Intervention de Pierre Henriet

Réunion du jeudi 17 octobre 2019 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Henriet, député, rapporteur :

– Merci Monsieur le Président. La note que je vais vous présenter vise à décrire la méthodologie que nous proposons pour traiter la saisine, en date du 20 février 2019, émanant de la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat et dont l'Office a bien voulu nous confier la mission d'être rapporteurs, avec mon collègue Pierre Ouzoulias. Ce dernier vous prie de l'excuser de ne pas pouvoir être présent aujourd'hui en raison de contraintes liées à l'agenda de sa commission.

Il s'agit donc pour nous d'étudier le sujet de l'intégrité scientifique, qui connaît aujourd'hui un écho médiatique assez fort.

Je rappellerai d'abord la définition de l'intégrité scientifique, telle que la prévoit la « circulaire Mandon » du 15 mars 2017 : il s'agit de l'« ensemble des règles et valeurs qui doivent régir l'activité de recherche pour en garantir le caractère honnête et scientifiquement rigoureux. ». Cette question est et a été posée dans l'actualité à la suite d'affaires de soupçons de falsification ou de fabrication de données, notamment les cas d'Anne Peyroche, d'Olivier Voinnet, ou de Catherine Jessus.

L'Office parlementaire et le Parlement dans son ensemble ont montré leur intérêt pour le sujet de l'intégrité scientifique, notamment de son cadre juridique, sous diverses formes : questions au gouvernement, auditions successives de l'Office. Le Pr. Pierre Corvol a ainsi été auditionné en novembre 2016 pour présenter son rapport sur ce thème. Olivier Le Gall, président de l'OFIS (Office français de l'intégrité scientifique) et Michel Cosnard, président du Hcéres (Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur), ont été entendus en janvier 2018. Enfin, notre collègue députée Anne Genetet nous a présenté une communication sur le sujet en février 2019.

Le constat qui a été fait lors des premières auditions que nous avons tenues est multiple. D'une part, les manquements à l'intégrité scientifique affaiblissent la confiance dans la science et interrogent le lien entre science et société. Ces manquements peuvent entacher la réputation des organismes de recherche concernés, gaspillent les fonds publics et peuvent représenter des risques, notamment sanitaires.

Si nous revenons sur l'historique de l'intégrité scientifique, il s'est construit autour de deux rapports majeurs, qui ont posé des jalons réglementaires. Celui de Jean-Pierre Alix, en 2010, a permis la mise en place de la « charte nationale de déontologie des métiers de la recherche », signée en 2015. Celui du Pr. Pierre Corvol, remis en 2016, a conduit à la création de l'Office français de l'intégrité scientifique, et à la désignation de référents intégrité scientifique. Je reviendrai un peu plus tard sur leur statut.

Enfin, en février 2019, l'Office a reçu la saisine de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, visant à « éclairer la représentation nationale sur les choix de politique publique à opérer [dans le domaine de l'intégrité scientifique]. ».

La France privilégie un principe d'autorégulation à l'adoption d'un cadre normatif. En la matière, on trouve dans notre pays des codes de bonne conduite, des chartes et des guides, mais – et c'est un élément qui revient souvent lors des premières auditions des référents intégrité scientifique –, ces derniers ont le sentiment de manquer d'un cadre juridique et d'un accompagnement dans le cadre de leur mission.

Depuis les deux rapports fondateurs, il y a eu cependant des avancées sur le sujet. En 2016, la circulaire Mandon a créé les référents intégrité scientifique. Il y en a 130 aujourd'hui, dans l'ensemble des organismes de recherche, qui ont pour mission de promouvoir l'intégrité scientifique et instruisent les cas de manquements. La circulaire a créé également l'OFIS, constitué au sein du Hcéres, qui fait notamment la promotion de l'intégrité scientifique, mais n'est pas une structure de sanction.

Nous proposons que l'étude que l'Office nous a confiée vise, à la fois, à évaluer les dispositifs déjà mis en place : OFIS, référents intégrité scientifique, codes et autres chartes ; mais aussi à conforter, si nécessaire, au niveau législatif ou réglementaire, les pratiques déjà admises par les chercheurs. En termes de calendrier, la discussion parlementaire à venir du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, dont le dépôt est prévu au début de l'année prochaine, pourra le cas échéant constituer une première étape, si des dispositifs législatifs paraissent alors mériter d'y être intégrés.

Quatre champs voisins qui impactent directement celui de l'intégrité scientifique nous paraissent devoir être abordés dans le rapport. Tout d'abord, la question des publications scientifiques, qui soulève la problématique du régime d'oligopole des grandes maisons d'édition, qui « dépossèdent » le chercheur de ses travaux, comme l'évoquent certains d'entre eux. La science ouverte constitue également un possible levier en faveur de l'intégrité scientifique, au travers de l'open access et de l'open data ; la science participative, au travers notamment de la question de la science considérée comme « bien commun », ce champ pouvant être important pour notre rapport. Enfin, l'évaluation du chercheur, qui fait également l'objet de débats dans le cadre de la préparation du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche.

De premiers axes de réflexion se sont dégagés lors de nos premières auditions. En l'absence de notion d'intégrité scientifique dans le code de la recherche en vigueur, faut-il le prévoir ? Se posera aussi la question de l'inscription de la notion de science comme « bien commun » dans le même code de la recherche. Par ailleurs, toutes les structures de recherche n'ont pas encore désigné de référent intégrité scientifique. Ne faut-il pas le rendre obligatoire ? De même, l'absence de statut et la définition précise des missions de ces référents intégrité scientifique posent question. Dans le cadre des premières auditions que nous avons effectuées, beaucoup de ces référents soulignent le flou autour de leur statut. Faut-il, comme pour le référent-déontologue, définir son statut et ses missions dans la loi ? Ou sinon, au moins prévoir une lettre de mission-type ?

Le statut de l'OFIS est également objet de débats. Il a en effet été constitué comme un simple département du Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, ce qui peut donner l'impression qu'il n'est pas actuellement totalement indépendant, ni dans ses locaux, ni dans son budget. Faut-il évoluer sur le sujet ?

Au plan procédural, il n'existe pas de typologie claire des manquements et de leurs sanctions. L'absence de typologie des sanctions a été souvent évoquée lors de nos premières auditions. Est-il possible, voire souhaitable d'encadrer au moins les cas les plus graves ?

La formation à l'intégrité scientifique au sein des écoles doctorales est recommandée par l'arrêté du 25 mai 2016 concernant la formation doctorale, mais elle n'est pas obligatoire aujourd'hui. Faut-il la rendre obligatoire ?

À ce jour, il n'existe pas de « jurisprudence », pas de base de données des rapports d'enquête, même anonymisés. Plus généralement, lors de nos premières auditions, nos échanges sur la publicité donnée aux rapports d'instruction des allégations de manquement ont révélé que les rapports d'enquête sont rarement divulgués. Faut-il définir des règles à ce sujet ?

Un autre axe du rapport porte sur les cas de méconduites internationales ou inter-établissements. Les règles et chartes ne sont pas les mêmes selon les établissements. Quelles solutions peut-on envisager ?

La question de l'évaluation du chercheur est également d'importance. Malgré la signature de la déclaration de San Francisco sur l'évaluation de la recherche, l'imprécation « publier ou périr » reste prégnante. Comment alléger cette pression quantitative sur les chercheurs au profit d'une évaluation plus qualitative ?

Pour notre réunion d'aujourd'hui, il nous revient aussi de présenter les moyens que nous souhaitons demander pour réaliser nos travaux et produire l'étude : à la fois pour poursuivre les auditions et mettre sur pied une, voire deux auditions publiques, portant sur l'intégrité scientifique et sur le sujet des publications scientifiques.

Nous souhaiterions également procéder à quelques déplacements limités à l'étranger, dans des pays proches qui encadrent différemment les manquements ou la promotion de l'intégrité scientifique. Nous pensons ainsi aux Pays-Bas qui disposent d'un code de bonne conduite. L'Allemagne, quant à elle, fonctionne avec des médiateurs locaux, un médiateur national et la Fondation Deutsche Forschungsgemeinschaft (Communauté de recherche allemande) qui est un organe autonome de financement. Le Danemark s'est quant à lui doté d'une loi qui a notamment créé une commission des manquements à l'intégrité scientifique. Enfin, le Royaume-Uni dispose d'un concordat de l'intégrité scientifique et a créé l'UK Research Integrity Office. On voit bien que notre thème constitue un sujet éminemment d'actualité, que la France devrait chercher à traiter au moins à hauteur de ce qui se fait dans les autres pays européens.

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