Intervention de Philippe Bolo

Réunion du jeudi 3 février 2022 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Bolo, député, rapporteur :

– Nous sommes effectivement réunis ce matin pour examiner une note scientifique sur le microbiote intestinal. Il s'agit, comme vous l'avez rappelé, Monsieur le président, d'un sujet qui apparaît de plus en plus dans l'actualité scientifique et dans les médias. Il entrait donc dans la vocation de l'Office de se pencher dessus afin de distinguer certitudes et incertitudes.

Je commencerai logiquement mon exposé par une présentation de ce qu'est le microbiote, avant de vous expliquer les liens découverts entre le microbiote et la santé et de partager avec vous quelques interrogations sur son traitement législatif et réglementaire. J'essaierai en conclusion de répondre à la question de savoir s'il s'agit d'un simple effet de mode ou d'une tendance structurelle.

Vous le savez, nous sommes les hôtes de micro-organismes qui colonisent différents compartiments de notre corps, dont les parties en contact avec le milieu extérieur, telles que la peau et diverses muqueuses, notamment respiratoires.

L'intestin est la partie du corps humain qui héberge le plus de micro‑organismes, avec un écosystème riche et diversifié, composé notamment de nombreuses bactéries, dont on parle fréquemment car elles sont peut‑être les mieux connues et les plus utilisées. On estime à 1,5 kg la masse des micro‑organismes présents dans l'intestin d'un individu et à quelque 100 milliards le nombre de micro‑organismes dans un gramme de matière fécale.

Il est important de s'intéresser à ces micro‑organismes sur un plan génétique, car ceci va permettre de comprendre la synthèse de certaines protéines et d'éclairer l'une des formes d'interaction entre ces micro‑organismes et le corps humain. Il apparaît ainsi que 600 000 gènes composent le génome « moyen » du microbiote, soit 25 fois plus que dans notre propre génome.

Le microbiote n'est pas composé uniquement de bactéries, mais compte aussi des archées, des virus, des champignons, qui tous cohabitent à l'intérieur de notre corps.

La colonisation du corps par ces micro‑organismes s'effectue au moment de la naissance, puis cette communauté évolue tout au long de la vie de l'individu sous l'influence de différents facteurs, parmi lesquels les maladies, les interactions sociales, l'alimentation, l'activité physique et le milieu de vie. Chacun de ces paramètres externes peut avoir des effets, positifs ou négatifs, sur ces communautés de bactéries, en apportant des populations nouvelles ou en en faisant disparaître.

L'observation des interactions entre les bactéries que nous hébergeons et notre milieu de vie, au travers par exemple d'une mise en contact avec certains produits chimiques, des maladies qui peuvent nous infecter ou encore de notre alimentation, montre que l'environnement influence la communauté des micro‑organismes et peut par conséquent avoir un impact sur notre santé. Ces interactions ont conduit au concept de « One health », dont vous avez tous entendu parler et qui mériterait d'être un jour étudié par l'Office.

Comme toute autre, cette communauté des micro‑organismes, composée notamment de bactéries, est le théâtre de concurrences – certaines bactéries essayant de prendre l'ascendant sur d'autres –, de synergies, d'antagonismes. Ainsi, certaines populations croissent, tandis que d'autres diminuent, en fonction de facteurs qui les favorisent ou les défavorisent.

Nous entretenons ainsi avec les populations de micro‑organismes que nous hébergeons dans notre intestin une symbiose, qui peut être en équilibre (« eubiose ») ou en déséquilibre (« dysbiose »). Je vais surtout m'intéresser ici à la dysbiose, dans la mesure où elle est révélatrice d'un certain nombre d'impacts sur la santé.

La communauté micro‑organique présente la particularité de produire des métabolites. Elle est en effet constituée d'organismes vivants dont les gènes vont être transcrits pour donner naissance à des protéines. De plus, lorsqu'elles meurent, les bactéries donnent naissance à des coproduits. Il existe ainsi une chimie organique liée à l'écosystème du microbiote, qui va pénétrer dans notre système sanguin, donc influencer notre santé.

L'équilibre symbiotique joue sur la perméabilité de la barrière intestinale, sur le système immunitaire et le métabolisme, notamment via les métabolites en circulation dans le sang. Les auditions que j'ai conduites ont mis en lumière le fait que 30 % des éléments détectés lors d'une prise de sang sont des molécules qui, à un moment donné, ont été synthétisées ou transformées par les bactéries symbiotiques, ce qui montre clairement l'incidence que ceci peut avoir sur notre santé.

Une dysbiose se traduit par une baisse de la diversité des organismes hébergés, notamment des bactéries ayant un rôle anti‑inflammatoire. La science a mis en évidence un certain nombre de conséquences de ces dysbioses, que vous trouverez précisément expliquées dans la note. On y trouve des maladies cardiométaboliques comme le diabète et l'obésité, ainsi que des maladies cardiovasculaires et des pathologies intestinales. Un professeur du CNRS, spécialiste de la relation entre intestin et cerveau, nous a montré que le système sanguin et les métabolites qui y circulent sont un vecteur important de la régulation de l'intestin sur le cerveau.

Outre les produits chimiques présents dans notre environnement, l'alimentation figure au premier rang des responsables de la modification du microbiote. Certains aliments, parmi lesquels les aliments fermentés et les fibres, favorisent les « bonnes » bactéries, d'autres les défavorisent. Plusieurs chercheurs se sont intéressés à l'évolution de l'apparition des maladies chroniques au regard de notre consommation de fibres et ont constaté qu'il existait une corrélation entre les deux : plus le bol alimentaire est pauvre en fibres végétales, plus les conséquences sur les dysbioses sont importantes. Parmi les aliments défavorables au microbiote figurent notamment les additifs alimentaires. Notre collègue Angèle Préville pourra nous en dire plus à ce sujet dans quelques semaines, ce qui permettra de faire le lien entre nos travaux.

J'en arrive aux aspects réglementaires et aux approches thérapeutiques. Confrontée aux divers éléments que je viens de décrire, la communauté scientifique et médicale a considéré qu'elle était en présence de voies nouvelles pour une médecine différente. Un certain nombre de traitements inspirés de ces découvertes commencent à apparaître. Or il semble que le cadre législatif et réglementaire soit insuffisamment précis pour bien encadrer leur usage et sécuriser la santé des patients susceptibles d'en bénéficier.

De nouveaux paradigmes, de nouvelles pistes de recherche s'ouvrent et posent la question de la position de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) sur ces sujets. Permettez‑moi de prendre deux exemples révélateurs.

Le premier concerne la transplantation de matière fécale (TMF), technique utilisée avec succès pour traiter une infection récidivante et mortelle, dite « Clostridioides difficile ». Ce sont des bactéries présentes dans notre microbiote qui, chez certains patients, à la suite notamment de dérèglements ou de traitements antibiotiques, dominent et provoquent des désordres intestinaux pouvant aller jusqu'à la mort. La TMF consiste à prélever des éléments de microbiote chez un individu donneur et à les transplanter chez le patient. Cette opération contribue à rééquilibrer la communauté bactérienne du patient en y réintroduisant des « bonnes » bactéries, avec un résultat que d'autres solutions thérapeutiques ne permettraient pas d'obtenir. Cette piste est donc très prometteuse. L'ANSM indique aujourd'hui que ce médicament (je reviendrai ultérieurement sur ce terme) peut être utilisé, mais uniquement à titre expérimental, dans le cadre d'essais cliniques et d'autorisations d'accès compassionnel. Vient par ailleurs s'ajouter l'existence de start‑up qui développent cette technique. Vous imaginez l'impasse dans laquelle on va se trouver rapidement. Les auditions ont clairement montré qu'il existait une réelle difficulté avec, d'un côté, la recherche publique, les cliniciens et les médecins envisageant les choses d'une certaine façon, avec un volume et un domaine d'interaction, de l'autre les start‑up qui pensent pouvoir agir plus largement et venir en appui des quelques expérimentations en cours. L'ANSM travaille sur le sujet et établit un cadre de bonnes pratiques. Mais il reste encore quelques étapes à franchir. L'article 35 de la loi de bioéthique récemment adoptée prévoit quelques avancées, mais il reste beaucoup de travail à accomplir.

Le deuxième exemple concerne les probiotiques. Ce sont des micro‑organismes proposés à l'ingestion car jugés bénéfiques pour la santé. La définition en est toutefois extrêmement floue, les quantités ne sont pas précisées, pas plus que les types de produits dans lesquels on pourrait les trouver, le bénéfice attendu ou les potentiels bénéficiaires. Dans ce domaine aussi, on observe que des entreprises se développent, dans une logique de bien‑être plus que dans une perspective médicale.

Au vu de ces éléments, il apparaît absolument nécessaire de mieux encadrer les usages autour du microbiote intestinal. Je rappelle qu'il existe trois grandes catégories pour le classement des spécialités pharmaceutiques : le don du sang, de cellules et de tissus ; la biologie ; le médicament. L'Europe essaie aujourd'hui de travailler sur ce sujet et considère par exemple que la TMF relève du bloc « don de sang, de cellules et de tissus », les bactéries présentes dans les matières fécales du bloc « biologie » et les métabolites produits par les bactéries elles‑mêmes du bloc « médicament », puisqu'il s'agit clairement de chimie organique. Ceci permet de toucher du doigt la complexité et le flou qui entourent ce sujet. S'y ajoute le fait que les pays européens n'agissent pas de manière homogène. Il va donc falloir réguler ce secteur de l'activité médicale, pour la simple raison que si le cadre n'est pas précis et qu'il existe ailleurs des environnements législatifs et réglementaires plus favorables, les start‑up qui développent ces produits s'installeront à l'étranger où elles pourront plus facilement passer de la recherche à la mise en place d'un traitement.

Quels sont les enjeux pour notre pays ? La France avait jusqu'à présent un rôle de leader, mais celui-ci est aujourd'hui clairement remis en cause.

La France dispose pourtant de nombreux atouts. Elle est tout d'abord la patrie de Pasteur, qui fut l'un des premiers scientifiques à étudier de façon précise ces micro‑organismes. Elle a également la chance de bénéficier de la présence d'un organisme de recherche agronomique, l'INRAE, qui a occupé un rôle de premier plan dans les recherches sur les micro‑organismes. L'héritage gastronomique français a par ailleurs contribué à structurer une sorte de conscience et de culture autour de ce sujet.

Tous ces éléments ont constitué un terreau favorable à la création de start‑up et à la réorientation d'entreprises existantes vers ce secteur, pour produire des probiotiques ou des bactériophages, développer la TMF, travailler sur les métabolites des bactéries pour en extraire des molécules chimiques, proposer des analyses de microbiote, etc.

Il convient toutefois de ne pas considérer cette position comme acquise à jamais. Les entretiens et les auditions que j'ai conduits ont en effet révélé que le manque de moyens pouvait rendre difficile le recrutement de ressources humaines, notamment de bio‑informaticiens, et la nécessité de se doter d'animaleries stériles, éléments indispensables à la chaîne de compréhension du microbiote. Les procédures d'essais cliniques sont par ailleurs très longues, ce qui peut démotiver certains acteurs économiques. La France est ainsi concurrencée aujourd'hui par des pays comme les États‑Unis ou la Corée du sud.

Notre pays dispose malgré tout de quelques belles perspectives, avec notamment les dispositifs fiscaux incitant à la recherche, le crédit d'impôt recherche et le plan Innovation Santé 2030.

L'intérêt actuel pour le microbiote est‑il un effet de mode ou au contraire une tendance structurelle majeure ? Le microbiote apparaît en effet comme une source potentielle de traitements médicaux nouveaux, il fait le lien entre nutrition et santé, et constitue un élément d'une médecine plus préventive et prédictive.

Deux approches du phénomène s'opposent toutefois aujourd'hui. D'aucuns, s'appuyant sur les aspects relatifs à la santé, aux dysbioses, aux phénomènes d'antibiorésistance susceptibles d'être éclairés par l'étude du microbiote, à l'existence de nouvelles technologies facilitant la caractérisation du microbiote (biologie moléculaire, métagénomique, intelligence artificielle), considèrent que l'émergence du microbiote est un élément structurel de la médecine. L'augmentation du nombre de publications consacrées à ce sujet, tout comme la hausse des investissements publics et privés dans le domaine, militent également en ce sens.

D'autres, en revanche, y voient un effet de mode et estiment qu'il ne faut pas considérer le microbiote comme une explication à tout. Certaines publications affirment par exemple que chaque maladie humaine pourrait trouver une explication dans le microbiote. Or les médecins auditionnés ont expliqué que ce n'était vraisemblablement pas le cas. Il convient également de se méfier de la communication excessive de certains médias et d'une offre commerciale proposant des analyses de microbiote, dont les médecins ont clairement dit qu'en plus d'être très coûteuses, elles ne servaient à rien dans la mesure où, chaque entreprise développant ses propres protocoles, les résultats sont inexploitables sur un plan médical.

Nous sommes aujourd'hui confrontés à une situation où se dessinent des pistes très prometteuses qui ouvrent la perspective de nouvelles voies thérapeutiques. Cependant, il faudra très vite parvenir à distinguer celles qui seront des réalités des autres. De nombreuses connaissances restent encore à acquérir.

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