Je commencerai par les questions sur l'évolution de notre présence au Sahel, la manière de s'y prendre et la reconfiguration de notre dispositif.
D'emblée, il y a des choses que je ne sais pas vous dire – j'insiste sur le terme « sais ». Car, je l'ai souvent dit devant cette commission, nous ne sommes pas seuls au Mali. Le temps où la France imposait ses choix et décidait unilatéralement appartient au passé. De nombreux pays européens nous ont rejoints et c'est avec nos partenaires africains, qui nous ont demandé de venir, que nous devons construire les solutions.
Ce dont je suis certaine, c'est que la France et ses partenaires veulent continuer le combat contre le terrorisme au Sahel et en Afrique de l'Ouest, d'abord et avant tout pour garantir la sécurité des populations du Sahel et d'Europe.
Au-delà du refus de la junte malienne de tenir ses engagements vis-à-vis de la communauté internationale, nous devons faire avec un intrus : la société de mercenaires Wagner. Cette société, dont les liens avec la Russie sont très clairs – le président Poutine a nié dans un premier temps la connaître, avant d'admettre qu'il la connaissait bien – n'a pas pour objet de stabiliser les pays africains où elle est présente. Son but, c'est la prédation. Son modèle économique consiste à se payer sur la bête, et lorsque la bête ne produit pas assez, comme la République centrafricaine (RCA) avec ses ressources minières, Wagner prélève directement à la source en puisant dans les ressources douanières de l'État. Outre que ce schéma n'est pas pérenne, nous craignons qu'il ne déstabilise des pays déjà très fragiles.
Nous poursuivrons notre combat contre le terrorisme au Sahel, animés par plusieurs principes. D'abord, une coopération plus marquée. Pendant longtemps, nous avons combattu « à la place de », puis nous avons combattu « avec ». À l'avenir, nous voulons aider les armées du Sahel à combattre. Ce projet de longue haleine doit s'inscrire dans une action plus globale, dont l'intervention militaire ne constitue qu'une petite brique, pour aider au retour de la stabilité.
Pour cette action en soi fort délicate, il faut compter sur l'engagement sans faille des autorités. Je vous ai expliqué pourquoi les conditions n'étaient pas réunies pour poursuivre efficacement ce combat au Mali.
Je ne peux pas anticiper sur la discussion qui aura lieu demain soir avec les chefs d'État et de gouvernement africains et européens réunis à Paris par Emmanuel Macron. Je ne peux que rappeler les grandes lignes qui fondent l'engagement de la France et de ses partenaires au Sahel, depuis plusieurs années. Nous ne voulons pas déserter le terrain de la lutte contre le terrorisme et nous ne voulons pas abandonner ces pays. Si leurs autorités considèrent qu'elles ont besoin de nous, elles bénéficieront de notre soutien.
Ce n'est pas tout à fait par hasard que je me suis rendue au Niger il y a quelques jours. Le Niger est engagé dans le combat contre le terrorisme et la capacité de ses armées, éprouvée à de nombreuses reprises, est jugée opérationnelle. Ce pays accueille sur son territoire d'autres forces armées avec lesquelles il coopère, et il est proche de la zone des trois frontières où nous avons tant investi ces dernières années. Si ses autorités le souhaitent – elles sont souveraines –, le Niger aura un rôle important à jouer. Les modalités sont encore à définir, mais, de son côté, la France est déterminée à poursuivre le combat aux côtés des forces nigériennes.
Le redéploiement est en partie réalisé et vous en connaissez les modalités. Quand bien même la junte malienne n'aurait pas opéré les ruptures que l'on sait, nous avons devant nous un travail important pour mener à son terme l'opération logistique très lourde qui consiste à évacuer les trois emprises du Nord-Mali. En effet, après avoir désengagé Kidal, Tombouctou et Tessalit, nous avons stocké énormément de matériel sur la base de Gao.
Les discussions qui se tiendront à Paris demain soir nous permettront sans doute d'avancer et de compléter votre information en tant que de besoin – le Premier ministre a proposé de s'exprimer devant vous la semaine prochaine.
Les pays européens qui participaient à Takuba souhaitent pouvoir prolonger d'une manière ou d'une autre leur engagement. Que restera-t-il de l'esprit de Takuba dans les travaux que nous menons au sujet de la boussole stratégique ? Les coalitions ad hoc – car Takuba n'était pas une opération de la PSDC (politique de sécurité et de défense commune) – y sont précisément mentionnées, y compris dans la dernière version à laquelle nous avons travaillé, comme contribuant aux opérations menées par l'Union européenne. On l'a très bien vu au Mali : Takuba s'inscrivait, aux côtés de l'EUTM, dans un continuum allant de la formation au combat, ce qui répondait aux besoins des armées. On retrouvera donc trace, sinon de Takuba, du moins de ces coalitions ad hoc.
La zone Sahel, ainsi que la zone Méditerranée – elles s'emboîtent et constituent ensemble la frontière sud de l'Europe – feront partie des priorités de la boussole stratégique.
Il est certain que la question de la présence militaire au Sahel sera abordée dans le cadre du sommet Union européenne-Union africaine des 17 et 18 février, mais la défense et la sécurité ne seront pas les seuls sujets à l'ordre du jour. L'ensemble des partenariats développés par l'Union européenne au fil des ans, dans les domaines économique, humanitaire ou de la formation, seront évoqués.
Qu'elles proviennent de l'Union européenne ou de la France, les aides budgétaires au Mali ont été suspendues ; l'aide publique au développement a été maintenue. Nous cherchons à vérifier que les autres institutions internationales, comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), qui contribuent par différents canaux à soutenir financièrement le Mali, n'adoptent pas des positions contraires aux sanctions décidées par la CEDEAO et l'UEMOA. Le ministre des affaires étrangères mène des actions vis-à-vis de ces institutions pour s'assurer que nous agissons de façon cohérente.
Vous m'avez interrogée sur la guerre informationnelle. Bien sûr, il y a des enseignements à tirer. Les armées ont compris qu'il fallait de plus en plus intégrer dans leur action quotidienne, et de façon native, des éléments de « lutte » informationnelle – pour user d'un terme moins agressif. Mais il y a une asymétrie, que nous avons reconnue lorsque j'ai présenté la doctrine militaire de lutte informatique d'influence : il y a des choses que nous ne nous autorisons pas à faire. Combattre la désinformation ou la manipulation de l'information ne suppose pas, en retour, de colporter des informations qui ne seraient pas exactes. Cela ne fait pas partie, à ce stade, de notre doctrine.
On voit bien la profonde asymétrie entre des pays comme les nôtres, qui respectent certaines valeurs, parce qu'ils sont des démocraties, et un pays tel que la Russie, qui se dote de moyens profondément différents. En fonction des cas et de ce qui est le plus avantageux pour les autorités, le groupe Wagner existe ou non, et il a ou non des liens avec la Russie.
Sans entrer dans les détails, la surveillance systématique des réseaux sociaux et la riposte lorsque certaines choses fausses sont repérées sur les réseaux doivent devenir une seconde nature. Tout le monde peut être concerné : on m'a ainsi prêté sur Twitter des propos selon lesquels j'aurais décidé d'installer des forces françaises dans l'Azawad, ce qui était évidemment faux. Il faut être très attentif et bien coordonner tous nos moyens en matière de lutte informationnelle et en matière cyber. C'est pour cette raison que nous avons créé un commandement de la cyberdéfense.
Les cyberattaques sont un sujet de préoccupation pour l'OTAN. Elle travaille sur cette question, en lien avec l'Union européenne, qui a développé des compétences dans ce domaine. Néanmoins, les cyberattaques ne sont pas susceptibles de conduire à l'application de l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord. L'objectif est de créer une solidarité par la mise en commun de nos savoir-faire et de nos expériences, par un partage des bonnes pratiques.
Dans le cadre de l'actualisation de la LPM, nous avons souhaité accélérer certains programmes pour répondre à l'amplification des menaces hybrides. Nous avons ainsi renforcé les moyens – notamment en personnels – dans le renseignement et le cyber. Par ailleurs, nous avons décidé d'investir pour rattraper notre retard, jugé considérable dès 2017, en matière de défense NRBC – nucléaire, radiologique, biologique et chimique.
Nous disposons bien de moyens de renseignement souverains qui nous permettent de développer nos propres analyses sur la situation en Ukraine. Nous avons renouvelé la totalité de nos capacités satellitaires d'observation, d'écoute et de communication, et nous utilisons les avions de reconnaissance et d'écoute, les Atlantique 2 et les Gabriel, ainsi que les Rafale, qui permettent aussi d'apprécier des situations, ou encore les navires qui ont été déployés dans la mer Noire. Nous avons orienté des capteurs vers l'Ukraine depuis l'automne. La question qui se pose ne concerne pas tant ce que nous observons que les conclusions à en tirer. Si nous voyons les mêmes choses que nos partenaires, nous n'en tirons pas nécessairement les mêmes conclusions. C'est pour mener nos propres analyses que nous continuons d'investir dans des capacités souveraines.
Nous n'avons pas souhaité procéder à une évacuation anticipée de nos ressortissants, parce que nous ne savons pas ce que le président Poutine souhaitera faire des puissants moyens militaires qu'il a installés patiemment, semaine après semaine, aux frontières de l'Ukraine. Nous avons le sentiment qu'il n'a pas encore pris sa décision. Je reste prudente : ce n'est pas une science exacte. Tout le monde a vu les vidéos qui ont largement circulé hier. Elles font partie d'une mise en scène dont nous ne savons pas si elle est faite pour nous endormir ou si elle constitue vraiment la première étape d'une désescalade. Une attaque est-elle possible ? Oui. Est-elle plausible ? Oui, compte tenu des moyens accumulés. Est-elle imminente ? Je ne le sais pas.
La Russie doit compter avec la Chine, sur son flanc oriental, d'autant que celle-ci connaît un processus de militarisation très puissant. Néanmoins, je ne pense pas que la Chine soit aujourd'hui un acteur des tensions aux frontières de l'Ukraine.
J'ai annoncé hier, en compagnie du chef d'état-major des armées, une stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins. Ils font partie, avec le cyber, des nouveaux espaces de conflictualité. De même que des satellites espions se sont approchés de nos satellites d'une manière fort inamicale, nous avons vu des bateaux océanographiques s'approcher – et ce n'était pas un pur hasard – des câbles sous-marins qui assurent les communications entre l'Europe et les États-Unis. Les fonds marins sont clairement devenus un enjeu stratégique pour nos communications et pour la souveraineté de notre zone économique exclusive, la deuxième au monde.
Ce que nous avons voulu faire est assez pionnier : aucun pays ne s'est emparé de la question comme nous. Pour moi, le déclic s'est produit lorsque des familles nous ont demandé de relancer une campagne d'exploration pour retrouver l'épave de la Minerve. Nous avons dû faire appel à des moyens appartenant à des sociétés américaines car nous n'avions pas les capacités nécessaires. Cette situation n'étant pas acceptable, nous nous sommes fixé l'ambition d'atteindre 6 000 mètres à partir de 2025, et nous avons déjà commencé à développer des technologies.
Je crois que vous avez assisté, monsieur Larsonneur, à la démonstration du prototype d'un système de drones anti-mines navales. Ce sont des technologies utiles pour atteindre des fonds plus profonds. Nous fléchons, au sein de la loi de programmation militaire, qui est vivante, les financements nécessaires pour atteindre notre objectif en 2025. Cela suppose aussi que nos industriels se mobilisent. Je vous invite à exercer une pression sur eux, vous aussi, pour qu'ils s'emparent de ce sujet.
Monsieur Gassilloud, je préfère apporter, très vite, une réponse écrite à votre question relative au contrat opérationnel.
J'ai déjà parlé de la société Wagner. Nous avons condamné fermement l'implantation de cette milice au Mali, comme tous nos alliés, pour les raisons que j'ai expliquées. Son modèle économique repose sur la prédation et sa présence est susceptible de s'accompagner d'exactions à l'égard des populations – c'est aujourd'hui le cas en RCA, même si ces exactions sont très difficiles à documenter pour la MINUSCA, les mercenaires lui interdisant d'accéder aux zones concernées. De telles milices ne contribueront en rien à résoudre les problèmes des pays sahéliens ; elles ne peuvent, au contraire, qu'aggraver leur situation. En revanche, la société Wagner a une fonction très précise et très utile pour la junte : c'est une sorte d'assurance vie, pour rester au pouvoir le plus longtemps possible.
Nous nous sommes emparés de la question de la transition énergétique au niveau national dans le cadre d'une stratégie destinée à contribuer à notre souveraineté en réduisant nos dépendances et en intégrant la dimension environnementale – vous avez d'ailleurs œuvré en ce sens, monsieur Fiévet, et je vous en remercie. Dans le cadre du Forum de Paris sur la paix, en novembre, nous avons lancé une initiative qui a permis de réunir plus d'une vingtaine de pays autour des enjeux énergétiques. Leur prise en compte est une condition de la résilience de nos armées mais aussi de l'acceptation de leur présence sur le territoire national et en cas de projection à l'étranger.