Intervention de Jean-François Delfraissy

Réunion du jeudi 3 février 2022 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-François Delfraissy, professeur en immunologie clinique à la faculté de médecine de l'université Paris-Saclay, président du Conseil scientifique Covid-19 :

– Bonjour à tous et merci pour cette invitation. Je vais évoquer certains éléments qui ne me semblent pas avoir été traités précédemment, avec également, je dois l'avouer, de nombreux points d'interrogation et l'humilité qui s'impose. La pandémie dure en effet depuis deux ans et nous avons tous, à des niveaux divers, été très surpris par son évolution.

J'ai trouvé la première table ronde vraiment passionnante et je remercie l'ensemble des participants pour leurs interventions. Vous avez beaucoup insisté sur les aspects d'évolution, de transmissibilité et d'échappement, et peut-être insuffisamment à mes yeux sur les notions de pathogénicité, de virulence et de gravité. Pour quelles raisons, intrinsèquement, indépendamment de l'extérieur, un variant va-t-il être plus virulent qu'un autre ? Omicron change complètement la donne à cet égard, avec des niveaux de contamination qui ont explosé et une gravité moindre. Pardonnez-moi d'être un peu direct, mais au fond, on se moque qu'un virus circule beaucoup s'il est très peu pathogène ou plus exactement si l'on est en capacité, en fonction du niveau de pathogénicité, de mettre en place un certain nombre de réponses et de marqueurs de suivi adaptés. J'exagère bien évidemment, dans la mesure où la circulation globale finit par toucher l'ensemble de la population et en particulier les personnes les plus fragiles, susceptibles de développer des formes sévères. La prise en compte de la gravité des symptômes change néanmoins fondamentalement la donne. À cet égard, Omicron est totalement différent de ce que nous avons pu observer jusqu'à présent.

Pour la suite, quel sera le prochain variant ? Il s'agira vraisemblablement d'un variant plus transmissible, qui prendra le pas sur le variant précédent. Mais va-t-il se situer dans le prolongement d'Omicron et être moins grave, ou au contraire, s'il est issu d'un autre variant, avoir une pathogénicité similaire à celle observée auparavant ? La réponse à cette question changera complètement la donne en termes d'impact sur notre système de soin et de vision de l'épidémie par nos concitoyens.

Les marqueurs de suivi de l'épidémie sont eux aussi très dépendants de la gravité des infections. Le nombre de contaminations s'élève actuellement à plusieurs centaines de milliers par jour ; mais l'impact sur le système de soins est totalement différent de ce qu'il a été lors des vagues précédentes, dans la mesure où le niveau de gravité est moindre. Les marqueurs de suivi en termes de nombre de contaminations doivent donc être relativisés.

L'un des marqueurs les plus solides est assurément l'impact sur le système de soins, c'est-à-dire le nombre d'hospitalisations et surtout le nombre d'admissions en soins intensifs et en réanimation. Jusqu'à quel point ce que l'on a déjà vécu nous permet-il de prédire la suite ? 7 000 lits de réanimation ont été occupés en mars 2020, avec deux zones très touchées, la région parisienne et le Grand-Est. Nous connaissons actuellement avec Omicron un plateau situé à environ 3 700 lits de réanimation occupés, qui va probablement rester stable pendant un certain temps. Ceci s'inscrit dans un contexte caractérisé par une forme moins grave et une vaccination large. En revanche, le nombre d'hospitalisations, dont on parle finalement peu, est de 32 000, qui correspond à peu de choses près aux chiffres observés en 2020 dans les deux grandes régions les plus touchées.

Sur cette base, peut-on déduire jusqu'à quel point le système de soins serait capable de résister en cas d'apparition d'un nouveau variant ? Le marqueur probablement le plus robuste est celui des réanimations. Je rappelle que lorsque 7 000 lits de réanimation étaient occupés, l'activité hospitalière hors Covid avait totalement cessé. La France manque de lits de réanimation et il serait nécessaire d'agir sur ce point si l'on voulait anticiper un dispositif suffisamment solide pour faire face à ce nouveau type de menace. Il faut avoir cela à l'esprit.

Ceci soulève une deuxième question, relative au niveau de mortalité : n'allons-nous pas être amenés à réfléchir au nombre de morts que nous pouvons accepter sociétalement, tous ensemble, dans une communauté ? Il est important de souligner que les choses évoluent à cet égard. Souvenez-vous de l'égrènement du nombre de décès dans les médias lors de la première vague. Aujourd'hui, le nombre total de décès liés au Covid est d'environ 130 000, dont 11 000 à 12 000 depuis l'automne 2021, ce qui est loin d'être négligeable. Si l'on considère que la situation va rester relativement sévère jusqu'à mi-mars, le nombre total de décès causés par la cinquième vague sera lui aussi conséquent. Quel niveau de mortalité sommes-nous capables d'anticiper et d'admettre, par rapport au nombre de décès causés par exemple par la grippe ? Ceci conditionnera notamment l'estimation de la capacité en soins intensifs nécessaire pour y faire face. Sur cette base, il est possible d'envisager une équation dont découle la réponse à mettre en place, visant à éviter des mesures générales de restriction qui ne seraient probablement plus acceptables aujourd'hui. Comme l'ont souligné les précédents intervenants, Cette démarche doit évidemment tenir compte de l'immense intérêt des vaccins, mais aussi de leurs limites. On n'évitera pas, me semble-t-il, une forme de débat extrêmement difficile – qui doit le mener ? je l'ignore –, sur la capacité de notre système de soins et l'acceptabilité du nombre de décès lors d'une pandémie, par comparaison avec la grippe.

Les échanges de ce matin ont logiquement beaucoup porté sur le virus et en fait assez peu sur la réponse immunitaire. Globalement, l'immunité post-infectieuse vis-à-vis de ce type de virus est très particulière et relativement labile. On infère parfois du fait que 12 à 15 millions de nos concitoyens auront été infectés par Omicron l'idée que ceci permettra d'atteindre une immunité en population relativement élevée, qui viendra s'additionner à l'immunité obtenue par la vaccination. Or j'ignore ce que vaut l'immunité post-infection par Omicron. Je ne connais pas le potentiel réel de la réponse en anticorps, indépendamment d'un croisement vis-à-vis d'un nouveau variant. J'ignore quelle sera sa labilité : sera-t-elle par exemple plus importante en fonction de la gravité et de la pathogénicité ? Nous ne disposons actuellement d'aucune donnée solide à ce sujet. J'avoue par conséquent être très interrogatif à l'égard des annonces indiquant que l'on va pouvoir s'appuyer sur l'immunité extrêmement large liée aux contaminations par Omicron pour constituer une immunité en population. Il est urgent que des études soient conduites à ce sujet.

Nous sommes tous d'accord pour dire que les vaccins induisent une protection forte, bien que plus ou moins durable, contre les formes sévères et graves de la maladie. Quelle est la signification de cette observation en termes de physiopathogénie ? Quel est le type de réponse immunitaire induite ? Certains d'entre nous, qui avaient reçu leur troisième dose de vaccin, ont été contaminés par Omicron sans faire de forme sévère ou grave. Quel est le mécanisme physiopathogénique exact dans l'immunité induite par le vaccin qui protège contre ces formes sévères ou graves ? Nous n'avons que peu d'éléments de réponse. L'immunité T est probablement un élément majeur de ce mécanisme. Mieux le comprendre serait utile dans le cadre de l'élaboration du vaccin.

Enfin, l'apparition de traitements, sous la forme d'antiviraux à action directe contre le virus, est-elle susceptible de changer la donne ? Comme vous le savez, plusieurs anticorps monoclonaux ont été développés, qui ont été actifs contre certains variants mais dont la plupart ont vu cette activité réduite à la suite des phénomènes d'échappement immunitaire liés à Omicron. Un seul semble conserver une certaine forme d'efficacité, bien que cela soit l'objet de discussions. Les antiviraux à action directe par voie orale ont été un échec jusqu'à l'arrivée du Paxlovid, qui sera disponible en pharmacie dans les tout prochains jours. Cet inhibiteur de protéases, boosté par du ritonavir, réduirait de 80 % ou 85 % la survenue de formes sévères ou graves chez les personnes vaccinées ou non vaccinées qui le prendraient de façon précoce après l'infection. Ceci permettrait de mettre en œuvre une stratégie de type « test and treat », déjà développée dans d'autres grandes pathologies virales. Il va toutefois falloir observer attentivement les résultats obtenus en vie réelle, afin de voir s'ils sont au niveau attendu. De manière générale, il faut savoir que les résultats constatés sur le terrain sont légèrement moins bons que ceux obtenus lors des essais thérapeutiques. J'insiste sur le fait que ce traitement n'a d'intérêt que s'il est administré de façon extrêmement précoce. Ceci implique la mise en place d'un circuit entre la personne qui se fait tester, le médecin qui prescrit et le pharmacien. Le nombre de doses disponibles va en outre être relativement limité dans les quinze jours à venir, et des carences pourraient apparaître compte tenu du niveau actuel de circulation virale. À moyen terme, ce traitement peut néanmoins introduire un nouvel élément dans la lutte contre la pandémie. Il est dirigé contre la protéase, qui n'a a priori pas été impactée de façon significative jusqu'à présent lors des mutations associées aux variants d'intérêt, et permettrait par conséquent d'être actif contre l'une des enzymes entrant en jeu dans la construction du virus. Des phénomènes de résistance vont-ils apparaître ? La réponse est affirmative, par définition. Il faut toutefois souligner qu'il s'agit d'un traitement court, d'une durée de cinq jours seulement. On peut néanmoins tout imaginer en termes d'adhérence au traitement. Il est en outre important de ne pas opposer ce traitement à la vaccination, mais de le considérer comme un complément.

Je conclus en insistant moi aussi sur la population très particulière que constituent les personnes immunodéprimées, à la fois pour elles-mêmes, puisqu'elles répondent mal au vaccin et représentent 15 % à 18 % des personnes hospitalisées actuellement en réanimation, mais aussi au regard de la surveillance du virus, car c'est probablement là que peut apparaître la capacité à construire un nouveau variant. Or nous n'avons pas encore mis en place de réflexion particulière autour de cette population. Probablement faut-il aller un peu plus loin sur la politique de séquençage.

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