celui qui concerne les négociations avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande, nous y avons fait inscrire noir sur blanc la prise en compte des intérêts spécifiques des territoires d'outre-mer, en raison du voisinage de la Nouvelle-Calédonie. Nous sommes donc systématiquement parvenus à faire reconnaître ces situations.

Concernant la ratification du CETA, dès que l'étude d'impact sera suffisamment solide pour vous être présentée, nous comptons vous la soumettre. Madame Sophie Auconie, vous évoquiez les chiffres. Ceux dont je dispose font apparaître que les exportations de l'UE vers le Canada ont augmenté de 7 % sur la période d'octobre 2017 à juin 2018. Je crois que certains d'entre vous ont rencontré la ministre des relations internationales du Québec. Eh bien, sur la partie de nos échanges avec la province du Québec, on voit que les importations de France ont augmenté de 9 %, alors que les Québécois eux-mêmes ont davantage exporté, à hauteur de plus de 3 %. Ainsi, on voit qu'il y a globalement une bonne dynamique et, au-delà de l'aspect purement commercial, je note que cela conforte les relations entre secteurs économiques.

J'ai en tête le secteur aéronautique : le partenariat qu'a noué Airbus avec Bombardier pour des appareils de 100 à 150 places, les fameux C-Series, a eu des impacts positifs. Ainsi, une PME des Pyrénées-Atlantiques, le groupe Lauak, s'est alliée avec des sous-traitants de Bombardier… Nos efforts produisent donc, cher M. Vincent Bru, des effets positifs dans votre circonscription. Au-delà même des purs aspects d'import-export, c'est la chaîne de valeur qui est concernée, de façon globale.

Quant à la capacité à réguler des États, elle est intacte ! D'ailleurs, à la suite du rapport Schubert sur le CETA qui préconisait la mise en place d'un veto climatique, nous avons, auprès de la Commission européenne et auprès des Canadiens, poussé à l'adoption d'une telle clause interprétative. Ainsi, l'organe prévu pour régler les différends ne pourra pas être détourné par une entreprise pour remettre en cause des législations nationales. Cela fait l'objet d'un accord de la Commission européenne et d'un accord des Canadiens.

Oui, Madame Mathilde Panot, le libre-échange, c'est le monde d'hier ! Il faut entrer dans une nouvelle dimension, qui prenne en compte les volets social et environnemental. Les modèles classiques sont d'ores et déjà dépassés mais il y a déjà eu des adaptations lors des derniers accords. La prise en compte du principe de précaution et la prise en compte des accords de Paris vont ainsi dans le bon sens.

S'agissant de la consultation des parlements, dès lors que les accords ne sont pas mixtes, il est effectivement capital que, dès l'amont, c'est-à-dire dès le mandat de négociation, vous soyez amenés à vous exprimer – et même à vous prononcer. Le Sénat, par exemple, il y a quelques mois, quand le mandat relatif à l'Australie et à la Nouvelle-Zélande était en discussion, a adopté une proposition de résolution à ce sujet. Cela nous fournit une boussole intéressante lorsque nous allons à Bruxelles. Nous pouvons ainsi nous appuyer sur les travaux que vous avez conduits. Nous sommes donc naturellement très ouverts au fait de pouvoir travailler avec vous sur ce type de dispositifs en amont.

M. André Chassaigne évoquait l'agriculture comme monnaie d'échange. Permettez‑moi de redire que, dans le cadre des négociations avec le Mercosur, nous avons montré qu'il n'était pas question de faire du troc de ce point de vue-là ! En décembre dernier, à Buenos Aires, en marge de la réunion ministérielle de l'OMC, se tenait un round de négociations avec le Mercosur. J'y représentais la France ; ma feuille de route, délivrée par le Président de la République, était de ne rien lâcher. Nous avons donc réactivé une coalition de douze États membres de l'Union européenne qui partageaient les mêmes sensibilités que nous en matière agricole. Certains caressaient l'idée qu'un accord politique soit atteint, mais il est ainsi apparu que les sujets agricoles n'étaient pas mûrs, en termes de garanties pour le consommateur et de traçabilité – il y a eu des scandales au Brésil, impliquant de la corruption. Nous devons être intraitables sur cet aspect, tout comme sur la défense de nos filières elles-mêmes.

S'agissant des produits agroalimentaires, tous les accords qui ont été signés en Asie font apparaître des opportunités considérables pour nos viandes. Je pense au Japon, à la Corée, à Singapour, au Vietnam… Il est donc important que nos filières continuent de travailler ces marchés avec ardeur. FranceAgriMer y travaille avec le fédérateur de la filière.

M. François-Michel Lambert évoquait nos banques, qui subventionneraient des énergies fossiles. Nous avons assigné à l'Agence française de développement (AFD) un objectif très clair : 100 % de co-bénéfice climat. Cela signifie qu'il ne peut y avoir ni prêts, ni aides accordés à des projets de type centrales à charbon, par exemple, car c'est contraire à nos propres engagements internationaux. Nous avons donc fait en sorte que notre aide au développement soit en cohérence avec ceux-ci.

Sur la déforestation, nous avons mis en œuvre une stratégie. Elle a été annoncée par M. François de Rugy il y a quelques semaines. Il s'agit de travailler avec les différents États concernés sur des labellisations, de sorte qu'un certain nombre de progrès soient faits.

Concernant l'Iran, nous sommes confrontés, là encore, à l'exercice de l'unilatéralisme américain. Les États-Unis se retirent de l'accord sur le nucléaire iranien, dont nous considérons qu'il a produit des effets, au sens où il a évité la prolifération – fait contrôlé et vérifiable. Eu égard à la souveraineté nationale et européenne, nous devons parvenir à mettre en place des outils permettant aux entreprises qui le souhaitent de poursuivre leurs activités là-bas ; des PME françaises y sont exposées à hauteur de 20 % ou 30 % de leur chiffre d'affaires. Des travaux sont en cours à Bruxelles, qui visent à instaurer un Special Purpose Vehicle, c'est-à-dire un outil de financement qui agirait comme une sorte de chambre de compensation pour maintenir les flux commerciaux. C'est important non seulement pour un certain nombre d'entreprises, mais aussi pour garder l'Iran arrimé à cet accord. Car nous voyons combien la situation est volatile dans la région.

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