– Absolument. Comme je l'ai dit précédemment, la spike est à la fois impliquée dans l'interaction avec les cellules humaines et la cible des anticorps. Son évolution doit donc répondre à des compromis, entre être suffisamment différente pour échapper aux anticorps et ne pas être trop différente pour pouvoir infecter les cellules humaines. La question devient alors celle de caractériser le degré de liberté offert à la spike.
Une autre surprise réservée par Omicron réside dans l'échappement immunitaire dont il fait l'objet. Vous voyez à l'écran une carte antigénique, c'est-à-dire une projection en deux dimensions des liens existant entre les différents variants vis-à-vis de notre système immunitaire, publiée voici cinq jours. Plus deux variants sont éloignés sur la carte, moins les anticorps produits du fait de l'infection par l'un sont efficaces pour neutraliser l'autre. On observe qu'Omicron est le plus éloigné de tous, ce qui témoigne de sa capacité d'échappement immunitaire. Cette figure est une projection en deux dimensions, obtenue en testant le potentiel de neutralisation des sérums obtenus suite à une infection par un variant vis-à-vis des autres variants. Chaque grille correspond à une diminution d'un facteur fixe des capacités de neutralisation.
Les variants d'échappement peuvent apparaître parce que la population d'humains rencontrés par le virus est maintenant largement immunisée. Il faut savoir que les pressions exercées sur le virus ont fortement changé en deux ans. On est en effet passé d'une population immunologiquement naïve à une population largement immunisée, grâce aux infections antérieures et au déploiement massif de la vaccination. Ce qui fait le succès d'un variant aujourd'hui n'est plus ce qui faisait le succès d'un virus il y a deux ans. Pour se faire une idée de ce à quoi s'attendre dans une population largement immunisée, on peut regarder du côté des autres coronavirus humains, à savoir les coronavirus saisonniers. Des études de 2021 ont ainsi montré que certains étaient sujets à une dérive antigénique, dans la mesure où des réinfections étaient en partie dues à l'évolution des virus, qui échappaient à l'immunité développée contre leurs versions antérieures. Ce phénomène apparaît également sur les arbres phylogénétiques, avec leur structure en échelle. Il est possible que ceci existe de même pour SARS-CoV-2, le virus de la Covid.
Ainsi, prédire les prochains changements évolutifs est difficile, mais une bonne surveillance génomique en France et dans le monde nous évitera d'être trop surpris. Ceci passe par un plan de surveillance génomique, avec des tests, des séquençages aléatoires, un partage de données rapide sur des plateformes internationales pour mutualiser l'analyse au niveau mondial et une surveillance qui ne soit pas limitée au compartiment humain mais soit aussi environnementale et considère les réservoirs d'animaux non humains.
J'insiste sur le fait que même si surveillance et recherche sont parfois considérées séparément en France, les deux dimensions vont de pair sur un nouveau pathogène.
Je souhaiterais clore cette présentation avec la note d'humilité exprimée par mon collègue Jesse Bloom dans un entretien publié dans Nature : « Omicron really shows us the need for humility in thinking about our ability to understand the processes that are shaping the evolution of viruses like SARS-CoV-2 » (« Omicron nous montre vraiment la nécessité de faire preuve d'humilité face à ce que nous comprenons des processus qui façonnent l'évolution de virus comme SARS-CoV-2 »).