– Bonjour à tous et merci à Mme Mueller d'avoir parfaitement situé le contexte.
Je rappelle que la vaccination a pour objectif premier de prévenir des formes sévères de la maladie, de façon directe par la protection individuelle des personnes concernées, et indirecte, sachant que plus la vaccination est large dans la population, plus on a de chances de réduire la transmission du virus. Même si l'on sait, avec le variant circulant actuellement, que l'on ne peut pas l'abolir, ceci peut néanmoins bénéficier aux personnes à risque de développer des formes sévères de la maladie.
La couverture vaccinale en France se situe à un niveau assez élevé, puisque la primo-vaccination concerne plus de 80 % de l'ensemble de la population, tous âges confondus. On ne peut toutefois se satisfaire totalement de cette situation.
Les éléments de préoccupation tiennent notamment au fait que seuls 81 % des personnes âgées de plus de 65 ans ont reçu le rappel, dont on sait qu'il est absolument indispensable pour obtenir une efficacité optimale contre les formes graves de la maladie liées à Omicron. 19 % des plus de 65 ans ne sont ainsi pas protégés de façon optimale. Or ce sont précisément ces personnes qui, à côté des personnes non vaccinées et des sujets très immunodéprimés, sont aujourd'hui hospitalisées pour des Covid graves.
La primo-vaccination est elle aussi un élément du problème, puisque 4,5 millions de Français ne sont pas vaccinés du tout. Ceci concerne entre autres des personnes très âgées ou atteintes de maladies chroniques, et des personnes en situation de précarité.
Je souhaite aussi mentionner brièvement, même si ceci ne renvoie pas à une projection de moyen terme, le fait que la vaccination des enfants, qui est pleinement justifiée – j'y reviendrai si vous le souhaitez –, n'a pour l'instant pas démarré de façon satisfaisante : en France, seuls 4 % à 5 % des enfants éligibles sont vaccinés, bien moins que dans les pays européens voisins.
Un mot enfin sur la situation des femmes enceintes : leur couverture vaccinale est très insuffisante, estimée à 60 % seulement en fin de grossesse. Or de nombreuses publications scientifiques récentes, venant notamment d'Écosse, montrent pourtant que la morbidité, voire la mortalité, des femmes et de leur bébé est très significative, alors que le vaccin est parfaitement sûr. Il s'agit vraiment d'un sujet d'actualité sérieux.
J'aborde maintenant la question de la durée de la protection contre les formes graves conférée par le vaccin et le rappel, dans le contexte actuel d'Omicron. On sait aujourd'hui que la protection perdure trois à quatre mois après le rappel. On ignore ce qu'il en sera dans les deux ou trois mois qui suivent. Je pense en particulier aux personnes les plus fragiles, parmi lesquelles les plus âgées. Il n'est pas exclu qu'une quatrième dose, c'est-à-dire un deuxième rappel, soit préconisée à relativement court terme pour ces personnes, avec le vaccin actuel fondé sur la séquence de la spike de la souche initiale Wuhan. Je rappelle que cette politique de deuxième rappel a été mise en œuvre en Israël à partir d'une inquiétude, sans qu'il y ait eu d'arguments fondés scientifiquement quant à une baisse de la protection conférée par le rappel. Aucun autre pays au monde n'a pris de décision similaire pour le moment, même si chacun observe cela attentivement. La question se pose donc ; elle n'est pas encore tranchée.
Au-delà, commence la réflexion pour la suite : quel type de vaccination faut-il envisager pour continuer à protéger la population dans les contextes d'évolution du virus évoqués lors de la table ronde précédente ? Nous savons aujourd'hui que ce virus ne disparaîtra pas et que de nouveaux variants apparaîtront, dont nous ne connaissons ni la nature, ni le degré de virulence. Par définition, les types de vaccin et leurs indications dépendront des variants, de leur virulence, de leur circulation et de la durée de l'immunité. De nombreux paramètres, que nous ne pouvons pas cerner aujourd'hui, conditionnent ce que devrait être la politique de vaccination à venir. Il s'agit donc d'une affaire complexe, dans la mesure où il faut anticiper sur des paramètres dont nous ne connaissons pas aujourd'hui la nature précise.
On peut simplement dire que le vaccin idéal de l'avenir sera un vaccin à large spectre, couvrant un maximum de variants, éventuellement au-delà même des coronavirus beta auxquels appartient le SARS-CoV-2. Il existe des voies de recherche en ce sens. L'idée, qui est en train d'être testée sur le plan clinique, est de composer des vaccins contenant plusieurs spikes, par exemple Omicron, Delta et Wuhan. Plusieurs combinaisons sont en cours de test. L'avantage de cette approche est d'induire une réponse immune secondaire ou tertiaire, compte tenu de l'histoire vaccinale et infectieuse des personnes concernées, qui soit plus large et concerne un maximum de variants. L'inconvénient tient au fait que l'on réduit, par définition, la dose de matériel antigénique susceptible d'induire une réponse immunitaire, donc potentiellement l'efficacité du vaccin. Il s'agit d'un choix difficile.
Une autre approche, techniquement plus complexe, consiste à définir des vaccins universels en utilisant des séquences de virus conservées entre les différents variants. Ces séquences sont très bien identifiées, mais la difficulté réside dans la connaissance de l'immunogénicité de ces séquences et, surtout, du niveau de protection induit à l'égard de ces antigènes partagés par les différents variants. Voilà ce que l'on peut dire à ce stade sur le spectre d'efficacité du vaccin.
Un second point d'intérêt serait de pouvoir induire, à côté de l'immunité dite « systémique » que l'on obtient par l'intermédiaire des injections intramusculaires de vaccin, une immunité locale au niveau du nez et de la gorge, où l'infection débute et où se situent les cellules les plus facilement infectables, en particulier par Omicron. Disposer d'une immunité locale, fondée sur la production d'IgA et la présence de lymphocytes produisant des anticorps et de lymphocytes T mémoires, serait efficace pour protéger contre l'infection, en complément de la protection contre la sévérité de la maladie reposant aussi sur l'immunité cellulaire. Des travaux de recherche et des essais cliniques sont en cours afin de développer des vaccins muqueux en spray nasal. La difficulté intrinsèque de cette approche, même si elle est très élégante théoriquement, est que l'on sait que l'immunité muqueuse est de courte durée : l'effet obtenu, si l'on y parvient, sera donc relativement limité dans le temps et probablement circonscrit à la sphère ORL (nez, gorge, oreilles), ce qui signifie qu'il faudra combiner ce vaccin à des vaccins systémiques. Une utilisation d'un vaccin de ce type à bon escient, dans un système saisonnier est toutefois une approche intéressante ; je rappelle que de tels vaccins existent contre la grippe et sont utilisés chez l'enfant aux États-Unis.
Le troisième point, essentiel, réside dans le souhait que ces vaccins soient persistants. Pour l'instant, notre connaissance de la réponse immunitaire et de sa capacité de protéger à long terme contre l'infection n'est pas suffisamment précise. Il existe encore beaucoup d'inconnues, si bien qu'il est très difficile de prendre aujourd'hui des options sur le type de vaccin, sur le spike ou la combinaison de spikes à cibler, sur l'éventuelle combinaison entre vaccins muqueux et systémique, etc.
La question suivante sera de savoir à qui destiner ces vaccins. Faudra-t-il revacciner l'ensemble de la population ou passer au modèle « grippe » en vaccinant préférentiellement les personnes à risque et celles travaillant au contact des sujets à risque, dont les professionnels de santé ? Ce point est ouvert et dépend du niveau de virulence et de circulation des variants futurs.
Je vais arrêter là cette intervention visant à présenter l'état des connaissances et des réflexions à ce jour, en ayant bien conscience d'avoir apporté plus de questions que de réponses.