– Toutes ces nouvelles applications sont portées en Europe par un nouvel écosystème spatial de start up qui viennent s'ajouter aux maîtres d'oeuvre industriels historiques, notamment Airbus Defence & Space et Thales Alenia Space. Un certain nombre d'initiatives ont été mises en place pour soutenir l'innovation au moment de la prise de risque : incubateurs de l'ESA, plates-formes de développement du CNES, « boosters » des pôles de compétitivité, tels que celui que nous avons vu à Toulouse… Seul un niveau d'investissement soutenu dans la R&D permettra à l'industrie européenne de conserver son leadership. Face aux financements américains et chinois considérables, il est important de mettre en place une préférence européenne pour les commandes institutionnelles de satellites et pour l'achat de données spatiales.
Le secteur spatial comprend des enjeux de souveraineté et de sécurité majeurs. Tout d'abord, les services spatiaux de télécommunication constituent une solution de repli immédiat en cas de destruction des infrastructures terrestres (guerre, cyberattaque, catastrophe naturelle…). Des enjeux de souveraineté découlent également de la politique de données ouvertes (open data) appliquée pour un certain nombre de données spatiales, notamment les données du programme européen Copernicus, financé par les contribuables européens. Les géants du numérique, GAFAM aux États-Unis et BATX en Chine, sont les plus performants dans le développement d'outils et de services d'intelligence artificielle et plus généralement de « cloud » permettant de traiter efficacement les quantités massives de données d'imagerie spatiale. Pour éviter une fuite vers l'étranger de la valeur ajoutée de ces données et protéger les utilisations les plus sensibles, il faudrait disposer en Europe d'un cloud souverain de grande capacité, qui permette à l'écosystème aval de traiter et gérer en toute indépendance les données spatiales, plutôt que de devoir passer par des cloud américains et chinois. L'utilisation des données spatiales comporte également des enjeux de respect de la vie privée, sujet particulièrement sensible dans notre société actuelle, ainsi que des enjeux de cybersécurité.
Il convient ici de rappeler que les technologies spatiales sont duales, et que dans l'espace nul n'est à l'abri de risques de piratage, de brouillage, d'éblouissement, de prise de contrôle à distance, ou encore de destruction de satellites. Lors de son discours du 13 juillet 2019, le Président de la République Emmanuel Macron a annoncé la création d'une armée de l'air et de l'espace, avec un « grand commandement de l'espace ». Les risques dans l'espace proviennent également des débris spatiaux, comme on nous l'a d'ailleurs rappelé lors de notre visite à Toulouse. Leur nombre augmente considérablement avec le développement des mégaconstellations : ainsi 500 000 objets de plus d'1 cm volent dans l'espace. Rapidement, ces 500 000 pourraient dépasser le million ; il devient maintenant urgent que les États définissent des règles communes, peut-être via un traité international, et les fassent respecter, avec un financement approprié pour le « nettoyage » des milliers de débris présents sur les différentes orbites.
Enfin, je tiens à rappeler que la gouvernance de la politique spatiale européenne est particulièrement complexe, ce qui est parfois source d'inefficacité. L'ESA et l'Union européenne ont chacune leur budget et leurs programmes spatiaux. S'y ajoutent les agences nationales et plusieurs maîtres d'oeuvre industriels européens, ce qui engendre des doublons de compétences, de capacités et de développement. Le principe du retour géographique de l'ESA, appliqué à 0,01 % près pour les lanceurs, morcelle l'appareil de production industriel européen et les compétences. Il privilégie les intérêts nationaux par rapport à la compétitivité et à une ambition globale. Une véritable vision européenne devrait être privilégiée.
Le conseil ministériel de l'ESA des 27 et 28 novembre prochains sera l'occasion d'arbitrages budgétaires importants pour la décennie à venir. Je rappelle au passage que nous y consacrerons le 29 octobre prochain une audition publique, sur une initiative de notre président Gérard Longuet. En France, dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2020, le groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) et le CNES ont identifié ensemble trois scénarios pour la contribution française à l'ESA pour la période 2020–2022, allant de 2,1 à 3,1 milliards d'euros. Le scénario bas provoquerait, selon les industriels, des pertes irréversibles de compétences et d'emplois et l'abandon du leadership français sur le spatial européen. Selon moi, il y a lieu de soutenir, dans la discussion budgétaire française, une contribution aussi proche que possible du montant supérieur de 3,1 milliards d'euros. Ce serait d'ailleurs proche de ce que pourrait être le niveau de la contribution allemande. Je m'entretiendrai d'ailleurs de ce sujet demain avec les députés rapporteurs pour les crédits de la recherche.
En conclusion, la note formule quelques recommandations, dont je précise que l'ordre de présentation n'a pas valeur de priorité :
– organiser une utilisation du spectre des fréquences assurant que le développement des réseaux terrestres 5G n'obère pas les communications actuelles et futures par satellite, ainsi que les capacités d'observations météorologiques spatiales ;
– renforcer notre stratégie spatiale de défense pour protéger nos satellites d'importance vitale et assurer la sécurité des données issues de l'espace ;
– définir un cadre juridique et technique favorisant l'exploitation des données européennes par des acteurs européens, et notamment disposer en Europe de clouds souverains de grande capacité ;
– assurer un équilibre des financements publics entre les grands domaines spatiaux, avec les lanceurs historiquement bénéficiaires de budgets importants et les satellites et l'aval de l'écosystème, qui sont les plus créateurs de valeur. En effet, si la France a financé 2 des 3,7 milliards d'euros consacrés au développement d'Ariane 6 (55 %), elle n'a souscrit que 200 millions des 1,3 milliard d'euros du programme ARTES de l'ESA, consacré aux télécommunications et aux applications (soit 16 %) ;
– enfin simplifier, clarifier et optimiser la gouvernance du spatial, dans une démarche coordonnée des entreprises, des agences spatiales nationales, de l'ESA et de l'Union européenne, pour la rendre plus efficace au service du leadership européen.