Intervention de Mircea Sofonea

Réunion du jeudi 3 février 2022 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mircea Sofonea, maître de conférences à l'Université de Montpellier :

– Il est extrêmement difficile d'estimer le nombre de reproduction de base R0 pour un nouveau variant. La façon la plus empirique et naturelle serait d'observer ce qu'il advient dans les pays à faible couverture vaccinale, à faible taux d'attaque et à faibles mesures de freinage non pharmaceutiques. De fait, il s'agit de pays ayant un niveau de surveillance épidémiologique faible, pour lesquels on n'observe pas de R0 supérieurs à 2. Le nombre de reproduction dépend évidemment du contexte. Le nombre mesuré à Wuhan était de 2,2, tandis qu'il était de 3 en France. Ceci tient à la composante propre à la structure de la population, aux habitudes. De même, au sein de la France, R0 était plus grand en Île-de-France que dans le Sud-ouest. On ne peut effectuer que des approximations à partir des remplacements successifs de variants, le problème résidant alors dans la superposition entre l'avantage de contagiosité et l'échappement immunitaire. On pense que Delta a un nombre de reproduction de base de 6 et Omicron de 9, voire 10. En termes de virus humains, seuls ceux de la rougeole, de la rubéole, de la varicelle et des oreillons ont un nombre de reproduction plus élevé. On ignore si Omicron a un nombre de reproduction de base de 15 ou si cette valeur parfois estimée est due à des effets locaux qui font qu'il se « débrouille mieux » que Delta. Je pense que l'on gagnerait beaucoup à mesurer précisément ce nombre de reproduction de base ; pour l'instant, nous n'y parvenons pas.

S'agissant des éventuelles vagues futures, les discours consistant à dire que la pandémie est derrière nous sont évidemment farfelus. Il faut toutefois faire la différence entre la permanence du SARS-CoV-2, sa circulation qui ne risque pas de s'arrêter, et l'épidémie par vagues mettant en tension le système de santé, en particulier hospitalier. Ces deux dimensions, qui étaient jusqu'à présent fortement intriquées et corrélées, vont diverger au fur et à mesure que l'immunité sera plus importante dans la population, que le diagnostic, la thérapeutique et la prise en charge seront plus efficaces. On vivra alors avec un virus qui circulera comme les virus respiratoires saisonniers, avec une plus grande incidence au cours de la mauvaise saison due à une transmission favorisée. En effet, lorsque les jours sont plus courts et plus froids, on reste davantage en intérieur, ce qui joue fortement lorsque le virus se transmet par aérosol. La grippe cause chaque année entre 5 000 et 15 000 décès en France. Depuis le début de l'automne, on compte 20 000 décès par SARS-CoV-2, ce qui risque de se produire chaque année. Il s'agira donc d'un virus respiratoire supplémentaire avec une mortalité essentiellement associée à une population vulnérable, mais que l'on saura prévenir et anticiper de plus en plus tant que l'évolution sera de type antigénique et que la surveillance épidémiologique, génomique et immunologique de ce virus pourra donc être rapprochée de celle de la grippe. Cependant, on courra toujours le risque de voir apparaître ce que l'on qualifie de « monstre prometteur », phénomène que l'on observe dans les grippes endémiques avec une récurrence de 20 à 30 ans et qui se caractérise par des modifications très importantes qui rebattent les cartes.

Il est vrai que les modèles compartimentaux sont limités. De façon générale, les modèles sont une simplification de la réalité qui a vocation à répondre à une question donnée. Les modèles compartimentaux permettent de tester des hypothèses s'il existe un décalage entre les données et le modèle. Pour le moment, nos simulations ont montré leur utilité vis-à-vis du système hospitalier, avec une capacité d'anticipation de plus d'un mois. Il faut bien sûr y ajouter les modèles issus des approches statistiques et d'apprentissage machine. Il convient en effet de ne jamais prendre une décision sur la base d'une seule modélisation, mais de considérer un ensemble de modèles et de confronter leurs résultats aux données de terrain.

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